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Résultat économique des exploitations agricoles et revenu des agriculteurs, une très grande hétérogénéité
Le revenu des agriculteurs est un sujet fréquemment débattu, d’autant que les agriculteurs ne sont pas des salariés et le revenu des exploitations n’est pas celui des ménages. Même si les questions méthodologiques de leur calcul ne sont pas anodines, un point fait consensus : la grande disparité qui les caractérise. Explications.
Publié le 27 février 2024
Évaluer le « revenu agricole » permet d’apprécier la situation économique des agriculteurs, de caractériser la rentabilité des exploitations selon leur taille, leur localisation, les systèmes de production… et de pouvoir établir des comparaisons entre années, territoires et secteurs.
La mesure du revenu agricole est cependant difficile à établir car, comme les artisans, les commerçants ou certaines professions libérales, les agriculteurs sont des travailleurs indépendants non salariés. Ils n’ont donc pas un revenu mensuel fixe. Leur rémunération est variable et dépend de l’état de la trésorerie de leur entreprise. Lorsqu’on évoque le « revenu agricole », il convient donc de distinguer le résultat économique des exploitations agricoles de la rémunération que peuvent en tirer les agriculteurs, et a fortiori leurs ménages, pour subvenir à leurs dépenses privées.
Alors de quoi parle-t-on exactement ? De la rémunération du chef d’exploitation, du résultat économique de son exploitation ou du revenu de son ménage ?
Des revenus très hétérogènes
Entre 2010 et 2022, le résultat courant avant impôts (RCAI) moyen s’élevait à 32 000 € par équivalent temps plein (ETP) non salarié, toutes exploitations confondues, en euros constants de 2022. Une moyenne qui cache néanmoins une grande variabilité, selon l’année, le secteur d’activité ou la performance des exploitations. Ainsi, les 20 % d’exploitations ayant les résultats économiques les plus faibles ont un RCAI inférieur à 6 100 € par ETP non salarié tandis que les 20 % d’exploitations ayant les résultats économiques les meilleurs ont un RCAI supérieur à 54 100 € par ETP non salarié.
Sur la même période, les exploitations d’élevages de ruminants ont présenté les revenus moyens annuels les plus faibles (par exemple 20 200 € par ETP non salarié en élevage de bovins viande).
Les revenus sont en général plus élevés dans les productions végétales, atteignant par exemple 56 300 € par ETP non salarié en grandes cultures en moyenne sur la même période. Pourtant, en 2016, année catastrophique pour les céréaliers, le RCAI par ETP non salarié était en moyenne très proche de celui des éleveurs bovins viande, soit environ 20 000 €.
Mais il existe aussi une grande disparité de revenus au sein de chaque filière. « Même en viticulture, où les revenus sont parmi les plus élevés, il existe des écarts substantiels entre les différentes appellations », précise ainsi Vincent Chatellier, économiste à INRAE.
Le niveau de résultat économique des exploitations dépend ainsi, pour une large part, de la productivité du travail, de l’efficience productive de l’exploitation (c’est-à-dire sa capacité à bien utiliser les intrants mobilisés) et de sa capacité à faire face à la dette. « En schématisant, les exploitations efficientes et peu dépendantes de la dette permettent souvent aux chefs d’exploitation de bien gagner leur vie, alors que ce n’est pas le cas pour les exploitations productives mais peu efficientes, surtout si elles sont endettées », détaille Vincent Chatellier.
Environ 15 % des exploitations agricoles françaises seraient ainsi structurellement très fragiles car elles cumulent une faible productivité du travail, une faible efficience productive et une forte dette.
Un poids élevé des aides de la Politique agricole commune
Sans les aides de la PAC, il y aurait certainement beaucoup d’exploitations qui seraient en difficulté économique.
Les aides directes versées aux exploitants dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) jouent un rôle essentiel. Sur la période 2020 à 2022, en France, elles se sont élevées en moyenne à 33 700 € par an et par exploitation. Toutes spécialisations confondues, ces aides ont ainsi représenté en moyenne 64 % du RCAI sur cette période. « Sans ces aides, il y aurait certainement beaucoup d’exploitations qui seraient en difficulté économique », commente Laurent Piet, économiste à INRAE.
