Société et territoires 4 min

BATModel : de nouveaux outils pour éclairer les politiques commerciales internationales dans les secteurs agricoles et alimentaires

En Europe, les politiques commerciales internationales appliquées aux secteurs agricoles et alimentaires font face à des enjeux complexes, entre régulation des échanges, sécurité alimentaire et exigences croissantes en matière d'impact environnemental et sociétal. De 2020 à 2024, 16 organismes de recherche de 11 pays européens, ont collaboré au sein du projet BATModel, coordonné par INRAE, pour développer une nouvelle génération de modèles commerciaux. En combinant approches théoriques et empiriques dans un cadre conceptuel renouvelé, ces outils visent à aider la Commission européenne, les décideurs politiques et les parties prenantes à évaluer et concevoir des politiques et accords commerciaux mieux adaptés aux défis actuels.

Publié le 13 novembre 2024

© Pexels, Tom Fisk

BATModel offre aux décideurs des outils renouvelés pour analyser et concevoir les politiques commerciales à la hauteur des enjeux du XXIème siècle.

Face aux enjeux grandissants du commerce agroalimentaire transfrontalier, les accords commerciaux jouent un rôle essentiel pour garantir une répartition équitable des bénéfices, protéger les standards de qualité alimentaire et soutenir les objectifs de durabilité. En Europe, où les consommateurs sont de plus en plus attentifs à la sécurité des aliments, à leur impact environnemental et aux conditions éthiques de production, il est crucial pour les décideurs d’approfondir leur compréhension des effets de ces accords. Le besoin d’outils adaptés est d’autant plus urgent que la complexité des accords commerciaux de « nouvelle génération », comme le CETA, s’accroit pour intégrer de nombreuses dimensions jusqu'ici négligées dans les modèles. Décideurs européens, gouvernements, producteurs et citoyens sont tous concernés par les répercussions des politiques commerciales, tant à l’échelle mondiale que régionale et nationale, et par la distribution de ces impacts entre les secteurs et le long des chaînes de valeur. Le projet BATModel a permis de développer des modèles renouvelés, offrant aux décideurs les outils nécessaires pour évaluer ces enjeux et guider les politiques vers une durabilité accrue et une compétitivité renforcée des filières agroalimentaires européennes.

Des outils analytiques pour des politiques commerciales internationales plus efficaces

Pour aider les décideurs à conclure des accords multilatéraux et régionaux plus efficaces, qu’ils soient à l'échelle de l’UE, des pays ou des entreprises, les chercheurs et les chercheuses du projet BATModel ont amélioré les outils de modélisation destinés à l’évaluation des politiques commerciales agroalimentaires. Afin de mieux saisir la complexité de ces politiques, ils ont combiné des approches théoriques et empiriques. Les experts en simulation, utilisant principalement des données agrégées, ont collaboré avec des économètres analysant des données plus détaillées et reflétant l’hétérogénéité des entreprises, des territoires, des producteurs et des consommateurs. Ensemble, et en concertation avec les utilisateurs finaux des modèles, ils ont élaboré un cadre méthodologique renouvelé, capable de capter les réalités du commerce agroalimentaire d’aujourd’hui.

BATModel a ainsi fourni aux utilisateurs une nouvelle génération d’outils analytiques, sous forme de modules de modélisation du commerce, pour aider la Commission européenne, les décideurs et autres acteurs à concevoir et évaluer des politiques et accords commerciaux répondant aux défis actuels.

Les résultats à la portée de tous les utilisateurs

Les avancées méthodologiques de BATModel mises à disposition sous forme de modules de modélisation, concis et clairement documentés, sont accessibles à toute la communauté de modélisateurs :

Vers une meilleure compréhension des dynamiques commerciales actuelles

Pour soutenir l’analyse politique et répondre aux besoins des décideurs publics et d’autres parties prenantes, les scientifiques de BATModel ont œuvré à une meilleure prise en compte de questions jusque-là négligées ou insuffisamment étudiées, qui se posent avec acuité au XXIème siècle. Parmi celles-ci figurent les effets des mesures non tarifaires, l’impact des indications géographiques sur le commerce et le bien-être, les problèmes liés aux flux commerciaux nuls, la différenciation de la qualité, ainsi que les chaînes de valeur mondiales.

Révéler les coûts cachés de la mondialisation

À travers une revue de la littérature et le développement d’un cadre conceptuel pour analyser les effets distributifs du commerce et des politiques commerciales, les chercheurs et les chercheuses de BATModel ont mis en lumière ce que l'on appelle les coûts cachés de la mondialisation. Ces coûts incluent les problèmes liés au marché du travail, ainsi que les impacts sur les revenus, les salaires, l'environnement et la santé. Chaque dimension de la libéralisation du commerce a été examinée à l'aide d'études de cas spécifiques, utilisant à la fois des modèles économétriques et des modèles d'équilibre général et partiel calculables.

Les résultats révèlent que l'interaction entre la libéralisation du commerce et l'environnement est relativement faible, bien que très variable dans le secteur agricole, d’une région à l’autre de l'UE. Par ailleurs, les chocs commerciaux, qu'ils proviennent d'importations ou d'exportations, influencent de manière significative les marchés du travail, en particulier dans l'industrie alimentaire. En outre, ces chocs semblent avoir un impact négatif sur la santé, contribuant notamment à l'augmentation de l'obésité.

