Changement climatique et risques 5 min
Mieux prédire un risque naturel dévastateur : les mouvements de terrain
Spécialiste de l’étude des risques extrêmes, Thomas Opitz est un expert en modèles mathématiques très théoriques et leurs applications très concrètes. Depuis 2018, il se penche sur la question des mouvements de terrain pour mieux comprendre et prédire ce danger naturel souvent méconnu, surprenant et spectaculaire. Les modèles développés sont à la disposition de la communauté scientifique et des gestionnaires des risques naturels.
Publié le 27 août 2021
Un problème aggravé par le changement climatique
Les mouvements de terrain incluent les coulées de boue, les éboulements ou encore des glissements à vitesse plus lente qui peuvent durer des années. Ils représentent un danger pour les populations ainsi que pour les bâtiments et les infrastructures dans beaucoup de régions du monde. Ils sont souvent déclenchés par des pluies extrêmes, dont la fréquence et l’intensité risque d’augmenter fortement avec le changement climatique. C’est pourquoi il est primordial de prédire ces évènements avec le plus de certitude possible, afin d’en minimiser les dommages voire de les anticiper en collaborant avec les gestionnaires de risques, par exemple les planificateurs locaux d’urbanisme.
Un modèle novateur
Prédire les mouvements de terrain, c’est être capable de calculer la probabilité qu’ils se produisent en fonction d’un ensemble de facteurs de risque : intensités et cumuls de précipitations, pente des versants, géologie, géomorphologie (1), végétation. Il faut pour cela établir des relations statistiques entre ces paramètres à partir des données observées, l’ensemble de ces relations constituant un modèle. Le modèle sera d’autant plus performant que les mouvements de terrain seront décrits précisément dans l’espace et le temps, et que l’on aura pu les relier statistiquement à des facteurs de risque présents ou passés.
Les approches classiques adoptaient une vision spatiale, sans tenir compte de la dimension temporelle.
Au contraire, Thomas Opitz et ses collaborateurs internationaux proposent un nouveau modèle dont la caractéristique principale est d’intégrer les deux dimensions : spatiale et temporelle.
Pour cela :
- Ils considèrent le nombre de mouvements observés, et pas seulement leur présence ou absence : chaque mouvement de terrain est répertorié dans l’espace par son point de départ ou son point le plus haut. Ces mouvements de terrain peuvent être observés directement par les géologues, mais ils sont le plus souvent repérés par télédétection, c’est-à-dire par des drones, avions ou satellites.
- Ils calculent les variations du nombre de mouvements de terrain pendant une période d’étude donnée, par exemple au cours de plusieurs décennies.
- Ils intègrent et estiment l’influence des facteurs déclencheurs immédiats, mais aussi l’influence de leurs évolutions spatiales et temporelles.
Le cadre bayésien permet d’établir les probabilités d’événements d’intérêt et les incertitudes dans ces prédictions.
Une modélisation spatiale utilisant les versants
Tout modèle spatialisé nécessite de fixer une unité de cartographie. Cette question a été traitée dans ce modèle en choisissant le versant comme unité spatiale. Pour développer leur modélisation, Thomas Opitz et son équipe ont choisi une petite région d’Italie Centrale de 80km², particulièrement exposée aux mouvements de terrains.
Dans cette étude, la zone est découpée en 889 unités spatiales, c’est-à-dire 889 versants définis comme des entités physiques à partir d’un modèle numérique du terrain. Pour chaque versant, les données contiennent ses propriétés géologiques et le nombre de mouvements de terrain observés, tandis que le modèle fournit une prédiction du risque.
Plus encore, le modèle estime le risque pour un versant en tenant compte du risque pour les versants voisins, à partir de l’observation de leur similarité de comportement face à un facteur déclenchant, comme par exemple des pluies extrêmes.
Cette fonctionnalité du modèle rend les prédictions plus précises et permet ainsi de cartographier des régions en fonction de leur danger et d’évaluer le nombre de mouvements de terrain qu’une région peut subir selon les facteurs de risque présents.
Une dimension temporelle profonde : près d’un siècle de données
Pour intégrer la dimension temporelle, la période d’étude, ici près d’un siècle, est divisée en plusieurs sous-périodes. Le choix des sous-périodes dépend des données disponibles, à savoir l’inventaire des mouvements de terrain et l’historique des données naturelles dans la région : périodes de sécheresses, séismes, évolution de la faune, etc. Dans le cas de l’Italie étudié ici, le modèle est divisé en six périodes temporelles de durées comparables.
Afin de modéliser le nombre de mouvements de terrain dans un versant pendant une sous-période donnée, on utilise la loi de probabilité de Poisson, et on laisse son paramètre varier en fonction des facteurs de risques observés, du temps et du versant. Ce traitement mathématique fait apparaître différentes corrélations : par exemple, lorsqu‘un versant subit un mouvement de terrain qui emporte tout le matériel instable, les années qui suivent cette période ne présentent pas de danger immédiat
La modélisation bayésienne pour les phénomènes spatio-temporels complexes
La modélisation bayésienne (2) permet d’intégrer des connaissances « a priori », c’est-à-dire déjà disponibles avant l’exploration des données, par exemple les connaissances d’experts géomorphologues. La confrontation entre les hypothèses a priori et les données relevées conduit à un modèle dit « a postériori », utilisé pour établir les prédictions.
Grâce à sa flexibilité, cette méthodologie est également utile pour estimer un grand nombre de paramètres inconnus : par exemple, lorsqu’il manque des données sur des facteurs de risque passés comme les pluies, le modèle permet de les restituer artificiellement, et ainsi de reconstituer complètement l’évolution spatio-temporelle des phénomènes (voir encadré).
Ces innovations, publiées sous forme de plusieurs articles dans des revues scientifiques internationales, ont une portée générique. Elles pourront servir pour ré-implémenter facilement les modèles actuels pour d’autres zones d’études, par exemple en France. Ces modèles pourront alors fournir aux décideurs des informations précieuses pour statuer sur des permis de construire, mais surtout pour améliorer les systèmes d’alertes précoces de risques naturels. En effet, la tendance temporelle d’un versant identifiée à travers les périodes passées peut être projetée dans le futur. Cela permettra de mieux anticiper les mouvements de terrain dans un contexte de changement globaux où ils sont susceptibles de devenir encore plus fréquents.
- Géomorphologie : étude de la forme des reliefs.
- D’après le mathématicien britannique Thomas Bayes (1702–1761).
Extrapoler certaines données pour reconstituer l’historique de la zone étudiée
Certaines données sur les facteurs de risque, comme par exemple le régime des pluies, peuvent manquer pour les périodes passées. Le modèle permet de pallier ce manque par une astuce qui consiste à déduire ce paramètre en utilisant d’autres informations. Par exemple, si un versant présente les mêmes caractéristiques géomorphologiques qu’un autre versant, mais a subi beaucoup plus de mouvements de terrain, le modèle déduit que ce versant a dû connaître de fortes pluies. Le modèle rajoute ainsi les paramètres manquants et permet de reconstituer l’ensemble de l’historique de la zone.
Thomas Opitz a reçu en 2020 le laurier INRAE « jeune chercheur ». Voir son portrait.