Alimentation, santé globale 3 min
Hypersensibilité au gluten : rôle des étapes de fabrication des produits à base de blés
COMMUNIQUE DE PRESSE - Alors que 3% des Français ont supprimé le gluten de leur alimentation* et que le marché des produits sans gluten explose**, une partie de ces pratiques d’éviction serait liée au développement d’une sensibilité au gluten non cœliaque (SGNC). Certains produits artisanaux peuvent-ils tout de même être consommés par les personnes SGNC comme certains le prétendent? C’est à cette question que le projet de recherche « Gluten, mythe ou réalité ? » piloté par INRAE et le Biocivam11, l’association des producteurs bio de l’Aude, a tenté de répondre. Sur la base de questionnements remontés du terrain dès 2012, ce projet a été co-construit avec les agriculteurs, les acteurs des filières céréalières industrielles et artisanales, les techniciens et chercheurs de nombreuses disciplines en impliquant aussi des médecins et des consommateurs hypersensibles au gluten non cœliaques. Les premiers résultats permettent non seulement de confirmer l’existence d’une population de personnes se disant sensibles au gluten mais pouvant consommer sans ressentir de symptômes des produits céréaliers issus de certaines filières artisanales ; mais aussi de disposer désormais de données sur les propriétés des deux principaux produits à base de blé tendre et de blé dur proposés dans les filières industrielles et artisanales, à savoir pain et pâtes. Ce projet met en évidence les variations protéiques de ces produits en explorant l’importance de chaque étape de production sur la quantité et la qualité du gluten des produits finis et leur digestibilité. Des résultats disponibles en open data pourront être utiles à la conception d’un cahier des charges pour la mise sur le marché de produits à base de blés consommables par des personnes hypersensibles au gluten.
Publié le 10 février 2022
Pains et pâtes, industriels et artisanaux : des caractéristiques différentes
Le projet a permis de comparer diverses façons de fabriquer des pains et des pâtes, certaines plus proches des techniques utilisées par l’industrie, d’autres plus proches de celles des artisans et des paysans qui récoltent blé tendre et blé dur et les transforment directement en farine et semoule, puis en pain et pâtes vendus majoritairement en circuit court.
Ainsi les pains industriels et les pains transformés par des paysans et des artisans aux pratiques proches de celles des paysans-transformateurs se distinguent non seulement par les variétés de blés (généralement non inscrites aux catalogues pour les paysans boulangers), par le procédé de mouture (les paysans meuniers sont équipés de moulins à meules de pierre), mais aussi par le ferment (levain privilégié par les paysans et certains artisans, levure pour les pains vendus en grande et moyenne surface), et enfin par les 4 étapes de procédé de transformation (pétrissage, pointage, apprêt, cuisson) pour lesquels les durées et modes peuvent fortement varier).
Deux types de pain ont été comparés : le pain « paysan/artisanal » (variété de blé tendre, moulue sur meules de pierre, avec levain, pétrissage manuel et fermentation directe) et le pain « industriel » (variété de blé recommandée par l’industrie, mouture sur cylindres, levure commerciale, pétrissage à spirale et fermentation à froid).
Des protéines hydratées et mélangées : le gluten du pain et des pâtes à la loupe
Les gliadines et les gluténines sont les protéines qui lors de la préparation, une fois hydratées et soumises à une étape de mélange, constituent le gluten du pain ou des pâtes. En laboratoire, elles peuvent être extraites du pain et des pâtes grâce à deux types de solvants : le SDS, un détergent qui utilisé seul permet d’extraire les protéines les plus aisément solubles, et le DTE 1, un composé à fort pouvoir réducteur capable de rompre des liaisons disulfures présentes dans et entre les protéines plus difficilement extractibles du pain.
L'hypothèse des chercheurs est que les protéines extraites avec l'aide du seul SDS seraient plus digestes que celles nécessitant l’utilisation du DTE voire que celles non extractibles avec les 2 solvants.
Des extractions séquentielles ont été réalisées sur les produits finis (pains, pâtes) à l’aide des deux solvants.
Pour le pain : des variations de digestibilité selon les procédés de transformation
A teneur en protéines comparables, les protéines facilement extractibles par le SDS seul sont deux fois plus nombreuses dans le pain « paysan/artisanal » que dans le pain « industriel ». Cette différence parait majoritairement liée au procédé de transformation et dans une moindre mesure aux types de variétés utilisées.
Parmi les facteurs étudiés, le ferment a un impact majeur et hautement significatif au niveau statistique : les pains au levain ont environ deux fois plus de protéines aisément extractibles par le SDS comparés aux pains à la levure. Ce taux est plus ou moins grand selon les levains. Parmi les autres facteurs permettant d’obtenir des pains dont les protéines sont plus facilement extractibles, on note le pétrissage mécanique (un fort pétrissage manuel semble générer davantage de protéines difficiles à extraire), la fermentation réalisée à froid et à pousse lente et une cuisson au four à bois.
