Changement climatique et risques 3 min

Mieux prédire l’impact des crues extrêmes dans les territoires inondables

En France, 25 % de la population est concernée par le risque d’inondation par débordement des rivières. Face au risque particulier que représentent les crues extrêmes, la directive européenne sur les inondations impose une évaluation précise des caractéristiques de l’écoulement qu’entraînent de tels évènements. En écho à cette loi, le projet européen FLOWRES, soutenu par l’ANR et porté par INRAE, fournit des données inédites pour améliorer les modèles de prédiction des inondations liées à ces crues exceptionnelles.

Publié le 27 février 2019

illustration  Mieux prédire l’impact des crues extrêmes dans les territoires inondables
© INRAE, T. Fournier

Rares mais de forte intensité, les crues extrêmes représentent un risque élevé pour les personnes et les biens. Ces crues sont définies par une période de retour supérieure ou égale à 1000 ans ; on parle de crue millénale, c’est-à-dire d’une crue qui a une chance sur 1000 de se produire chaque année. Pour les territoires à haut risque (zones habitées, zones industrielles incluant des usines SEVESO1ou des centrales nucléaires), la directive européenne sur les inondations impose d’évaluer les caractéristiques majeures des inondations causées par ce type de crues, soit la hauteur d’eau qui s’écoule et sa vitesse.

Si des méthodes existent déjà pour calculer et prédire ces informations pour des crues faibles à modérées, le projet de recherche FLOWRES initié en 2015 avait pour but de vérifier si ces méthodes sont optimales - et, dans le cas contraire, améliorables - pour les crues extrêmes. « Prédire les hauteurs et vitesses des écoulements dans les plaines inondables lors de crues extrêmes est une tâche intrinsèquement complexe. Du fait de la rareté de ces crues, nous disposons de très peu de mesures de terrain, ce qui rend difficile la validation et la fiabilisation des modèles de prédiction. De plus, le comportement de ces écoulements est influencé par la structure de l’occupation du sol2, qui elle-même évolue dans le temps », explique Sébastien Proust, chercheur au centre INRAE de Lyon et coordinateur du projet.

Intégrer l’effet de l’occupation du sol et son évolution sur l’écoulement de l’eau

La solution pour sortir de cette impasse ? Simuler en laboratoire ces crues extrêmes et les inondations qu’elles provoquent… Quatre laboratoires de recherche spécialisés en hydraulique dont celui du centre INRAE de Lyon ont ainsi reproduit expérimentalement ces phénomènes afin de décortiquer les mécanismes de l’écoulement dans le lit majeur3du cours d’eau. « L’écoulement est modifié – ralenti ou accéléré – par le type d’occupation du sol. Nous avons donc recréé, dans nos canaux hydrauliques de laboratoire, des modèles réduits d’inondations, dans lesquels nous avons intégré des éléments représentatifs de l’aménagement : des maisons (simulées par des cubes), des arbres et des forêts (simulés par des cylindres de bois) ou encore des prairies (simulées par de la pelouse synthétique) », commente le chercheur.

Pour s’approcher au plus près de la réalité, les scientifiques ont donc non seulement étudié le comportement de l’écoulement lorsqu’il rencontre ces éléments, mais aussi comment celui-ci est influencé par leur succession et leur variabilité spatiale. Ils ont ainsi analysé l’effet des transitions d’un type d’occupation du sol à l’autre (passage d’une zone de maisons à une zone de prairies par exemple), mais aussi l’effet du niveau d’immersion (les caractéristiques physiques de l’écoulement variant selon qu’une maison est plus ou moins immergée) et l’effet de la densité des aménagements, notamment des maisons.

Etude de la résistance à l’écoulement par simulation d’une inondation dans le canal hydraulique (18 m x 1 m) du centre Irstea Lyon-Villeurbanne.
Etude de la résistance à l’écoulement par simulation d’une inondation dans le canal hydraulique (18 m x 1 m) du centre INRAE Lyon-Villeurbanne.

Une prédiction plus fiable des hauteurs et des vitesses de l’eau

Au-delà d’améliorer la connaissance des processus physiques qui sous-tendent les inondations dues aux crues extrêmes, les données obtenues grâce à ces travaux ont permis d’évaluer les performances - atouts et limites - de différentes méthodes de modélisation actuellement utilisées. Elles ont aussi abouti à l’amélioration de certains de ces modèles et même à des innovations, comme un modèle capable de prédire de manière fiable l’augmentation de la résistance à l’écoulement en fonction d’une urbanisation croissante dans le temps. Désormais achevé, le projet FLOWRES va par ailleurs fournir deux outils particulièrement remarquables : une base de données considérable de mesures expérimentales de crues extrêmes, qui alimentera notamment la base de données européenne Zenodo, et un guide de recommandations pour la simulation des écoulements de crues extrêmes à l’usage des professionnels, qui sera présenté lors de la conférence internationale SimHydro en juin 2019.

Quant au prochain objectif visé ? « Nous voulons maintenant reproduire et étudier des écoulements qui varient dans le temps pour pouvoir prédire le temps de submersion, soit la durée pendant laquelle les biens restent immergés. Une donnée particulièrement utile pour évaluer les niveaux de dommages causés sur les biens », conclut le chercheur.


1 La directive européenne Seveso a été créée en 1982, elle répertorie les installations industrielles dangereuses selon le degré de risques qu’elles peuvent entraîner.

2 Selon la Food and agriculture organization (FAO), l’occupation du sol désigne les caractéristiques biophysiques de la surface de la Terre qui découlent de l’utilisation des terres par l’Homme.

3 Le lit majeur d’un cours d’eau désigne le territoire sur lequel il déborde en cas de forte crue, le lit mineur étant celui où il coule en permanence.

 

 

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