Société et territoires 5 min
Démographie des exploitations agricoles : quelles perspectives à horizon 2035 ?
Dans le cadre d’un ouvrage publié par l’Insee, Laurent Piet, économiste INRAE, et des fonctionnaires de la Cour des comptes et de l’Anses, se sont intéressés à l’évolution du nombre d’exploitations agricoles en France métropolitaine au cours de la prochaine décennie. Un travail et des résultats que nous détaille Laurent Piet. Questions-réponses.
Publié le 16 avril 2024
Quelle est aujourd’hui la situation de la France en matière de démographie agricole ?
Laurent Piet : Le dernier recensement de l’agriculture, réalisé en 2020 par le service statistique du ministère de l’Agriculture, montre que le nombre d’exploitations agricoles, de même que celui des chefs d’exploitation et co-exploitants, ont encore fortement diminué sur la dernière décennie. Les exploitations étaient en effet près de 490 000 en 2010 et moins de 390 000 en 2020, soit une baisse de 20 % en 10 ans. Dans le même temps, la population des chefs d’exploitation et co-exploitants est passée de près de 604 000 personnes à moins de 496 400, soit une baisse de 18 %. C’est une tendance qui n’est pas nouvelle puisque, rien que sur la décennie précédente, la France avait déjà perdu près de 175 000 exploitations et 160 000 chefs et co-exploitants entre 2000 et 2010, soit des baisses de plus de, respectivement, 25 % et 21 % déjà à l’époque.
Ces tendances vont-elles se poursuivre dans les prochaines années ?
L. Piet : Il est très difficile de répondre à cette question tant de nombreux facteurs jouent sur ces dynamiques. De plus, anticiper comment ces facteurs sont susceptibles d’évoluer n’est pas évident. En fait, nos travaux visent à répondre à une question proche mais un peu différente : que pourrait-il se passer si les tendances que nous avons connues jusqu’à maintenant se maintiennent ?
Que pourrait-il se passer si les tendances que nous avons connues jusqu’à maintenant se maintiennent
Répondre à cette question n’est déjà pas facile car, là aussi, il ne suffit pas de « tirer un trait ». Au contraire, il faut d’abord comprendre les mécanismes sous-jacents aux évolutions passées pour, ensuite, en faisant l’hypothèse que ces mécanismes vont eux-mêmes se maintenir, construire une image de ce qui pourrait arriver à un horizon pas trop lointain, « toutes choses égales par ailleurs ». Nous avions déjà réalisé cet exercice en 2018 à partir des données du précédent recensement et construit une projection annuelle de la population de ces exploitations jusqu’en 2025. Notre modèle s’était alors révélé capable d’estimer de façon plutôt satisfaisante le nombre d’exploitations effectivement observé en 2020. Nous avons donc décidé d’utiliser la même approche avec les données du dernier recensement pour réaliser une projection à l’horizon 2035. C’est ainsi que nous avons obtenu le chiffre de 274 600 exploitations agricoles en France métropolitaine en 2035. Le rythme de diminution du nombre d’exploitations à horizon 2035 pourrait donc rester le même que celui observé entre 2010 et 2020 (-2,3 % par an en moyenne), alors qu’il était plus élevé au cours des décennies précédentes (-3,5 % par an entre 1990 et 2000 et -3,0 % par an entre 2000 et 2010).
Qu’est-ce qui pourrait venir remettre en cause ces résultats ?
L. Piet : Comme je l’ai expliqué ci-dessus, de nombreux facteurs entrent en jeu. Deux d’entre eux peuvent en particulier avoir une grande importance.
Premièrement, le dernier recensement a montré également que plus de 40 % des chefs d’exploitation et co-exploitants avaient 55 ans ou plus en 2020, et sont donc susceptibles de partir à la retraite d’ici 10 ans. Le maintien ou non des tendances passées peut en grande partie dépendre de leur choix, et en particulier du devenir des terres qu’ils vont libérer (entre l’installation de nouveaux agriculteurs et l’agrandissement de ceux déjà en place).
Deuxièmement, le recensement a confirmé le fort développement des formes sociétaires d’exploitation agricole, ce qui peut avoir deux conséquences. D’une part, cela peut conduire à une réduction du nombre des exploitations par regroupement dans une même société d’unités précédemment indépendantes. Mais, d’autre part, cela peut aussi avoir l’effet inverse : la constitution d’entités séparées, mais reliées entre elles par des détentions croisées de capital entre associés, permet en effet d’isoler, par exemple, la détention du foncier et/ou du matériel, différents ateliers de production, ou encore différentes activités de transformation, de vente ou de diversification, dans des structures juridiques distinctes. Cela conduit à multiplier le nombre de sociétés, et donc potentiellement le nombre de ce que le recensement considère comme des exploitations, alors que l’unité « fonctionnelle », celle où les décisions sont prises, est en réalité unique. Nous essayons actuellement de quantifier ce « signal faible », qui est encore peu étudié mais qui tend sans doute, justement, à devenir pas si faible que cela.
En savoir plus
Lafont F., Lamarque L., Piet L., Saint-Cyr L. D. F. (2024). Un peu moins de 275 000 exploitations en France métropolitaine à l’horizon 2035 ? In: Barry C., Fresson-Martinez C., Le Blond I. (coord.), Transformations de l’agriculture et des consommations alimentaires, Insee Références Edition, 2024, 23-24.
Piet L., Saint-Cyr L. D. F. (2018). Projection de la population des exploitations agricoles françaises à l’horizon 2025. Economie Rurale, 365, 119-133.
Mini-CV
53 ans
- Parcours professionnel
Depuis 2007 : Ingénieur de recherche INRAE, unité Structures et marchés agricoles, ressources et territoires, Rennes
2003-2007 : Chef du bureau de l’analyse économique et de la prospective, ministère de l’Agriculture et de la Pêche, Paris
1996-2003 : Ingénieur de recherche, Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (Cemagref), Bordeaux.
- Formation
2002 : Doctorat en sciences de l’environnement, École nationale du génie rural, des eaux et des forêts (Engref), Paris
1994 : Ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts, Engref.