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Emmanuelle George, spécialiste de l’économie territoriale, des stations de montagne et de l’accompagnement des transitions

Emmanuelle George explore les dynamiques de transition dans les territoires de montagne. Économiste territoriale au LESSEM et cheffe adjointe du département ACT (Sciences pour l’action, les transitions, les territoires), elle met son expertise au service de l’adaptation des stations de sports d’hiver face au changement climatique. Ses travaux interrogent le modèle économique de la neige, soutiennent les réflexions collectives sur la diversification touristique et contribuent, aux côtés des habitants et élus, à imaginer des futurs viables pour les territoires alpins.

Publié le 04 août 2025

Emmanuelle George anime une réunion en 2025 à St Pierre de Chartreuse

Comprendre la transition des territoires de montagne

Historiquement, Emmanuelle George a travaillé sur les logiques d’organisation et de gouvernance des stations de sports d’hiver, en lien avec la loi Montagne de 1985, qui confie aux collectivités locales la responsabilité du pilotage touristique. Ces territoires, structurés autour du domaine skiable, forment un écosystème complexe mêlant acteurs publics, opérateurs économiques, hébergeurs, restaurateurs et habitants. Mais face au changement global, notamment climatique, la nécessité d’un nouveau regard s’impose.

Ce que je constate depuis 5 à 10 ans, c’est que souvent on raisonnait le devenir des stations un peu en silo : on traitait la gouvernance, on traitait l’hébergement, on traitait séparément l’adaptation climatique.... Or, aujourd’hui, tous ces facteurs sont interreliés.

Pour la chercheuse, il devient indispensable d’articuler ces problématiques entre elles afin de mieux comprendre les vulnérabilités, les forces et les trajectoires possibles des stations et de leurs territoires. C’est dans cette optique qu’est né en 2019 le projet Transtat, programme européen porté par INRAE avec l’appui de la région Auvergne-Rhône-Alpes dans le cadre de la stratégie de la région alpine (SUERA). Son ambition ? Documenter et soutenir les dynamiques de transition dans les stations de montagne, en collaboration étroite avec neuf stations réparties dans cinq pays alpins.

On parle beaucoup de transition, mais on ne sait pas toujours ce que cela représente concrètement. Pour certains, c’est la fin du ski. Pour d’autres, comme moi, c’est une diversité de trajectoires possibles pour les stations et les territoires, afin de trouver des solutions à des vulnérabilités.

Transtat poursuit ainsi un double objectif : mieux comprendre les processus de transition territoriale et accompagner les acteurs publics et économiques confrontés à l’incertitude. Car aujourd’hui, contrairement au passé où des modèles de développement de l’offre ski étaient proposés, il n’existe pas de modèle-type de transition.

En France, l’un des terrains privilégiés du projet est la station de Saint-Pierre-de-Chartreuse, au sein de la Communauté de communes Cœur-de-Chartreuse.

Accompagner les stations dans leur transition

Accompagner les stations, c’est travailler avec elles, pas leur imposer des solutions toutes faites. Je crois profondément à la co-construction, dans la durée, avec les acteurs du territoire.

C’est dans cet esprit qu’Emmanuelle George pilote le projet européen Transtat qui réunit onze partenaires issus du monde scientifique, touristique et institutionnel, dont l’Université Grenoble Alpes, des opérateurs touristiques (notamment l’agence de développement touristique de Slovénie), ainsi que des collectivités territoriales telles que les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Lombardie.

Le projet repose sur une méthodologie en trois volets : construire des outils participatifs pour initier le dialogue territorial, accompagner finement les dynamiques locales, et tirer des enseignements comparés entre les neuf stations partenaires, pour formuler des recommandations politiques à plusieurs échelles.

Sur le terrain, cette démarche est déployée à Saint-Pierre-de-Chartreuse, où l’élaboration du diagnostic partagé fut une priorité. Pendant plusieurs mois, l’équipe INRAE, en partenariat avec l’Université Grenoble Alpes, a piloté l’analyse des données quantitatives, organisé des entretiens auprès d’un large panel d’acteurs (publics, privés, citoyens et touristes). Ce matériau a permis d’élaborer un diagnostic de la station et du territoire. En particulier, la matière riche a permis d’éclairer les vulnérabilités locales et nourrir le débat collectif sur la transition du modèle touristique. Cette dynamique a ainsi contribué, sous la houlette du territoire, à la mise en place d’une gestion à court terme du domaine skiable, dont il faudra observer les effets dans les cinq ans à venir.

