Société et territoires 4 min

Comment penser les transitions ?

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Transition écologique, transition alimentaire, transition énergétique… Depuis plusieurs années, le mot « transition » s’est imposé comme une réponse indispensable pour faire face aux crises environnementales. Les transitions sont des phénomènes complexes. La recherche s’emploie à comprendre les trajectoires qui mènent à de nouveaux systèmes et les conditions qui favorisent les cheminements vers des systèmes durables. La revue PNAS consacre un numéro spécial à l’apport des études de transitions pour répondre aux problématiques environnementales. Deux sociologues INRAE y ont participé en se penchant sur deux cas d’étude : les transitions alimentaires depuis les années 1950 en France et au Royaume-Uni, et le démantèlement du réseau de tramway de Paris dans les années 1930.

Publié le 22 novembre 2023

illustration Comment penser les transitions ?
© Pixabay

Sécheresses, catastrophes naturelles, destruction d’écosystèmes… Les effets des crises environnementales sont de plus en plus visibles et importants, et sont étayés par de nombreuses preuves scientifiques. Face à ce constat, un consensus s’est formé sur la nécessité d’engager des transformations profondes de nos systèmes de consommation et de production. Les appels et revendications de transition se retrouvent dans les milieux politiques, entrepreneuriaux ou militants. Le terme « transition » (écologique, énergétique, digitale, agroécologique…) peut alors revêtir des significations différentes selon les intérêts, les perspectives et les publics visés. Si les transitions sont devenues au fil des ans un objet politique, elles ont aussi suscité l’intérêt de différentes disciplines scientifiques en tant qu’objet de recherche.

Quelles trajectoires mènent à des transitions et dans quelles conditions contribuent-elles à un monde plus durable ? Depuis les années 2000, les études de transitions cherchent à donner des clés pour éclairer cette problématique de décision et de transformation.

L’Académie des sciences américaine consacre un numéro spécial de sa revue PNAS à la contribution des études de transitions pour répondre aux problématiques environnementales.

Les transitions : de quoi parle-t-on ?

Le numéro spécial aborde les transitions sociotechniques comme des transformations fondamentales, de grande portée et à long terme, de la structure, des fonctions et des objectifs des systèmes de consommation et de production. Ce sont des phénomènes qui se déploient sur plusieurs décennies. Ils sont complexes à mettre en œuvre car les transitions découlent de processus de changement sur les plans technologiques, économiques, des connaissances scientifiques mais aussi sociaux et culturels. De plus ces transitions peuvent autant apporter des solutions aux problèmes environnementaux que les aggraver selon les orientations qu’elles prennent. C’est pourquoi la revue PNAS fait le point sur les études de transition, en intégrant 2 contributions d’INRAE : une sur les systèmes alimentaires d’une part, et uen autre sur l’arrêt des systèmes sociotechniques avec l’exemple du démantèlement du réseau de tramway parisien.

La transition alimentaire en France et au Royaume-Uni depuis 1950

Dans les années 1950, la France et le Royaume-Uni entament leur transition des systèmes agricoles et alimentaires. Le modèle de production intensif s’impose alors grâce aux convergences qui se dessinent entre innovations technologiques, politiques publiques et stratégies d’entreprises. Cependant, dans les 2 pays émergent des modèles alternatifs plus respectueux de l'environnement, comme l’agriculture biologique à partir des années 1960, mais ils ne parviennent pas à orienter les trajectoires de transition vers des systèmes plus durables du fait de ces convergences qui favorisent le modèle intensif. À partir des années 1990, les trajectoires des systèmes alimentaires français et britannique divergent notamment à cause de la différence dans la dynamique des rapports de force entre État, acteurs économiques et citoyens dans les 2 pays. En France, cela se traduit par une plus grande diversité de réseaux de distribution (circuits courts, vente directe chez le producteur, AMAP1, distributeurs de chaînes de magasins…) et de modèles agricoles (agriculture biologique, exploitation familiale, agriculture productiviste…).  Dans les 2 pays est observée une multiplication des « narratifs » de durabilité concurrents opposant par exemple solutions agroécologiques et innovations technologiques face aux enjeux climatiques, ce qui entraine une fragmentation des systèmes alimentaires.

Transport et transition : éclairage sur la fin d’un système de mobilité

Toute transition implique l’émergence de nouveaux systèmes, mais aussi la remise en question de la pérennité des systèmes établis. Ce phénomène de déstabilisation, qui peut entraîner la fin des systèmes ou en susciter le renouveau, reste peu étudié. Dans ce contexte, un chercheur INRAE s’est intéressé à la possibilité et aux conditions d’arrêt d’un système, en prenant comme exemple le démantèlement du réseau de tramways de la région parisienne entre 1900 et 1938. Ce cas permet d’illustrer une trajectoire de déstabilisation particulière, et rare, d’un déclin total. Ce déclin se fait en 2 temps : une détérioration graduelle suivie d’un programme de démantèlement accéléré. Au début du XXe siècle, la région parisienne possède un vaste réseau de tramway qui permet de desservir Paris et sa proche banlieue. Progressivement, la dégradation des conditions économiques (manque d’investissement), techniques (vétusté, embouteillages, accidents) et politiques (absence de promoteurs ou défenseurs) rend le tramway moins attractif. Les tentatives de modernisation de ce moyen de transport (innovation technique, adaptation des normes) sont interrompues par la Première Guerre mondiale (1914-1918), puis seulement partiellement mises en œuvre. Le programme de démantèlement du réseau des tramways parisiens, initié en 1929, vient ensuite accélérer son déclin, laissant la place à des modes de transport alternatifs tels que le bus et la voiture. Ce phénomène s’étend alors progressivement aux autres villes françaises. Cette étude apporte des éclairages sur la temporalité, les contextes et la gouvernance des processus de démantèlement. Elle met notamment en lumière que les politiques de démantèlement sont à voir comme l’aboutissement de processus lents et complexes, plutôt que comme la cause directe de l’arrêt de systèmes sociotechniques.

 


[1] Les associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) sont un partenariat entre un groupe de consommateurs et un groupe d’agriculteurs qui œuvrent au maintien et au développement d’une agriculture locale. Les deux parties s’engagent réciproquement les premiers à préfinancer la production et les seconds à l’assurer afin de la livrer au groupe de consommateur.

 

Références

Lamine C., Marsden T. (2023). Unfolding sustainability transitions in food systems: Insights from UK and French trajectories. Proceedings of the National Academy of Sciences, 120 (47) e2206231120, https://doi.org/10.1073/pnas.2206231120

Turnheim B. (2023). The historical dismantling of tramways as a case of destabilisation and phase-out of established system. Proceedings of the National Academy of Sciences, 120 (47) e2206227120, https://doi.org/10.1073/pnas.2206227120 

 

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Service de presse INRAE

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Claire Lamine Unité de recherche Ecodéveloppement

Bruno Turnheim Laboratoire Interdisciplinaire Sciences, Innovations, Sociétés (CNRS, ESIEE paris, INRAE, Université Gustave Eiffel)

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