Société et territoires Temps de lecture 5 min
Fiscalité, environnement, commerce : relier les fils de l’économie globale
Entre multinationales, arbitrages fiscaux et défis environnementaux, les recherches de Mathieu Parenti interrogent les grands déséquilibres de l’économie mondiale. Rencontre avec un économiste qui veut éclairer l’action publique.
Publié le 25 juillet 2025

Après une thèse en économie internationale soutenue à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Mathieu Parenti a poursuivi sa carrière en tant qu’enseignant-chercheur à l’université libre de Bruxelles, avant de rejoindre INRAE en 2023 sur une chaire de professeur junior. Il est également professeur à l’École d’économie de Paris. Il dirige actuellement 2 programmes : l’un sur les politiques fiscales environnementales à l’Observatoire européen de la fiscalité (EUTO), l’autre sur les modèles quantitatifs du commerce international à l’Institut des politiques macroéconomiques internationales (I-MIP).
Spécialiste reconnu de l’économie internationale, Mathieu Parenti étudie le rôle des multinationales et les externalités environnementales et fiscales en économie ouverte. Ses travaux sont parus dans des revues économiques de référence comme Econometrica, Review of Economics and Statistics, Journal of the European Economic Association ou Journal of International Economics. Son parcours d’excellence a été salué par le jury du Prix du meilleur jeune économiste 2025, qui l’a sélectionné parmi les 3 nominés aux côtés du lauréat.
Nous l’avons rencontré pour en savoir plus sur ses domaines d’investigation et sur les ambitions scientifiques qui les prolongent.
Vos recherches portent sur des enjeux internationaux comme la fiscalité, le commerce ou les politiques environnementales. Qu'est-ce qui vous a amené à croiser ces thématiques ?
Comprendre les stratégies des grandes entreprises dans un contexte de mondialisation est essentiel pour concevoir des politiques économiques et environnementales efficaces.
Mathieu Parenti : Mon intérêt pour la mondialisation m'a d'abord conduit à étudier l'émergence de grandes entreprises – souvent multinationales – et leur rôle dans la concurrence internationale. Ces firmes ont transformé la donne : elles mettent désormais les pays en concurrence pour attirer leurs activités économiques et leurs emplois. Leur stratégie, en tant que grandes gagnantes du libre-échange, repose entre autres sur l'arbitrage des différences fiscales et réglementaires entre pays. Ces stratégies d'arbitrage exigent de croiser les approches : en économie ouverte, toute politique unilatérale – qu'elle soit environnementale, fiscale ou commerciale – est contrainte par la mobilité des multinationales qui peuvent réorganiser leurs activités en réponse à ces politiques.
Prenons un exemple : un impôt minimum mondial ambitieux sur les multinationales inciterait les géants pharmaceutiques américains à relocaliser leurs activités, aujourd’hui concentrées en Irlande, vers les États-Unis. Au passage, ce mouvement entraînerait une réduction des exportations européennes et donc du déficit commercial américain vis-à-vis de l’Europe. Ainsi elle modifierait aussi les rapports de force dans les négociations commerciales transatlantiques. C’est précisément ce que permet d’analyser une approche croisée entre fiscalité et commerce international.
Vous avez récemment travaillé sur les liens entre politiques commerciales et durabilité, notamment dans le secteur agricole. Pourquoi est-ce important aujourd'hui de mieux articuler ces dimensions ?
MP : Nos travaux sur les pesticides illustrent parfaitement ce défi. Sans ajustements aux frontières, les politiques environnementales unilatérales génèrent d'importants effets de fuite : la production se déplace vers des pays aux standards moins stricts. Cette déconnexion entre objectifs environnementaux et concurrence internationale mine non seulement l'efficacité des politiques vertes, mais aussi leur soutien populaire. Les citoyens, séduits par des discours protectionnistes portés par des partis pas forcément soucieux de l'environnement, peuvent se détourner des politiques climatiques si elles pénalisent injustement les producteurs. Cela peut accentuer une course au moins-disant environnemental. À l'inverse, une bonne articulation entre ces dimensions permettrait de concevoir des politiques cohérentes – comme les ajustements carbone aux frontières – qui protègent à la fois l'environnement et la compétitivité, tout en renforçant l'adhésion citoyenne aux transitions nécessaires.
Y a-t-il une question de recherche ou un enjeu émergent que vous aimeriez explorer davantage dans les prochaines années ?
MP : Deux directions m'intéressent particulièrement. D'abord, étendre l'étude de la pollution au-delà des pesticides vers la pollution chimique en général. Ensuite, explorer l'innovation dans le secteur agricole : l'agriculture de précision, les biopesticides, et l'impact des techniques de séquençage génomique sur les pratiques agricoles. Ces innovations redéfinissent les arbitrages entre productivité et durabilité. J'aimerais développer des collaborations interdisciplinaires, notamment au sein d'INRAE, pour mieux comprendre comment les incitations économiques peuvent accélérer ces transitions technologiques.
Vous faites partie des 3 économistes, en plus du lauréat, nominés par le jury du Prix du meilleur jeune économiste 2025. Que représente cette reconnaissance pour vous ?
MP : À travers le prisme des multinationales, j'ai cherché à décloisonner l'étude de la mondialisation en croisant des thématiques qui traditionnellement ne se rencontrent pas. J'ai aussi voulu combiner approches théoriques et empiriques, tout en gardant un œil sur la pertinence des résultats pour éclairer le débat public. Cette nomination m'honore particulièrement et m'encourage à poursuivre dans cette direction : développer des outils d'analyse qui aident les décideurs à naviguer dans un monde où les enjeux commerciaux, fiscaux et environnementaux sont de plus en plus entremêlés.
Les chaires de professeur junior à INRAE
Les chaires de professeur junior (CPJ) sont une voie de recrutement ouverte aux chercheuses et chercheurs titulaires d’un doctorat et déjà engagés dans une dynamique de recherche d’excellence.
Ce contrat de pré-titularisation de 3 ans, fondé sur un projet de recherche et d’enseignement, donne accès, après évaluation, à un poste de directeur ou directrice de recherche de 2e classe (DR2).
Les scientifiques recrutés développent leur projet au sein d’une unité INRAE, en lien avec les grandes thématiques de l’institut (agriculture, alimentation, environnement), et bénéficient d’un accompagnement structuré.
Ce dispositif vise à attirer des profils à fort potentiel, en France comme à l’international, capables de mener des recherches de haut niveau et de s’impliquer dans des projets collaboratifs, notamment européens.
Une opportunité pour construire une carrière scientifique ambitieuse, en savoir plus >>.