Changement climatique et risques 10 min
FairCarboN : mobiliser les écosystèmes continentaux pour la neutralité carbone
Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire FairCarboN « Le carbone dans les écosystèmes continentaux : leviers et trajectoires pour la neutralité carbone » vise à développer la contribution des écosystèmes continentaux à l’atténuation du changement climatique et à la neutralité carbone. Sylvie Recous, INRAE, codirectrice du projet avec Pierre Barré (CNRS), en détaille l’ambition et les enjeux.
Publié le 11 avril 2022
Dans quel contexte le programme PEPR FairCarboN se déploie-t-il ?
Sylvie Recous : Le programme FairCarboN a été proposé par INRAE et le CNRS pour porter les efforts de la recherche académique française sur les connaissances scientifiques à mobiliser pour accompagner la Stratégie nationale bas carbone au plus haut niveau. Cette stratégie vise à atteindre la neutralité carbone à l’échéance 2050, c’est-à-dire être en mesure de réduire drastiquement les émissions de gaz carbonique (CO2) associées aux activités humaines dans les divers secteurs mais aussi d’accroître la capacité à séquestrer du CO2 pour compenser les émissions incompressibles.
Les écosystèmes terrestres ont un grand rôle à jouer dans la régulation du climat.
Les écosystèmes terrestres ont un grand rôle à jouer dans la régulation du climat, à la fois par la possibilité de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de piéger le carbone atmosphérique dans les végétaux et les sols. Ce sont des solutions que l’on dit « fondées sur la nature ». Cette contribution doit être réalisée en préservant voire accroissant la capacité de ces écosystèmes à fournir d’autres services écosystémiques, comme la production de biomasses végétales.
L’actualité met encore davantage ces enjeux au cœur des agendas de nos pays. Le nouveau rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) indique : « Dans tous les scénarios étudiés, avoir une chance de limiter le réchauffement à 1,5 degré ou à 2 degrés supplémentaires implique des réductions de gaz à effet de serre rapides, profondes et la plupart du temps immédiates dans tous les secteurs ». Le conflit en Ukraine menace la sécurité alimentaire mondiale, en réduisant la disponibilité des produits agricoles et des engrais et en augmentant leur prix.
FairCarboN, un programme et équipement prioritaire de recherche exploratoire pour viser la neutralité carbone
Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) exploratoire FairCarboN « Le carbone dans les écosystèmes continentaux : leviers et trajectoires pour la neutralité carbone » permettra d’accroître la contribution des écosystèmes continentaux à l’atténuation du changement climatique et à la neutralité carbone.
Lancé le 11 avril 2022, il est piloté par INRAE et le CNRS, entourés de 6 partenaires académiques : l’IRD, le Cirad, le CEA, Aix-Marseille université, l’université de Montpellier et l’université Paris-Saclay.
Il est doté d’un budget de 40 millions d’euros sur 6 ans, financé dans le cadre du 4e Programme d’investissements d’avenir - PIA 4.
Quelles recherches FairCarboN a-t-il l’ambition de développer ?
Les PEPR, pour booster le leadership français en matière de recherche et faire bouger les lignes.
S. Recous : Les PEPR exploratoires* ont pour ambition de renouveler la façon de faire et de financer la recherche, notamment en incitant chercheurs et chercheuses à prendre davantage de risques (nouvelles questions, manière de les aborder...) et à travailler ensemble.
Les mécanismes qui déterminent les transformations, les émissions ou au contraire les stockages du carbone dans les sols, les plantes et les organismes animaux, les eaux et l’atmosphère, varient en intensité d’une région à une autre, ou d’un écosystème à une autre (par ex. une forêt tropicale et une parcelle cultivée en région de grande culture métropolitaine apparaissent comme des écosystèmes très différents). Dans le même temps, de nombreux mécanismes du monde vivant sont invariants et surtout, nombre de ces écosystèmes sont en réalité connectés à travers des échanges avec l’atmosphère ou l’hydrosphère, et des échanges de biens entre les humains. FairCarboN va inciter des équipes travaillant dans des contextes climatiques et socioéconomiques très différents à développer et mettre en commun leurs connaissances, leurs données et leurs modèles mathématiques. Savoir mieux mesurer ce qu’on appelle les stocks (c’est-à-dire les quantités contenues dans les différents réservoirs que sont les sols, les couverts de végétaux, les eaux, l’atmosphère) et les flux (c’est-à-dire les échanges entre ces réservoirs) permet de mieux prévoir les évolutions mais aussi de vérifier l’efficacité des mesures et des pratiques proposées pour atteindre la neutralité carbone. Et cela reste donc un enjeu scientifique majeur, non seulement au niveau national mais bien sûr international.
