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Comment les parents déterminent-ils la taille des portions servies à leurs enfants ?

Glouton ou appétit de moineau ? En France, la manière dont les parents déterminent la taille des portions données à leurs jeunes enfants aux repas est encore relativement inexplorée. Une étude menée par Sandrine Monnery-Patris du Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA) de Dijon fournit des informations précieuses sur les pratiques parentales, les facteurs qui les modulent et sur la répartition de la responsabilité entre parents et enfants.

Publié le 17 octobre 2022

illustration Comment les parents déterminent-ils la taille des portions servies à leurs enfants ?
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En 1955, un hamburger pesait 45 grammes, en 2014, il en pèse 227 ! Ce n’est pas le seul aliment ou boisson à avoir vu sa taille enfler en 50 ans (Marchiori et al., 2014)1. Cet « effet taille des portions » a pour conséquence d’induire la banalisation des grosses portions et leur intégration comme normes sociales. Avec les problèmes sur la santé que l’on connaît : prévalence de l’obésité, surpoids, diabète, maladies chroniques…

Banalisées, les grandes portions sont devenues la norme sociale.

« Aux États-Unis, l’obésité infantile a littéralement explosé ! Il y a un vrai enjeu sociétal et sanitaire à s’intéresser à la taille des portions en France, même si le problème est moins marqué », déclare Sandrine Monnery-Patris. Au quotidien, de plus grosses portions peuvent inciter les enfants à manger plus sans s’en rendre compte, altérer leur capacité d’autorégulation énergétique et se traduire par une prise de poids. Des stratégies comportementales pour spécifier « quoi », « combien », « quand » et « où » l’enfant mange auraient-elles la capacité de prévenir l’émergence d’habitudes alimentaires inadaptées ? Sandrine Monnery-Patris a décidé d’explorer ce champ de recherche en France. Elle a mené en 2020 une étude pour décrire la façon dont les parents décident de la taille des portions servies à leurs enfants, auprès d’un panel de 5 pères et 32 mères d’enfants de moins de 5 ans. À l’aide d’entretiens semi-directifs et d’enquêtes, l’étude qualitative visait à identifier les facteurs influençant la taille des portions servies au cours des repas et examiner comment les parents utilisent les informations qu’ils reçoivent, en particulier les recommandations issues du Programme national nutrition santé (PNNS).

La répartition de la responsabilité au cœur des interactions parents-enfants

Le postulat de la théorie de la « répartition de la responsabilité » veut que les parents soient responsables du choix des aliments servis à l’enfant, de leur qualité et de leur variété, ainsi que du moment et du lieu du repas. En revanche, l’enfant décide des quantités à consommer en fonction de ses sensations internes de faim et de rassasiement. C’est ce que l’on nomme la régulation énergétique, une notion importante qui montre que le très jeune enfant est tout à fait capable de réguler ce qu’il va ingérer en fonction de ses sensations. D’où l’importance de prêter attention à ces sensations de faim soulignées par les récentes recommandations du PNNS2

Le manger intuitif

L’analyse des verbatim a révélé un large éventail de pratiques parentales. Pour la plupart des parents, déterminer la taille des portions est une pratique très intuitive guidée par les habitudes, leurs expériences et le fait de « connaître leur enfant ». Ils sont confiants dans leurs capacités de « portionnement », même s’ils reconnaissent avoir des connaissances limitées concernant la taille des portions appropriées. L’expression de l’appétit de l’enfant les guide davantage que la théorie : « Cette démarche intuitive des parents pour gérer l'alimentation de leur enfant est très importante. C’est la façon la plus respectueuse d’apprendre à écouter ses sensations internes », explique la scientifique. Toutefois, les parents n’accordent pas pour autant d’autonomie à leur enfant pour décider de la quantité servie au déjeuner et au dîner. Davantage de liberté leur est accordée au petit-déjeuner et au goûter. 

Qu’y a-t-il derrière ces pratiques ?

