Agroécologie Temps de lecture 4 min
L’œil numérique à l’affût des cultures
Les technologies de proxi et télédétection ne représentent qu’un aspect de l’agriculture de précision ou plus largement numérique. Elles n’en jouent pas moins un rôle clé dans la connaissance des cultures et la modulation des pratiques à leur consacrer. Passage en revue d’un outillage souvent mal connu et mal nommé.
Publié le 16 décembre 2019

Certains survolent des semis sous les hélices d’un drone. D’autres surveillent un coin de parcelle, plantés à même le sol. D’autres encore, embarqués sur machine ou sur tracteur, pointent des ravageurs en présence ou président à une dose d’épandage. Capteurs ou caméras de haute résolution, ces supports identifient l’agriculture de précision, capable de réguler son action selon les informations recueillies sur une zone d’activité forcément hétérogène car vivante. « A l’origine, il s’agissait d’une technologie “push”, qui produisait de la cartographie mais ne répondait pas à une demande définie », se souvient Véronique Bellon-Maurel, directrice de l’Institut de convergences #DigitAg à Montpellier et directrice adjointe du département NUMM d'INRAE. « L’intérêt était encore limité en France il y a une vingtaine d’années, à la différence des Etats-Unis ou de l’Australie où les agriculteurs ne connaissent pas toutes leurs parcelles vue l’étendue des surfaces. Pour autant, on a vite compris l’avantage que l’on pouvait en tirer. »
« On », et au premier chef une communauté scientifique de plus en plus mobilisée par les incidences de la production sur les ressources et vice-versa. Ainsi à l’Unité mixte de recherche EMMAH - INRAE à Avignon, spécialisée dans l’étude de l’interaction entre les pratiques agricoles, les ressources hydriques et l’état des cultures « soit les réponses des cultures aux pratiques et aux ressources », précise son directeur Stéphane Ruy. « En scrutant ce qu’il se passe à l’intérieur d’une parcelle, on se rend notamment capable de moduler des pratiques comme la fertilisation ou l’irrigation à partir des données du sol. » Le recueil des données constitue l’étape clé d’un processus trop vite résumé sous l’appellation de « télédétection », qui confond en réalité plusieurs approches.
Problématique multi-échelle
« Nos travaux s’appuient sur deux grandes techniques », détaille Frédéric Baret, responsable de l’Unité mixte technologique CAPTE1 au sein de l’UMR EMMAH. « La télédétection par satellite, tous les cinq jours, permet d’avoir une idée de l’hétérogénéité d’une parcelle, de connaître l’état des sols et de la végétation et de générer une cartographie à partir de modèles, par exemple sur les besoins en eau des sols. » Cette haute résolution venue d’en haut se complète par la résolution centimétrique, effectuée au quotidien sur des surfaces plus réduites à l’aide de drones, de robots et de capteurs fixes, selon la méthode de proxi-détection2. « Trois types de capteurs sont ici à l’œuvre », poursuit Frédéric Baret. « Les caméras haute-résolution vont faciliter l’identification de maladies. Les caméras multi-spectrales Rouge-Vert-Bleu [identiques à celles des téléphones portables, par opposition aux hyper-spectrales dotées d’une borne infrarouge – ndlr] permettront, par exemple, d’estimer la teneur en chlorophylle d’une plante. Enfin, le système LIDAR3, sorte de balayage de la surface par rayon laser, va produire une image 3D de la culture. »
Tout le travail des scientifiques consiste dès lors à confronter les modèles fournis par les satellites à l’observation brute recueillie via les capteurs. La réduction des différences de données produites par l’une et l’autre sources ouvre la voie à la régulation des pratiques par des simulations prédictives, et à l’élaboration de scénarios susceptibles d’aboutir au meilleur rendement pour la moindre empreinte environnementale. Or, au vu de sa précision extrême, la proxi-détection ou télédétection à basse altitude pourrait-elle se passer de l’appui satellitaire ? « Nous avons affaire à une problématique multi-échelle », souligne Frédéric Baret. « Il y a contradiction entre haute résolution et couverture. On a souvent l’une sans l’autre. » L’argument porte tout autant en sens inverse. « Pour le pilotage des adventices, mieux vaut de la proxi ou télédétection au sol », note Thierry Caquet, directeur scientifique Environnement d'INRAE. « On peut bien localiser depuis l’espace un robot désherbant, mais pas le guider. Et gardons en tête que tous ces outils ne doivent pas devenir des “techniques prothèses”, écartant les acteurs de leur objet. » La raison humaine commande encore au traitement des données comme à celui des cultures.
1 – Acronyme contractant CAPteurs et TElédétections.
2 – La notion de « télédétection » pouvant s’appliquer aux drones selon la résolution et la distance de leur intervention.
3 – Pour Light Detection and Ranging
Portée par l’essor du numérique, l’agriculture de précision est-elle en passe d’incarner le futur de l’agriculture ? L’évolution technologique aura bien lieu. Elle n’en soulève pas moins plusieurs problèmes. Le plus immédiat concerne celui du coût pour les utilisateurs. « Les appareils de proxi-détection, ainsi que les drones, ne sont pas si nouveaux mais ils coûtent cher », rappelle Véronique Bellon-Maurel. « Un retour sur investissement trop faible explique que leur usage mette du temps à se généraliser. » D’un même tenant se pose l’enjeu de la performance, variable, des technologies en question. « La détection de carences minérales se fait assez bien par télédétection. Celle des maladies est plus compliquée, surtout par drone », poursuit la chercheuse d'Irstea qui note à cet égard le créneau prometteur des Scouting Robots4, officiant au sol, mais toujours en attente de commercialisation.
La technicité ne résout pas la question de fond directement liée aux objectifs assignés à ces dispositifs : celle du modèle d’agriculture recherché. La modulation des pratiques agricoles que vise en particulier la proxi-détection, primerait-elle sur une connaissance approfondie du vivant ? Directeur de recherche à l’UMR Agro-écologie de l’Inra Dijon, Xavier Reboud fait sienne cette critique. « Avec ces technologies, on délègue la précision du risque mais on ne caractérise pas la façon dont l’environnement absorbe le risque. Les services éco-systémiques et les substitutions aux apports d’intrants sont très mal outillés. Le modèle d’agriculture conventionnelle reste maintenu. On couvre les besoins de la plante par rapport aux objectifs de rendement, sans analyser les carences perçues par la plante elle-même. »
Un avis que ne partage pas Véronique Bellon-Maurel, qui, soulignant l’apport de la télédétection en matière de caractérisation des cultures estime que « l’agriculture biologique a autant besoin, sinon plus, de surveillance que l’agriculture conventionnelle pour honorer ses normes ».
L’euphorie technologique ne dispense pas de soutenir un modèle durable. Raison de plus, selon Thierry Caquet, pour questionner le coût environnemental de technologies en partie prévues pour réduire l’empreinte carbone en agriculture. « C’est la grande question qui n’est pas tranchée. Ces technologies sont gourmandes en ressources de terre rare et quid de leurs émissions ? »
A ce jour, indique Frédéric Baret, « l’agriculture numérique représente 17% de la consommation totale absorbée par la communication et le calcul numériques ». Il y aurait donc un peu de marge.
4 – Scouting Robots : littéralement « robots explorateurs », dotés à la fois d’une large autonomie et d’une importante capacité de détection. Fleuron de ce genre de prototypes, le robot sauteur Salto, mis au point en 2016 à l’Université de Berkeley (Californie), est désormais utilisé pour des opérations de sauvetage.
Lire le dossier en intégralité :




