
Alimentation, santé globale Temps de lecture 7 min
Daniel Tomé, un homme de références
Daniel Tomé, directeur de l’unité Physiologie de la nutrition et du comportement alimentaire, n’est jamais stressé. Il parle des recherches de son labo sur le métabolisme des protéines et de leur retentissement mondial pour la santé humaine avec simplicité et pédagogie. C’est un blagueur aussi… avec une expertise scientifique saluée par tous et un discours visionnaire sur les recherches en nutrition humaine.
Publié le 13 décembre 2016
« Je n’ai pas si mal bossé alors ». Souriant et détendu, légèrement penché sur un bureau bien dégagé, les mains à plat devant lui, Daniel Tomé, s’étonne de recevoir le Laurier d'excellence. Et plaisante aussitôt : « Je suis un sous-marin de l'Inra. » N’en déplaise à sa modestie, il n’en est pas moins expert des besoins et de la qualité de l’apport des protéines pour la population mondiale, directeur de l'unité Physiologie de la nutrition et du comportement alimentaire (PNCA) Inra/AgroParisTech, enseignant... « Ça m’amuse et me détend, » lâche-t-il dans un haussement d'épaules. Il ne peut pas s'en empêcher, il faut qu’il galèje. Dès qu'il en a l'occasion, il glisse une anecdote entre deux explications sur des publications phares de son labo : le double marquage du métabolisme complet des protéines chez l'homme. Il plaisante sur les 4 mois de travail perdu lorsqu’il était thésard « le tube de prélèvements est tombé de ma poche… » Une thèse en biochimie des protéines appliquée à la nutrition où le jeune chercheur a trouvé qu’il y avait des enjeux déterminants et nobles pour l’espèce humaine. Le ton change, devient sérieux sans être grave : « J'ai toujours eu le sentiment que l’Inra devait jouer un rôle là-dedans ».
Le chercheur
J’ai toujours porté la bannière de l’Institut
Milieu des années 1980. L’alimentation humaine est peu développée à l'Inra. Daniel Tomé se forme aux recherches cliniques en physiologie intestinale et besoins nutritionnels à l’hôpital Saint-Lazare (Inserm). Années 1990. Retour à l’Inra avec la mission d’y développer les recherches en nutrition. En 1995, il prend la tête du laboratoire PNCA. Le chercheur, qui comptabilise aujourd’hui 320 articles scientifiques, s’est révélé être un leader. Il a, s'accordent à dire ses collaborateurs, une vision globale des recherches et de la voie vers laquelle orienter ses équipes. Ce à quoi il répond, les mains dans les poches, en faisant visiter les plateformes animalières, de spectrométrie, la salle de culture cellulaire et d’immunohistologie, « c’est grâce à l'Inra que j’ai pu monter une unité avec des moyens ». Pour développer la nutrition humaine sur les besoins en protéines, il fallait accéder aux expérimentations chez l’Homme. Le directeur de recherche Inra a donc bataillé pour recruter un clinicien de l’APHP (1), Robert Benamouzig avec lequel il a mis sur pied le Centre de recherche sur volontaires de l'hôpital Avicenne à Bobigny. « C’est ici qu’on mène les protocoles et essais cliniques pour le PNCA », explique fièrement Daniel Tomé.
Optimiste et enthousiaste, il s’est lancé dans ces projets sans douter qu’il allait réussir. Déterminé et pugnace, il a réussi. Son labo fournit des données fondamentales qui servent de références au Codex alimentarius. Ils ont ouvert des pistes de recherche sur la question des processus qui conditionnent le contrôle de l’apport en protéines, leur rôle dans les déterminants du comportement alimentaire et les maladies métaboliques.
L’enseignant
« Travailler avec Daniel, ça va hyper vite. C’est un hyperactif au tempérament calme», confie Gilles Fromentin, directeur adjoint du labo et son compère depuis les bancs de la fac, « il a mis en place tout l’enseignement en nutrition humaine à l’Agro ». Mission dont l’avait chargé Paul Vialle, PDG Inra et directeur d’AgroParisTech dans les années 1990. « ça m'a amusé, ce défi ! ». Son dynamisme a convaincu. Résultat : c’est de là que sort chaque année en France la soixantaine d’ingénieurs spécialisés en nutrition humaine. Non content d’avoir formé les professeurs, il donne encore 200 heures de cours par an : « c’est relaxant ». Assurant le lien et le rôle de conseil pour le secteur agroalimenaire, il a eu l’idée de créer en 2011 la chaire Anca, un dispositif de mécénat d’entreprises.
