Alimentation, santé globale Temps de lecture 4 min
Réduire les pertes et gaspillages d’aliments dans un monde de plus en plus urbanisé
La vie en ville génère un gaspillage alimentaire élevé. Actuellement, chaque européen gaspille environ 173 kg de nourriture chaque année. Plus des deux tiers le sont lors de la distribution, de la restauration et de la préparation à domicile… et ces bio-déchets restent peu valorisés. L’Inra a conduit une étude prospective pour identifier les divers moyens qui pourraient être mis en œuvre à chaque étape et par les différents acteurs pour réduire ces pertes et gaspillages.
Publié le 08 juin 2016

Dans les pays industrialisés, les trois-quarts de la population vit aujourd’hui en milieu urbain. D’ici 2050, la population mondiale sera aux deux-tiers urbaine. Si les villes concentrent la production de déchets, elles sont aussi des catalyseurs d’innovations et de technologies… Avec la prise de conscience de la limitation des ressources mondiales et de la nécessité de mieux les gérer, de la privation alimentaire des ménages les plus pauvres et des enjeux de sécurité alimentaire, la réduction des pertes et du gaspillage alimentaire semble faire consensus.
Cela se traduit par une possible hiérarchisation des usages : agir tout d’abord à la source pour limiter les pertes en optimisant les flux d’approvisionnement des villes ou en redistribuant aux plus démunis ; ensuite, cuisiner ou transformer les produits frais qui ne pourraient être stockés plus longtemps, avant de les utiliser pour l’alimentation animale ; valoriser les bio-déchets par des usages non alimentaires, par exemple pour produire de l’énergie.
9 leviers d’action déployables dans trois contextes de développement urbain
Réduire les déchets à la source ou amplifier leur recyclage
À l’issue d’un état des lieux des actions proposées ou expérimentées par les pouvoirs publics, les entreprises ou les citoyens, les experts auteurs de cette étude ont identifié 9 types d’actions pour réduire les déchets à la source ou amplifier leur recyclage final :
- instaurer des taxes ou des redevances pour modifier les comportements,
- assouplir les cahiers des charges de la distribution pour valoriser les produits avec des défauts d’aspect ou proches de la préremption,
- pratiquer le retrait progressif : bradage, dons…
- répartir la responsabilité juridique : dédouaner le producteur ou le distributeur de sa responsabilité dès lors que le produit est donné,
- favoriser le développement d’infrastructures adaptées au recyclage par les règles d’urbanisme et soutenir l’agriculture urbaine,
- innover dans la conception, la transformation, le conditionnement et la logistique des aliments (emballages « actifs », bioprotection…),
- mieux gérer et partager les flux de données sur le suivi des aliments,
- valoriser les aliments non consommés et les bio-déchets : compost, méthanisation, agroplastiques…
- sensibiliser, éduquer et former les publics.
Les experts ont ensuite examiné la façon dont ces actions pouvaient être mises en œuvre en fonction de trois scénarii d’évolution des villes. Les experts ont ainsi analysé les tendances dans un contexte de métropolisation globalisée où domineraient uniformisation, individualisme et affaiblissement du lien social avec prédominance de la grande distribution et perte du lien à l’agriculture. Un deuxième scénario imagine des villes de taille moyenne fonctionnant en réseau, où se développent coopérations, mobilités et technologies vertes, avec de nouvelles relations aux arrière-pays ruraux, tandis que le troisième envisage des villes en repli où se développe une économie locale, sociale et solidaire, avec des systèmes informels et peu de technologies.
Économie circulaire, gestion des flux de matière et solidarités

Les 9 leviers d’actions sont pertinents dans tous les scénarii mais leur mise en œuvre doit être différenciée.
La seule façon de ne pas penser un monde en pénurie ou consommant au-dessus des moyens de la planète, est de :
- Développer l’économie circulaire : tout transformer toute la biomasse produite en aliment, biomatériau, énergie ou amendements pour ne rien perdre ;
- Optimiser les flux de matière, de données et d’information avec l’appui des nouvelles technologies, en particulier mobiles ;
- Encourager l’émergence de nouvelles solidarités.
L’étude met cependant en évidence des tensions entre objectifs. Ainsi, certaines des options de réduction du gaspillage peuvent se heurter aux exigences de sécurité sanitaire et le risque de diffusion de contaminants peut être un frein à la valorisation des bio-déchets dans le domaine agricole, en énergie ou en chimie verte. Sur un autre plan, les mesures incitatives à la valorisation et au développement des filières de recyclage peuvent aller à l’encontre de la priorité actuellement affichée par les politiques publiques françaises et européennes de réduire à la source la production de déchets. Ces ambitions doivent donc être pensées et réalisées en complémentarité.
Les conclusions de cette étude ont été débattues lors d'un colloque tenu le 8 juin 2016 à Paris.
A propos de
Cette étude prospective a été menée à la demande de la direction scientifique de l’Inra « Alimentation et Bioéconomie », pour identifier des besoins de recherche en amont de la programmation scientifiques. Deux pilotes: Stéphane Guilbert, Montpellier Supagro et Barbara Redlingshöfer, Inra ont coordonné les travaux d’un groupe de travail associant experts internationaux et parties prenantes.