Le poids des aides dans le RCAI dépend surtout de l’orientation technico-économique et de la performance de l’exploitation. Sur cette même période, les aides de la PAC ont ainsi représenté seulement 22 % du RCAI en maraîchage, secteur peu soutenu, mais 65 % en élevage de bovins lait, 78 % en céréales et oléo-protéagineux, et jusqu’à 210 % en élevage de bovins viande.
Si le montant total des aides reçues par une exploitation est toujours très lié à sa taille, en raison de leur mode de calcul, ce lien tend à s’affaiblir au fil des réformes successives de la PAC. Ainsi, les montants d’aide par hectare sont aujourd’hui plus élevés pour les petites exploitations que pour les grandes : en céréales et oléo-protéagineux, par exemple, ce montant atteint 326 € par hectare en moyenne pour les exploitations de moins de 50 hectares, contre 250 € par hectare pour celles de 200 hectares et plus.
Les indicateurs de revenu agricole
Considérons un agriculteur et son exploitation et intéressons nous à leur performance économique. Celle-ci s’exprime à la faveur de différents indicateurs dont l’excédent brut d’exploitation (EBE).
À partir de l’EBE, 2 approches sont possibles :
- dans une optique comptable, on ajoute les produits financiers des capitaux et on retire les intérêts des emprunts et les dotations aux amortissements pour obtenir le résultat courant avant impôts (RCAI) ;
- dans une optique de trésorerie, plutôt que les dotations aux amortissements qui ne sont pas de réels décaissements payés à des tiers, ce sont les annuités d’emprunt qui sont retirées, c’est-à-dire la somme du capital effectivement remboursé aux banques et des intérêts. En retirant de plus les cotisations sociales payées par l’exploitant, on obtient le revenu disponible.
C’est en fonction de ce revenu disponible que le chef d’exploitation arbitre entre les prélèvements privés qu’il effectue pour subvenir aux dépenses de son ménage, et ce qu’il conserve sur l’exploitation, notamment pour financer de nouveaux investissements. En la matière, plusieurs stratégies coexistent : certains agriculteurs privilégient les investissements aux prélèvements, d’autres préfèrent l’inverse, d’autres encore ont une approche équilibrée.
Si les prélèvements privés donnent une image plus concrète de la rémunération effective de l’agriculteur, EBE et RCAI mesurent la rentabilité économique de l’exploitation. Le RCAI est en général l’indicateur privilégié car c’est lui qui permet de calculer, chaque année, après prise en compte du résultat exceptionnel, le résultat de l’exercice comptable, c’est-à-dire si l’exploitation a fait un bénéfice ou si, au contraire, elle a été déficitaire. « Nos travaux montrent néanmoins que, si le RCAI est plus sujet à des variations conjoncturelles que les prélèvements privés, qui apparaissent lissés d’une année sur l’autre, les 2 indicateurs ont des niveaux très comparables en moyenne sur une longue période », explique Laurent Piet
De l’exploitation au ménage agricole
Au-delà de la mesure du résultat économique de l’exploitation et de la rémunération que l’agriculteur tire de son activité de production, estimer le revenu total des individus, et a fortiori de leurs ménages, nécessite de prendre en compte d’autres éléments.
En effet, il faut alors tenir également compte des autres sources de revenu de l’agriculteur et/ou de son conjoint, comme les revenus fonciers, les revenus du patrimoine, les prestations sociales et les revenus des éventuelles autres activités, dont certaines non agricoles.
In fine, la diversité des concepts et des indicateurs susceptibles d’objectiver la détermination du revenu agricole rend délicates les comparaisons avec les autres secteurs d’activité ou les autres catégories de ménages. Si une part des agriculteurs vivent des situations économiquement difficiles, d’autres réussissent à dégager de bons revenus. Une réalité qu’il convient de souligner également afin d’encourager les vocations.