La régulation du cycle du carbone aux échelles locale à globale est contingente des autres cycles biogéochimiques auxquels il est couplé dans les écosystèmes, pour les principaux, celui de l’azote, du phosphore et de l’eau. Ainsi les recherches impliqueront nécessairement l’étude des relations et des rétroactions entre ces cycles, que les agriculteurs ou les forestiers connaissent bien quand il s’agit de gérer ces écosystèmes. La réduction drastique de l’usage des ressources non renouvelables d’origine fossile, notamment en agriculture et dans l’industrie, va aussi reposer sur le développement de l’usage du carbone renouvelable issu de la photosynthèse des végétaux dans les divers secteurs touchant à l’agriculture, l’industrie, l’alimentation, la santé…. La bioéconomie et l’économie circulaire sont donc aussi partie prenante de FairCarboN, car indispensables pour relever le défi climatique.
Le portage de ce programme, côté INRAE, par la Direction scientifique Alimentation et Bioéconomie, aux côtés de plusieurs départements de recherche INRAE, reflète bien cet enjeu majeur. Les recherches sur les déterminants et leviers économiques et sociologiques qui doivent accompagner ces transitions et accompagner les politiques publiques participent de ce programme.
Tous les écosystèmes seront concernés par ces recherches : les milieux cultivés de grandes cultures et de prairies, les forêts, les systèmes agroforestiers, les milieux périurbains et urbains, les milieux naturels d’eau douce et côtiers. Cette approche est en réalité possible grâce à la volonté de travailler ensemble, INRAE et CNRS, et de piloter ce programme auquel ils apportent chacun leurs compétences scientifiques et dispositifs spécifiques, avec l’implication cruciale de leurs partenaires. Cela permet d’inclure, au-delà des systèmes tempérés de la métropole, les équipes et dispositifs intervenant en régions tropicales, méditerranéennes, arctiques et subarctiques. La régulation du climat est un enjeu mondial, et le dispositif de recherche français par sa diversité et sa couverture géographique et écosystémique, va permettre d’y contribuer. Au-delà de la recherche académique que finance les PEPR, de nombreux partenaires techniques agricoles et industriels, associatifs, des collectivités territoriales et des services de l’État, seront associés au pilotage ou à la réalisation de ces recherches, ou en seront bénéficiaires.
6 projets bénéficiant chacun d'un financement de 1,4 à 1,5 million d'Euros sur 5 ans ont été sélectionnés par un jury indépendant mandaté par l'ANR dans le cadre du premier appel à projets. En savoir plus >
Comment FairCarboN s’articule-t-il avec d’autres programmes français de recherche ?
S. Recous : Le dispositif de recherche français assure déjà une couverture importante de cette thématique, grâce à ses infrastructures de recherche (par ex. : AnaEE-France, e-LTER-France et OZCAR, ICOS-France…), dont la qualité lui permet de se positionner dans les réseaux internationaux. Le programme FairCarboN doit venir renforcer ces dispositifs ou les déployer dans des écosystèmes où ils ne sont pas ou pas assez présents (par ex. les régions du Sud, cruciales pour la sécurité alimentaire et le climat). Ce PEPR viendra s’articuler aux autres projets et initiatives européens sur cette thématique (par ex. EJP SOIL, centré sur les sols et coordonné par INRAE) ou internationales (par ex. l'initiative 4 pour mille). Le PEPR a aussi pour objectif d’amplifier la présence française au meilleur niveau international, en soutenant des échanges de scientifiques de et vers la France et en prenant part aux initiatives internationales.
* Les PEPR exploratoires visent à construire ou consolider un leadership français dans des domaines scientifiques liés ou susceptibles d’être liés à une transformation technologique, économique, sociétale, sanitaire, environnementale… et considérés comme prioritaires aux niveaux national ou européen.