Plusieurs facteurs influencent ces pratiques. Il y a ceux liés aux valeurs des parents, qui souhaitent que leur enfant mange une portion minimale, goûte les aliments proposés et évite le gaspillage de la nourriture. D’autres sont liés à l’enfant, ils concernent son appétit, ses préférences alimentaires, ses demandes particulières. Certains facteurs sont culturels comme le « modèle du repas à la française » : la plupart des parents ont décrit suivre le modèle de repas structuré en plusieurs composantes (entrée, plat principal, laitage/dessert/fruit) pour le déjeuner et dans une moindre mesure pour le dîner, à heure relativement fixe. À ces repas s’ajoutent le petit-déjeuner et le goûter. Et enfin, les facteurs liés à la qualité nutritionnelle des aliments sont importants : si l’enfant redemande à manger, le parent préfèrera lui resservir des légumes plutôt que du dessert. Les résultats de cette étude en France élargissent ceux d’études antérieures (notamment des pays anglo-saxons) et fournissent des informations précieuses pour l’orientation éventuelle des parents et des campagnes de santé.
1.  Marchiori D., Papies E. K., Klein O. (2014). The portion size effect on food intake. An anchoring and adjustment process? Appetite, 81, 108-115
2. Pour en savoir plus : mangerbouger.fr/

Référence : 

Philippe K., Issanchou S., Roger A., Feyen V., Monnery-Patris S. (2021). How Do French Parents Determine Portion Sizes for Their Pre-Schooler? A Qualitative Exploration of the Parent–Child Division of Responsibility and Influencing Factors. Nutrients, 13, 2769. https://doi.org/10.3390/nu13082769 

 

Mobiliser le plaisir pour augmenter la qualité nutritionnelle du goûter

Deux boxes contenant des fruits et viennoiseries et bâtons de carottes

Le goûter en France est une habitude bien ancrée, tant chez les enfants que chez les adultes. Il se caractérise par la consommation de viennoiseries, gâteaux ou biscuits, des aliments plutôt gras ou sucrés auxquels les recommandations sanitaires préfèrent les fruits, produits laitiers ou céréales. Comment améliorer la qualité nutritionnelle de cette collation sans que ce soit au détriment du plaisir ? Ce dernier participe à l’apprentissage des goûts chez les enfants et à la construction de notre répertoire alimentaire.

Le plaisir, un puissant moteur de choix alimentaire

Sandrine Monnery-Patris a conduit une étude interventionnelle avec 2 groupes d’environ 90 mères/enfants : un groupe expérimental bénéficiant d’une « intervention hédonique » a reçu 3 boîtes ciblant chacune les 3 dimensions du plaisir de manger (la dimension psychosensorielle, la dimension interpersonnelle et la dimension psychosociale) et visant à stimuler la curiosité et le plaisir de préparer, consommer et de partager des aliments de bonne qualité pour le goûter.

Le premier coffret était axé sur les fruits, le 2e sur les produits céréaliers et le 3e sur les produits laitiers. Ces 3 catégories étant recommandées par le PNNS pour la collation de milieu d’après-midi. Chaque boîte contenait une fiche sur les 5 sens, un ustensile de cuisine, une fiche de recettes, des infographies sur l’histoire et l’origine de 2 aliments cibles et un défi culinaire. Les participantes ont pu poster les photos de leurs réalisations sur un blog dédié et les enfants ont participé avec des jeux et quiz. Quant au groupe contrôle, il a reçu des boîtes liées aux arts de la table. Avant et après l’intervention, des tests en laboratoire ont eu lieu afin de reproduire le goûter en situation réelle et d’évaluer l’appréciation et la perception de la valeur santé de 10 aliments typiques du goûter. De même des journaux de suivi de consommation ont été proposés aux enfants pour évaluer l’effet de l’intervention sur leurs consommations spontanées.

Les chercheurs ont constaté d’une part chez les enfants comme chez les mères, un changement d’attitude avec une évolution positive de la relation santé/plaisir se traduisant par une augmentation de l’appréciation des aliments « sains » uniquement dans le groupe ayant reçu l’intervention hédonique. D’autre part, pour les goûters spontanément consommés à domicile, une diminution de la charge énergétique du goûter a été observée dans le groupe d’enfants qui a suivi l’intervention hédonique par rapport au groupe contrôle. 
Ces résultats inédits sont très importants car ils montrent comment une intervention qui favorise le « manger en conscience » en reconnectant l’enfant à ses sensations et au plaisir ressenti peut conduire à une diminution de la charge énergétique du goûter.

Références : 

- Poquet D., Ginon E., Sénécal C., Chabanet C., Marette S., Issanchou S., Monnery-Patris S. (2020). Effect of a pleasure-oriented intervention on the nutritional quality of midafternoon snacks and on the relationship between food liking and perceived healthiness within mother-child dyads. Food Quality and Preference, 84, 103947.

- Poquet D., Ginon E., Marty S., Franzon C., Chabanet C., Issanchou S., Monnery-Patris S. (2022). Effect of a pleasure-oriented intervention conducted at home on the energy intake of mid-afternoon snacks consumed by children. Journal of the Association for consumer research, 7 (4).

 

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