Agroécologie 3 min
Vers une meilleure gestion des nitrates dans les parcelles agricoles artificiellement drainées
Face aux enjeux de dégradation de la qualité de l’eau des rivières et des eaux souterraines, des chercheurs de l’équipe Arthemys (unité Hycar) proposent un méthode pour mesurer les excès d’engrais azotés dans les parcelles drainées. Samy Chelil a développé, durant ses années de thèse, un outil pour aider la profession agricole et les gestionnaires de l’eau à mieux anticiper la pollution par les nitrates et adapter leurs pratiques agricoles afin de préserver l’environnement tout en maintenant de bons rendements. L’Académie d'agriculture de France a distingué ce travail en décernant une médaille d'argent Dufrenoy à Samy Chelil le 18 septembre 2024.
Publié le 20 septembre 2024
La problématique des nitrates en milieu agricole drainé
La pollution par les nitrates est une préoccupation majeure pour la qualité des eaux douces. Les nitrates proviennent principalement des engrais azotés utilisés en agriculture pour favoriser la croissance des plantes. Cependant, une partie de cet azote n'est pas absorbée par les cultures et se retrouve en excès dans le sol. En période hivernale, lorsque les champs ne sont plus cultivés, ces nitrates peuvent être lessivés par les pluies et finir dans les rivières ou les nappes phréatiques. Lorsque les parcelles sont drainées de manière artificielle, le transfert des nitrates vers les eaux superficielles est accéléré. A l’échelle de la France, les parcelles drainées représentent en moyenne 10 % de la surface agricole utilisée (SAU, rapport normalisé ne prenant pas en compte les forêts et les centres urbains) et peut s’étendre jusqu’à 90c% dans certaines régions, correspondant au total à 3 millions d'hectares.
Le modèle NIT-DRAIN : un outil pour mieux prédire les flux de nitrates
Samy Chelil a développé un modèle conceptuel appelé NIT-DRAIN pour simuler les mouvements des nitrates dans les parcelles agricoles drainées. Ce modèle permet de prévoir les concentrations en nitrate dans les eaux de drainage à différentes périodes de l’année, en fonction des pratiques agricoles et des caractéristiques du sol. À partir de ce modèle, l'objectif est de créer un indicateur de pression azotée, qui permettrait de mieux anticiper et contrôler la pollution engendrée par l’excès de nitrates dans le sol.
Le modèle NIT-DRAIN simule le transfert des nitrates dans les systèmes de drainage agricole, en tenant compte des paramètres hydrologiques locales (par exemple le débit à la sortie des tuyaux de drainage). Le modèle a d’abord été développé et testé en se basant sur les données du bassin versant agricole de Rampillon, situé en région parisienne, qui draine une surface de 355 hectares (figure 1). Par la suite, le modèle a été étendu pour validation, à deux autres sites aux caractéristiques différentes, à savoir : la Jaillière (1 hectare) et Gobard (36 hectares). Cette diversité de sites a permis d’évaluer la robustesse spatiotemporelle du modèle, c’est-à-dire sa capacité d’adaptation à différents contextes, tant en termes de taille des parcelles qu’en fonction des conditions climatiques et des rotations des cultures.
Les résultats obtenus montrent que le modèle est particulièrement performant pour simuler les concentrations à partir d’une estimation du reliquat d’azote en entrée d’hiver (REH), notamment sur les petites parcelles comme celles de La Jaillière. À une échelle plus grande, les résultats de REH expliquant les concentrations en nitrate simulées, sont également fiables, bien que les valeurs estimées par modélisation correspondent à la moyenne des REH des groupes de parcelles.
L'assimilation de données pour améliorer l’estimation des reliquats azotés
Pour améliorer la précision des prédictions, Samy Chelil a intégré une technique d’assimilation de données variationnelle (4D-Var) au modèle. Cette méthode permet d’améliorer la précision des estimations de REH en intégrant des données de qualité de l’eau mesurées à la sortie des tuyaux de drainage agricole (concentrations en nitrate). L’implémentation de l’assimilation de données est particulièrement utile, car elle permet d’avoir une meilleure estimation du reliquat entrée hiver (REH). Cet indicateur représente le bilan annuel de la gestion de l’azote par l’agriculteur pour évaluer d’une manière fiable la quantité d’azote encore présente dans le sol avant l’hiver et donc, susceptible d’être entrainée par les eaux de drainage pendant l’hiver, période de recharge des nappes.
Des résultats robustes malgré des conditions variées
L’un des points forts du modèle NIT-DRAIN est sa capacité à bien fonctionner dans des conditions très variées. En effet, un jeu de paramètres générique a été proposé pour l’ensemble des sites étudiés, permettant au modèle de reproduire les dynamiques des fuites de nitrate depuis les parcelles agricoles vers les eaux de surface malgré des contrastes importants entre les années climatiques, la superficie des parcelles et les rotations culturales. Cela montre que NIT-DRAIN peut être utilisé de manière flexible sur une large variété de terrains agricoles drainés.
Un outil pour une agriculture durable
Le modèle NIT-DRAIN apporte une aide aux agriculteurs et aux gestionnaires de l'eau, pour anticiper les flux de nitrates et mieux gérer les excès d’engrais azotés. En ajustant les pratiques agricoles en fonction des prédictions du modèle, il devient possible de réduire les pertes de nitrate et de protéger les ressources en eau, tout en maintenant des rendements agricoles satisfaisants. La robustesse du modèle, validée sur plusieurs sites, renforce son potentiel à être utilisé à grande échelle pour des politiques agricoles plus durables.
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