Agroécologie Temps de lecture 7 min
L’IA sait si les animaux ont mangé de l’herbe mais pas combien de temps : l’exemple de la viande d’agneau
Deux méthodes d’intelligence artificielle (arbres de décision et random forest) ont été testées pour authentifier la viande d’agneau produite à l’herbe. Ces travaux ont permis d’identifier les indicateurs les plus pertinents (biomarqueurs) et de définir une procédure utilisable sur le terrain.
Publié le 11 septembre 2025

Aujourd’hui, authentifier l’origine de la viande (par exemple, prouver qu’elle est bien de l’espèce annoncée ou que l’animal a bien été élevé conformément à certaines pratiques) est un défi majeur pour la sécurité alimentaire, l’éthique et la confiance des consommateurs. Des marqueurs biologiques ou biomarqueurs1 ont ainsi été proposés à des fins d’authentification de l’origine de la viande. Mais comment identifier les plus pertinents ? Lesquels associer et comment ? Comment définir leur valeur seuil pour authentifier une viande de manière fiable ?
Cette étude visait à évaluer l’efficacité de deux types d’algorithmes de machine learning2, les arbres de décision (AD)3 et le random forest (RF)4, pour authentifier le mode d’élevage des animaux (au pâturage ou en bergerie), à partir de certaines variables identifiées comme potentiellement intéressantes (capable de discriminer les deux modes d’élevage).
Les chercheuses de l’UMR Herbivores et de l’UMR Pegase ont mis en place une expérimentation à l’UE Herbipôle avec des agneaux élevés soit entièrement en bergerie, soit en bergerie, puis sortis sur des prairies de luzerne pendant 21, 42 ou 63 jours avant abattage. Dix-neuf variables ont été mesurées sur différents tissus accessibles à l’abattoir (gras périrénal) ou au point de vente (gras dorsal, muscle long dorsal).
Les chercheuses ont ensuite appliqué les deux méthodes, AD et RF, pour tenter d’authentifier l’origine de la viande (produite à l’herbe vs. en bergerie) à partir de la valeur de ces variables. Les algorithmes ont ainsi permis de distinguer les carcasses d'agneaux élevés à l’herbe de celles des agneaux élevés en stabulation avec une précision allant jusqu'à 95 % d’agneaux bien classés. Sur les 19 variables, deux se démarquaient nettement : les teneurs en scatol et en pigments caroténoïdes du gras périrénal.
D’autres variables faciles à obtenir par une mesure optique rapide et peu coûteuse, comme la couleur du gras périrénal, donnent aussi de bons résultats (90 % d’agneaux bien classés) ; elles ont l’avantage d’être mesurables sur la chaîne d’abattage. Le modèle conçu pour être utilisé en point de vente, basé sur les caractéristiques colorimétriques du gras dorsal et du muscle, a permis d’atteindre une précision de 85 %. Aucune de ces 3 méthodes n’a permis de discriminer la durée de pâturage pour les lots concernés. Pour cela, les chercheuses pensent qu’il faudrait élargir les analyses à d’autres types de variables, comme la composition en acides gras des lipides de la viande, par exemple.
S’agissant d’une première recherche utilisant l’IA pour authentifier l’origine de la viande, les valeurs seuils pour les décisions de classification devront probablement être affinées en s’appuyant sur une quantité de données plus importantes et avec des pratiques d’alimentation plus variées. Ces résultats ouvrent néanmoins des perspectives pour une large application de l’IA à des fins d’authentification des pratiques d’élevage.
Ce travail montre que l’IA peut permettre de sélectionner efficacement les biomarqueurs pertinents pour authentifier la viande produite à l’herbe. Cette approche innovante est performante et prometteuse. Ces outils pourraient devenir précieux, au laboratoire ou sur le terrain, pour renforcer la transparence sur l’origine de la viande.
1 Biomarqueurs : ce sont des caractéristiques biologiques mesurables (comme la composition chimique ou la couleur) qui diffèrent selon le type de viande ou le mode d’élevage de l’animal.
2 Algorithme de machine learning : c’est un ensemble de règles ou de processus utilisés par l'IA pour effectuer des tâches, le plus souvent pour découvrir de nouvelles informations et modèles de données, ou prédire les valeurs de sortie à partir d'un ensemble de variables d'entrée.
3 Arbre de décision (AD) : c’est un modèle qui ressemble à un organigramme. On part d’une question de départ puis on suit, à partir de nouvelles questions, des branches en fonction des réponses (oui / non), jusqu’à arriver à une décision finale. On peut le voir comme une suite de règles « si… alors… » qui mène à une prédiction.
4 Random Forest (RF ; ou « forêt aléatoire ») : c’est un ensemble de plusieurs arbres de décision. Plutôt que de s’appuyer sur un seul arbre (qui peut parfois être trop spécifique), on en construit plusieurs, chacun étant entrainé sur un échantillon aléatoire des données. Les prédictions de ces arbres sont ensuite combinées par un vote majoritaire pour donner la prédiction finale. Cette approche permet d’avoir un modèle plus robuste et plus précis mais moins facilement interprétable que les arbres de décision. C’est pourquoi les deux méthodes ont été utilisées simultanément.
Références : Rey-Cadilhac, L. ; Prache, S., 2025. Application of machine learning for optimizing biomarker combinations and guiding decisions on meat authentication. Meat Science, 227, 109852. https://doi.org/10.1016/j.meatsci.2025.109852