« Manger moins pour grossir plus » : un levier insuffisant pour obtenir des porcs durables

Les porcs efficients, c’est-à-dire qui se développent vite avec peu de nourriture, sont considérés comme les plus écologiques, dans la mesure où ils utilisent moins de ressources. Mais une étude conjointe de deux équipes, à l’UMR Pegase et à l’UMR GenPhySE, montre qu’efficience ne rime pas toujours avec durabilité. Les résultats d’un travail de modélisation intégrant plus de 700 porcs révèlent que certains animaux efficients peuvent générer plus d’impacts environnementaux négatifs que leurs congénères.

Publié le 12 novembre 2025

© INRAE

L’élevage porcin est souvent pointé du doigt pour ses impacts négatifs, en particulier pour les émissions de gaz à effet de serre, la consommation de ressources fossiles et la pollution des eaux par l’azote et le phosphore émis. En Europe, la concentration des élevages dans certaines régions contribue à l’eutrophisation des eaux côtières et des nappes phréatiques, et en France comme ailleurs, réduire l’empreinte environnementale de la filière porcine est devenu un objectif central. La filière mise notamment sur la diminution de l’indice de consommation, c’est-à-dire l’augmentation de la capacité d’un animal à transformer la nourriture en viande, pour réduire ces impacts.
En effet, la production d’aliment est responsable de la majorité des impacts de la production porcine dans les systèmes conventionnels. Jusqu’ici, la plupart des études évaluaient les impacts à l’échelle du groupe, en supposant que tous les porcs consomment le même type d’aliment adaptés à un « individu moyen ». En réalité, chaque animal a des besoins spécifiques en énergie et en acides aminés. Cette variabilité individuelle est souvent ignorée, alors qu’elle influence fortement la consommation alimentaire, la croissance et les rejets.

Une ferme virtuelle à partir de porcs bien réels

Pour tenir compte de ces différences, les chercheurs de l’UMR Pegase ont conçu un modèle de simulation des performances techniques et environnementales individuelles. À partir de données collectées sur 732 porcs, ils ont créé 732 populations virtuelles de 1 000 animaux, chacune ayant les performances moyennes d’un des 732 porcs expérimentaux. Le modèle de simulation, basé sur le logiciel InraPorc®, a servi à calculer les besoins nutritionnels précis de chacun des 732 porcs et à simuler la composition d’un aliment ajustée au mieux à ses besoins. Les performances zootechniques, environnementales et même économiques (rentabilité), associées à un élevage d’animaux de ce type ont alors pu être simulées.

Les impacts sur le changement climatique, l'utilisation des ressources fossiles, l'acidification des sols, les potentiels d'eutrophisation des eaux et l’utilisation des terres ont été évalués par analyse de cycle de vie et exprimés par kg de poids vif à la sortie de l'exploitation.

Cette approche originale, dite « individualisée », permet d’évaluer la performance environnementale, technique et économique de chaque animal, en tenant compte de ses caractéristiques propres, comme son potentiel de dépôt protéique ou son besoin en acides aminés en début de croissance.

Trois profils de porcs et des résultats inattendus

  • Les porcs “équilibrés” : efficaces sur toute la période de croissance, avec une consommation modérée d’aliments dont la composition engendre des impacts environnementaux réduits. Ce sont les plus performants, à la fois sur le plan économique et environnemental.
  • Les porcs “économes” : des besoins nutritionnels faibles par kg d’aliment en début d’engraissement et des aliments peu polluants, mais une croissance plus lente que les deux autres profils. Leur efficacité moindre induit une augmentation des impacts par kg de viande, car ils ont une consommation totale d’aliment supérieure aux autres profils.
  • Les porcs “exigeants” : très efficaces pour croître rapidement en début d’engraissement, mais leurs besoins élevés en acides aminés nécessitent des aliments riches en soja ou en tournesol, plus coûteux et dommageables pour la planète.

Parmi les porcs les plus efficients (« équilibrés » et « exigeants »), tous ne sont donc pas forcément adaptés à un élevage durable. Un animal à croissance rapide peut, paradoxalement, générer plus d’émissions parce qu’il nécessite des aliments très riches en protéines végétales, souvent importées, pour réaliser cette croissance. Un porc durable est donc un porc « équilibré », efficient avec un potentiel de croissance stable pendant toute la période d’engraissement. C’est aussi un porc nourri selon ses besoins réels, avec des aliments adaptés à la fois à son métabolisme et à l’environnement. Adapter le régime alimentaire à chaque individu pourrait réduire les rejets d’azote et les émissions globales.

Cette étude montre que la performance économique et la performance environnementale ne coïncident pas toujours, mais qu’il est possible de trouver un compromis en prenant en compte la diversité des profils animaux. L’avenir de l’élevage durable passera sans doute par la prise en compte du résultat économique et environnemental de chaque animal, à la fois pour la sélection et l’alimentation, de façon à passer d’une logique de rendement à une logique d’équilibre entre les performances zootechniques, environnementales et économiques.

Janodet, E.; Gilbert, H.; Brossard, L.; Renaudeau, D.; Garcia-Launay, F., 2025. Efficient pigs do not always have less environmental impacts: insights from an individual-based model to assess environmental, economic and technical performances. Animal, 19 (7): 14.  https://doi.org/10.1016/j.animal.2025.101572

Sylvie André

rédaction

Contacts

Florence Garcia-Launay

Contact scientifique

UMR "Physiologie, Environnement et Génétique pour l'Animal et les Systèmes d'Élevage" (Pegase)

Hélène Gilbert

Contact scientifique

UMR "Génétique, Physiologie et Systèmes d'élevage" (GenPhySE)

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