Pour les pâtes alimentaires : des différences de solubilité des protéines en fonction des variétés de blé dur et du procédé de transformation
La différence de procédé de fabrication entre pâtes « paysannes/artisanales » et pâtes « industrielles » réside, comme pour le pain, dans le choix des variétés (variétés non inscrites au catalogue, côté paysan/artisan) et le type de mouture (cylindres vs meules) mais aussi dans les conditions de mise en œuvre du procédé : conditions contrôlées des températures et pressions, avec un séchage à très haute température (90°C) côté industriel, alors que le procédé artisanal se déroule sans régulation de la température et à pression atmosphérique avec un séchage à température ambiante. En moyenne, comparées aux pâtes paysannes/artisanales cuites, les pâtes « industrielles » cuites (fabriquées à partir de semoules obtenues lors d'une mouture sur cylindres) présentent une fraction de protéines solubles dans du SDS significativement moins élevée (- 20%), et une fraction de protéines non digérées in vitro supérieure (+7%). Les variétés utilisées semblent jouer un rôle aussi important que le procédé de transformation sur la solubilisation des protéines. Des écarts de 40% de protéines solubilisées dans le SDS peuvent être notés entre les variétés. En conclusion, la moindre digestibilité de certaines pâtes semblerait déterminée par la variété de blé dur utilisée et le séchage à très haute température.
Une base de données solides à disposition en open data
Cette investigation de l’origine de l’indigestibilité des glutens de certains pains et pâtes, ainsi que les études des pratiques des paysans et artisans conduites dans le cadre du projet Activa-Blé, ont permis la construction d’une base de données agro-techno-socio-économiques. Conformément aux ambitions d’INRAE en matières de science ouverte, cette base de données est disponible à tous. Prochainement, la base de données sera élargie à l’échelle européenne dans le cadre du projet H2020 Divinfood.
* Source Insee 2017
** Le marché des produits sans gluten connait une croissance constante de l’ordre de 20 % depuis cinq ans. Il toucherait près de 12 millions de consommateurs réguliers en France. (source : enquête DGCCRF- Juillet 2020- https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/enquete-sur-les-produits-sans-gluten)
1 Le dithioerythritol ou DTE est un agent réducteur qu agit sur les liaisons disulfures dans et entre les protéines et les rompt.
La recherche participative se poursuit ! Les personnes souhaitant participer doivent envoyer un mail à l'adresse : glutenINRAE@protonmail.com
Ce projet a bénéficié du soutien de la fondation de France, de la région Occitanie et du Fonds Européen Agricole pour le développement Rural. Il a été réalisé en lien étroit avec le projet Activa-Blé soutenu par la région Occitanie.
Notes : ces travaux de recherches participatives n’ont pu être menés qu’avec une très forte implication des paysans meuniers et boulangers en lien avec le Biocivam11. Ces acteurs ont été en grande partie à l’initiative du projet en rapportant le constat d’une meilleure digestibilité de leurs produits selon leurs clients. Une diversité de partenaires ont fourni les graines, réalisé les farines, semoules, pâtes et pains, et apporté leurs expertises : S. Marrou, F. Caizergues, G. Chirat, A. Gainon, T. Marty, J.J. Mathieu, R. Feuillas, A. Metge, H. Poch, E. Brissiaud, Collectif Cravirola, V. Tourrenc, Pain des Cairns, le lycée agricole de Toulouse-Auzeville (A. Marcodini), les formateurs en boulangerie des compagnons du devoir de Nîmes (E. Blaque) et du CFA d’Albi, le laboratoire Festival des pains, le Moulin de Sauret (J.P. Passaga), et de nombreu.se.s autres.
Côté INRAE, ce projet a mobilisé la station expérimentale DiaScope de Mauguio pour la production des grains de blé dur et blé tendre (P. Lavene, B. Bernazeau, D. Desclaux), l’UMR IATE pour la réalisation de toutes les analyses biochimiques et la fabrication des pâtes (E. Canaguier, M.F. Samson), l’UMR SPO (L. Mietton, D. Segond, L. Van Gastrow, S. Guezenec, T. Nidelet, et D. Sicard) pour l’analyse fine des levains, l’UMR Innovation (G. Akermann, P. Coeurquetin, Y. Chiffoleau) pour les analyses des consommateurs, et impliqué un grand nombre d’étudiants en master ou d’ingénieurs en contrat à durée determinée (, M. Ginestet-Giavelly, B. Nasution, R. Amelot, X.M. Li, A. Becouze, V. Avit, L. Gey, A. Boury-Esnault, E. Menguy, etc).
Pour échanger autour des résultats avec les pilotes du projet, des webinaires sont organisés les 11 et 14 février - en savoir plus