L'invasive jussie aquatique peut-elle germer facilement hors de l'eau?

Dans les marais charentais, la jussie rampante colonise massivement les canaux. Pour mieux gérer cette espèce invasive, des chercheurs d'INRAE et de l'université de Rennes ont étudié les risques de germination de cette plante aquatique, hors de l'eau, lors de l'épandage de boues de curage de canaux ou de jussies arrachées. Cette recherche, menée en partenariat avec le syndicat mixte Charente Aval, a été publiée dans la revue Sciences Eaux et Territoires

Publié le 21 juillet 2025

© Thierry Degen / Terra

Gérer l'invasion des canaux des marais par la jussie

La jussie rampante (Ludwigia peploides) est une plante aquatique invasive originaire d'Amérique du Sud, introduite en France vers 1820 pour orner les bassins. Aujourd’hui, cette espèce colonise de nombreux écosystèmes d’eaux stagnantes ou à faible courant, notamment sur les façades méditerranéenne et atlantique. Dans les marais charentais, elle envahit désormais les canaux de manière généralisée, posant de nombreux problèmes aux gestionnaires en freinant la circulation hydraulique. La gestion par arrachage manuel et transport vers des centres de compostage sont les mesures les plus efficaces, mais elles représentent une part importante des coûts de gestion. À l’échelle nationale, 67 % du budget consacré à la lutte contre les espèces exotiques envahissantes est dédié à la gestion des jussies.

Face à cette situation, les gestionnaires explorent d’autres solutions d’élimination, comme le dépôt de la biomasse arrachée sur des parcelles agricoles. Toutefois, cette pratique n’est envisageable que si elle garantit une destruction de la plante, sans favoriser un autre type d’invasion, terrestre en l’occurrence. Dans les marais charentais, des scientifiques de l’INRAE et de l’Université de Rennes collaborent avec le Syndicat mixte Charente Aval, qui pilote les campagnes d’arrachage de la jussie rampante, afin d’évaluer cette solution potentielle.

Un jardin expérimental pour tester la capacité de germination de la jussie hors de l'eau

Pour étudier la capacité de germination de la jussie en milieu terrestre, les scientifiques ont mené des expérimentations en conditions contrôlées de laboratoire et installé un jardin expérimental au sein de l'unité expérimentale INRAE de Saint-Laurent-de-la-Prée, au cœur des marais charentais. Après avoir prélevé des capsules de plusieurs populations de jussie, ils ont testé la germination de graines sur deux types de sols (marais argileux et coteaux) en variant les conditions de température (en chambre climatique) et d'humidité (dans le jardin expérimental). Ils ont également étudié la capacité de germination de graines de jussies sur les boues de curage des canaux en testant un effet « compétition » lié à un semis de ray-grass anglais.  Les résultats des observations confirment la capacité de la jussie à germer hors de l'eau, mais en montrent aussi ses limites :

  • la jussie peut germer sur les sols de marais : sur un sol nu, en conditions favorables de température et d'humidité, la jussie germe, se développe et fructifie. Un effet du type de sol a été observé, avec des germinations significativement plus importantes sur les terres de coteaux que sur les terres plus argileuses des marais.
  • les boues de curage des canaux contiennent des graines viables : les tests ont confirmé la présence de graines de jussie capables de germer dans les boues de curage épandues sur les terres agricoles.
  • le ray-grass anglais limite le développement des jussies sur les boues de curage : l'ensemencement des boues de curage avec un couvert de ray-grass anglais permet de contenir le développement de la jussie terrestre. Même en faible densité (2 kg/ha), le ray-grass limite la croissance de la jussie.

Même si aujourd'hui la forme terrestre de la jussie est peu présente sur les sols des marais charentais, le risque de reprise de jussie terrestre existe lors de l'épandage de jussies arrachées ou de boues de curage

Des précautions à prendre dans les campagnes de régulation des jussies

Les expérimentations conduites dans l'unité expérimentale de Saint-Laurent-de-la-Prée ont permis de contribuer à évaluer les risques de germination de la jussie sur les sols agricoles, que ce soit suite à des opérations de gestion par arrachage et dépôt de la jussie, ou suite à des opérations de curage des fossés de marais. D'après Les risques confirmés de germination, les scientifiques recommandent d'éliminer les jussies avant fructification, d'éviter les dépôts sur les zones basses des prairies de marais, fréquemment inondées, et d'ensemencer les boues de curage, par exemple avec du ray-grass anglais. Ces mesures ont pour objectifs de limiter les risques d'invasion terrestre en cas de dépôt des jussies sur les parcelles agricoles. Les chercheurs recommandent également de poursuivre les observations in situ, sur les parcelles agricoles, pour conforter ces résultats expérimentaux. Ils soulignent également que ce risque d'invasion terrestre s’invite dans le débat de la gestion des niveaux d’eau, ajoutant une nouvelle dimension à la complexité de la gestion de l'eau dans ces territoires.

Référence 

MZALI, L., BOUSSOU, R., CADET, Émilie, KERNÉIS, Éric, du PEUTY, J.-E., & THIÉBAUT, G. (2025). Les marais charentais face aux risques liés à la capacité de germination des jussies – Le défi des gestionnaires. Sciences Eaux & Territoires, (48), article 8468. https://doi.org/10.20870/Revue-SET.2025.48.8468

Video : Vivre avec la jussie dans les marais charentais

Nota : Ce projet s’intègre dans un partenariat de recherche entre le syndicat mixte Charente Aval,  INRAE et l’université de Rennes, avec le soutien du Conseil Départemental de la Charente-Maritime. Il a été réalisé sous couvert d’une autorisation préfectorale relative aux espèces exotiques envahissantes.

Contacts

Lilia Mzali

Co-autrice de la publication

Unité expérimentale Saint-Laurent-de-la-Prée

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