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Une piste prometteuse contre le cancer en utilisant un protozoaire
Utiliser un protozoaire contre les tumeurs cancéreuses, c’est la piste qu’explore une équipe de l'Unité mixte de recherche Infectiologie et santé publique (INRAE-Université de Tours). Interview d’Isabelle Dimier-Poisson, directrice adjointe de l’UMR et responsable de cette équipe.
Publié le 12 novembre 2020
Les principaux traitements antitumoraux, dits conventionnels, reposent sur la chirurgie, la radiothérapie et la chimiothérapie. De nombreux cancers ne répondent pas ou mal à ces traitements qui induisent également de nombreux effets secondaires. L’immunothérapie constitue une nouvelle approche prometteuse : elle consiste à éduquer le système immunitaire du patient pour qu’il soit capable de lutter efficacement et spécifiquement contre les cellules cancéreuses. De nombreuses pistes sont explorées, en particulier les microorganismes vivants qui sont capables à la fois de stimuler le système immunitaire et de détruire les cellules cancéreuses en les envahissant. Une équipe d’INRAE-Université de Tours, spécialisée dans l’étude des protozoaires, ouvre une piste très prometteuse en montrant que l’on peut utiliser l’un d’entre eux pour obtenir une immunothérapie anticancéreuse efficace.
Comment fonctionne cette immunothérapie anticancéreuse ?
Isabelle Dimier-Poisson : Ce qu’il faut réaliser tout d’abord, c’est que nous avons en permanence des cellules tumorales qui se forment dans notre corps, et que, fort heureusement, le système immunitaire les élimine…jusqu’au jour où la tumeur en formation parvient à inactiver ces défenses immunitaires. L’idée de l’immunothérapie est de réactiver ces défenses, et un des moyens de le faire est d’utiliser un microorganisme étranger à l’organisme, virus, bactéries, ou protozoaires. Ce concept est né à la fin du 19e siècle mais il n’a pris vraiment son essor que depuis une quinzaine d’années, avec les progrès de la biologie moléculaire. Il s’agit en effet de bien connaître le microorganisme utilisé pour optimiser son efficacité, tout en garantissant son innocuité. Le microorganisme agit de différentes manières sur le développement tumoral : premièrement, il envahit les cellules cancéreuses et provoque leur éclatement, deuxièmement, l’éclatement des cellules libèrent des molécules qui réactivent le système immunitaire éteint par les cellules tumorales, et troisièmement, le microorganisme provoque le recrutement de cellules immunitaires au sein de la tumeur. De plus, il est possible d‘augmenter son efficacité en le modifiant afin qu’il secrète des facteurs qui renforcent la stimulation du système immunitaire (1) et des anticorps thérapeutiques qui contribuent à lever l’immunosuppression induite par les cellules tumorales (2). Avec leurs multiples possibilités d’action, les microorganismes oncolytiques sont ainsi de véritables « couteaux suisses » anticancéreux !
Quels sont les avantages de Neospora caninum ?
I. D-P : Neospora caninum est un protozoaire spécifique du chien comme hôte définitif, et des ruminants comme hôtes intermédiaires. Il est sans danger pour l’homme et n’induit aucun symptôme. A la différence des virus oncolytiques d’origine humaine potentiellement dangereux, il peut être utilisé sans nécessité de l’inactiver. Ensuite, c’est un protozoaire, organisme eucaryote unicellulaire ayant un génome assez conséquent, contrairement aux virus. Ce génome peut accepter facilement des gènes supplémentaires, en particulier des gènes intéressants pour la lutte contre le cancer. C’est ce que nous avons fait en développant une souche de protozoaire qui sécrète de l’interleukine 15, puissant stimulateur de la réponse immunitaire, et des anticorps capables de restaurer la réponse immunitaire éteinte par la tumeur. Nous pouvons également le modifier afin qu’il exprime à sa surface un récepteur spécifique de la cellule cancéreuse pour qu’il n’infecte que ce type de cellules. Nous avons montré qu’en injectant ce protozoaire « multi-armé » dans un modèle de souris porteuses de tumeurs humaines (3), nous obtenons en quelques jours près de 100% de régression des tumeurs ! Autre avantage du protozoaire : il est entièrement éliminé et ne reste donc pas dans l’organisme. Enfin, il n’induit pas d’immunité contre lui-même et pourrait donc être réutilisé chez un même patient.
A quelle échéance pourra-t-on disposer de ce traitement ?
I. D-P : Nos travaux ont fait l’objet de deux brevets et d’un article dans la revue scientifique « Journal for ImmunoTherapy of Cancer ». Ils ont conduit également à la création de la société de biotechnologies Kymeris qui conçoit et développe des produits d’immunothérapie anticancéreuse. Nous travaillons également sur la production du protozoaire à grande échelle. Nous espérons engager de futurs essais cliniques dans le cadre d’une collaboration étroite avec le service de neurochirurgie du CHRU de Tours, pour des patients atteints de glioblastome de stade IV. Nous poursuivons nos travaux et avons des résultats extrêmement prometteurs pour cinq modèles de cancer au pronostic sombre, pour lesquels les thérapies actuelles ne sont pas satisfaisantes. Parallèlement à son utilisation en santé humaine, nous pouvons aussi espérer que ce protozoaire puisse être utilisé en médecine vétérinaire notamment pour soigner des animaux comme les chevaux et les animaux domestiques : chiens, chats etc.
- Interleukines ou interférons.
- Les cellules tumorales qui échappent au système immunitaire induisent l’apparition de récepteurs « d’épuisement » à la surface des cellules immunitaires (lymphocytes), ce qui les inactivent. Les anticorps utilisés en thérapie se fixent sur ces récepteurs « d’épuisement » et rétablissent la réponse immunitaire.
- Tumeurs de carcinome de Merkel, un cancer rare, mais très agressif, qui touche principalement les personnes âgées.
Référence : Lantier et al. 2020. Neospora caninum: a new class of relevant biopharmaceuticals in the therapeutic arsenal against cancer. Journal for ImmunoTherapy of Cancer, acceptée pour publication 2 octobre 2020. doi:10.1136/jitc-2020-001242
Collaborations : INRAE, Université de Tours, Université d’Angers, INSERM, CHU de Tours et d’Angers.
L’immunothérapie anticancéreuse utilisant des virus, bactéries, ou protozoaires, est explorée depuis plus d’un siècle. Deux médecins allemands en sont à l’origine : ils ont observé dès 1868 une amélioration chez des patients cancéreux qui avaient contracté une infection cutanée d’origine bactérienne. Depuis les années 2000, cette voie fait l’objet de recherches actives et des microorganismes de plus en plus perfectionnés sont utilisés dans des essais cliniques, parfois en complément de la chimiothérapie. Voici quelques exemples d’associations « gagnantes » cancers/microorganismes :
- 1890 : Sarcome / Streptococcus pyogenes (infection cutanée)
- 1969 : Leucémies lymphoblastiques / Bacille de Calmette-Guérin (BCG)
- 1976 : Tumeurs superficielles de la vessie / BCG
- Années 70 : Tumeurs mammaires chez la souris / Protozoaire Toxoplasma gondii
- 2005 : Cancers de la tête et du cou / Adénovirus H101
- 2015 : Mélanome avec métastases / Herpes virus atténué exprimant du GM-CSF (immunostimulant)
- 2018 : Osteosarcome canin / Bactérie Listeria monocytogenes atténuée
- 2018 : Glioblastomes / Virus PVSRIPO atténué