Des innovations méthodologiques pour représenter les échanges commerciaux plus fidèlement

Quelles seraient les conséquences commerciales de chocs majeurs tels que la guerre en Ukraine, la pandémie de COVID-19, les guerres commerciales ou encore des événements météorologiques extrêmes ? Ces perturbations sont cruciales pour la sécurité alimentaire et la négociation des politiques commerciales, mais elles sont difficiles à intégrer dans les modèles commerciaux traditionnels. BATModel comble ces lacunes en développant de nouvelles approches qui permettent aux modèles de transformer des flux commerciaux initialement nuls en flux positifs et significatifs après des chocs importants.

Ces innovations offrent aux modélisateurs la possibilité de mieux soutenir les décideurs politiques en période de crise, en particulier dans les secteurs sensibles. Un autre avantage de ces méthodes est qu'elles permettent de modéliser les produits agroalimentaires de manière détaillée, rendant ainsi les simulations des politiques commerciales beaucoup plus réalistes et pertinentes.

Comment l’offre et la demande façonnent les exportations ?

Les exportations des entreprises sont influencées par divers facteurs liés aux caractéristiques de l'offre, telles que la productivité, les intrants intermédiaires et la qualité des produits, ainsi que par des éléments du côté de la demande, comme les préférences des consommateurs. Pour analyser la relation entre ces caractéristiques et leur impact sur les exportations, des développements théoriques et des études de cas empiriques ont été réalisés.

Les résultats obtenus servent à élaborer un prototype de modèle numérique qui intègre la différenciation de la qualité des produits dans les modèles de simulation existants. De plus, ce travail a contribué à améliorer la représentation de la structure du commerce bilatéral dans les modèles d'équilibre général. Ce type de modélisation s'avère particulièrement pertinent dans le cadre d'accords complexes comme le CETA, où les conditions d'accès au marché pour certains produits dépendent de quotas spécifiques et de tarifs préférentiels, impactant ainsi directement les flux d'exportation et les dynamiques commerciales.

Comprendre les chaînes de valeur mondiales

Dans les chaînes de valeur mondiales (CVM), les activités nécessaires pour amener un produit de sa conception à son utilisation finale sont réparties entre différents pays. Dans le cadre du projet BATModel, de nouvelles données ont été collectées, permettant d'améliorer les modèles d'analyse de la dynamique des CVM dans le secteur agroalimentaire. Par exemple, les données sur la gouvernance des CVM ont permis d'analyser comment cette gouvernance influence la participation et la performance des entreprises au sein de ces chaînes.

Les travaux empiriques révèlent que les CVM contribuent à améliorer la productivité et à favoriser la croissance de l'emploi, en particulier dans les pays fortement engagés dans le secteur agroalimentaire. Elles ont également des effets positifs sur les salaires, l'égalité des sexes et les performances environnementales. Cependant, ces avantages ne sont pas uniformément répartis et dépendent des caractéristiques spécifiques de l'industrie et des segments de la chaîne de valeur.

En plus de fournir un examen complet des CVM et des enjeux qui leur sont associés, les recherches menées dans le cadre de BATModel ont permis d'apporter des progrès substantiels dans l'intégration de l'analyse des chaînes de valeur mondiales dans les modèles d'équilibre général.

Quels effets des mesures non tarifaires sur les flux commerciaux ?

Les mesures non tarifaires (MNT) regroupent un éventail varié de réglementations et de politiques commerciales, incluant les mesures appliquées aux frontières ainsi que celles mises en place derrière les frontières, comme les réglementations sur les nouvelles techniques de génie végétal. En s’appuyant sur les données les plus récentes et très détaillées, les chercheurs et les chercheuses de BATModel ont examiné l'impact de ces MNT sur les flux commerciaux.

Leurs résultats montrent que l’harmonisation et la coopération réglementaire dans le cadre des accords commerciaux préférentiels contribuent à atténuer les effets restrictifs des MNT sur les échanges. Cette réduction des coûts et des pertes commerciales potentielles est particulièrement marquée dans le cas où les partenaires commerciaux appliquaient déjà des mesures similaires auparavant.

De nouvelles données et des outils d’analyse pour étudier les effets des indications géographiques sur le bien-être et le commerce

Les indications géographiques (IG) sont des signes distinctifs qui identifient des produits agroalimentaires dont la qualité, la réputation ou d'autres caractéristiques sont étroitement liées à leur origine géographique. Ce système garantit la visibilité et la protection des produits de haute qualité. L’Union européenne en est l’un des principaux utilisateurs, avec plus de 3 500 produits protégés par une IG.

Dans le cadre de BATModel, les effets des IG sur le bien-être et le commerce ont été analysés empiriquement et théoriquement, à plusieurs échelles et pour divers acteurs. Pour les analyses empiriques, les scientifiques ont collecté des données cartographiant les IG dans le temps et l’espace, et construit des ensembles de données spécifiques aux IG en France et en Italie. Ils ont également élaboré un jeu de données adapté aux simulations, regroupant des produits IG et non-IG. En parallèle, un cadre de modélisation a été développé pour évaluer la protection internationale des IG dans un modèle d’équilibre général multirégional. Les simulations montrent que les régions où les IG sont fortement implantées et diversifiées en tirent des bénéfices économiques significatifs.

Photo de groupe du consortium BATModel
Le consortium du projet BATModel lors de la réunion de clôture à Bruxelles, juillet 2024

Le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) est un accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.

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