Aujourd’hui, la chercheuse poursuit ce travail d’accompagnement. Avec les habitants et les acteurs locaux, elle pilote une nouvelle phase : l’élaboration de scénarios pour imaginer collectivement l’avenir du territoire. Son objectif : que la transition ne soit pas seulement décidée pour les territoires, mais réellement appropriée et portée par eux. 

L’idée, pour nous, c’est de donner aux territoires des éléments qui leur permettent d’acquérir des capacités d’apprentissage et d’agilité par eux-mêmes, pour qu’ils deviennent plus autonomes.

Après plusieurs années d’un travail de terrain rigoureux et d’une collaboration étroite avec les acteurs locaux, le projet Transtat ne se limite pas à la théorie : il s’incarne désormais dans des résultats tangibles, des outils concrets et des évolutions réelles pour les territoires de montagne.

Ce que ça change concrètement : des outils concrets pour l’avenir des stations

L’un des apports majeurs du projet Transtat, réside dans la capacité à questionner en profondeur le modèle économique des stations de montagne et à accompagner leur mutation. Pour la chercheuse, cette transition ne peut s’improviser ni se décréter : « Il faut du temps pour construire la confiance et avancer avec les acteurs locaux. Les solutions ne s’imposent pas, elles se construisent ensemble, au rythme du territoire. » précise-t-elle. Ce dialogue soutenu a permis d’aller bien au-delà d’un simple accompagnement : il a ouvert la voie à une nouvelle façon de penser la transition, adaptée à chaque contexte.

Fort de cette expérience, l'objectif de TranStat, a été de construire une typologie qui offre aux stations de montagne un véritable repère de leur transition. Désormais, chaque territoire peut se situer sur deux axes principaux : entre le maintien du modèle « neige » ou la sortie totale du ski, et entre démarches spontanées portées localement ou stratégies de transition pilotées par les collectivités.

Pour Emmanuelle George, la force du projet Transtat est d’être utile à l’action publique. « Bien sûr, notre mission est de produire de la connaissance, des indicateurs, des méthodes… Mais il est tout aussi essentiel d’être en lien direct avec les territoires et de nourrir la décision politique », insiste-t-elle. Grâce à Transtat, mais aussi à d’autres collaborations en France, l’équipe accompagne les collectivités dans la construction ou l’évolution de leurs politiques publiques. L’un des apports majeurs : proposer des grilles de lecture différenciées, comme la typologie des stations, qui permet d’adapter les politiques à la réalité de chaque territoire. Pour Emmanuelle George, il ne s’agit pas de décider à la place des élus, mais de leur fournir des repères concrets pour faire évoluer leurs actions.

« Il faut garder sa bonne place : on est chercheur, pas acteur politique »

Pour Emmanuelle George, l’engagement scientifique naît d’un double ancrage : la passion du territoire et la volonté d’être utile à l’action publique. Native d’Albertville, « au pied de la Tarentaise », elle a grandi en pratiquant les stations de ski comme skieuse mais aussi comme habitante. Devenue ingénieure agronome puis chercheuse, elle s’oriente très tôt vers les questions de développement territorial.

Travailler sur les stations, c’est aussi déconstruire certains discours, et amener une compréhension plus nuancée de ces territoires.

Cette posture d’ouverture irrigue sa manière de faire de la recherche. Emmanuelle George attache une importance particulière aux modalités de diffusion de ses travaux, aux côtés des publications scientifiques classiques.

Ses recherches peuvent être valorisées via des bases de données accessibles, des travaux d’expertise, des notes de synthèse et “Policy briefs” à destination des décideurs, ou encore des interventions régulières dans les instances et comités scientifiques du territoire.

Elle multiplie aussi les modes de médiation, n’hésitant pas à sortir de sa « zone de confort » pour collaborer avec des artistes et des acteurs culturels, dans des projets qui croisent arts et sciences, par exemple dans le cadre de l’association Scènes Obliques en Belledonne.

Interrogée sur le message qu’elle souhaiterait transmettre à la société, Emmanuelle George ne cherche pas à délivrer de certitude ou de “leçon” universelle. Elle souligne plutôt la complexité actuelle du rapport à la science, parfois remise en question dans sa capacité à prévoir ou à influencer les décisions publiques face aux jeux d’intérêts. Mais ce qui la motive, c’est la conviction que la recherche peut avoir un impact concret, surtout à l’échelle locale et régionale.

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