L'expert
INRAE peut avoir un rôle géopolitique en nutrition
Depuis les années 2000, cet homme discret fait partie des comités d'experts de l’OMS, la FAO, l’EFSA, l’Anses (1) qui travaillent sur les seuils de recommandations des apports en protéines, acides aminées, vitamines A, B, C, K… Les conclusions sur les ANC (apports nutritionnels conseillés) ont un impact majeur. Ainsi, en 2007, l’apport en protéines a été revu à la hausse par l’OMS - de 0.75 à 0. 83 g/kg poids/jour. Daniel Tomé se rappelle à quel point la bataille entre experts a été rude (5 ans) pour en arriver à un accord sur ces nouveaux seuils. Depuis, tous les pays et les organisations mondiales utilisent ces données comme valeurs de référence en nutrition. « La question de la couverture en protéines de la population mondiale en 2050 est d’autant plus sensible avec les débats sur les différentes sources de protéines. Il faudrait revisiter ces standards avec les outils modernes. Les grands organismes internationaux ont besoin de data. L’Inra est capable de fournir des références précises et de qualité. » Derrière ses fines lunettes rapportées d’Inde, Daniel Tomé voit plus loin encore. « On en revient aux questions que pose l'Inra sur les stratégies agricoles. L'Institut peut avoir un rôle géopolitique plus important dans le domaine de la nutrition personnalisée pour évaluer et affiner les besoins par population. »
Et après?
Parmi ses objectifs à venir pour son labo, Daniel Tomé entend développer les techniques pour suivre la trajectoire des molécules et faire de la plate-forme de spectrométrie de masse un labo international de prélèvements rapides et de mesures. Des projets sont en cours avec la FAO et l’ IAEA (l'Agence internationale de l'énergie atomique) sur la qualité de chaque acide aminée. Avec l’Inde et le Maroc notamment, Daniel Tomé travaille à des projets de cultures riches en protéines pour valoriser les graines locales. « L’Inra est une machine énorme, c'est un avantage. Peu d’organismes dans le monde ont cette puissance de feu. C’est le plus gros organisme de recherche agricole et alimentaire qui peut orienter sa stratégie ».

- 64 ans - D. Tomé est aujourd'hui à la retraite
- 2 enfants
- Loisirs : Cinéphile, course à pied
- 1976 : Assistant de recherche, Inra Nantes, unité Science des aliments
- Thèse sur la biochimie des protéines appliquée à la nutrition, Université de Nantes
- 1984 : Chargé de recherche Inra, détaché à l’Inserm, hôpital saint-Lazare, unité Fonctions intestinales, diabète et nutrition
- 1988 : Directeur de recherche Inra ; Directeur adjoint, unité Inra Nutrition humaine et physiologie intestinale, Jouy-en-Josas
- 1990 : Directeur, unité Inra Nutrition humaine et physiologie intestinale,
- 1995 : Directeur unité Physiologie de la nutrition et du comportement alimentaire, Inra/AgroParisTech et Professeur en nutrition humaine, AgroParisTech
- Président adjoint (ex-président de 2007 à 2015) département Sciences de la vie et santé, AgroParisTech
- Membre des comités d’experts FAO/OMS/UNU
- Rapport 2007 “Protein and amino acid requirements in human nutrition”
- Président du groupe de travail Anses sur les protéines et les acides aminés (2005-2007).
- Rapporteur auprès de l’Efsa sur les ANC en vitamine A (2015), C (2013) et protéines (2012) et auprès de l’Afssa en 2007 sur l’apport en protéines : consommation, qualité, besoins et recommandations.
- Editeur associé Journal of Nutrition (American Society for Nutrition)
- Editeur académique British Journal of Nutrition (Nutrition Society)
Prix et distinctions
- 2008 : Prix IFN de la recherche en nutrition
- 2013 : Titulaire des palmes académiques
- Laurier d'Excellence INRAE 2016