Alimentation, santé globale 3 min

L'alimentation des enfants racontée aux parents

Cherchant à en savoir un peu plus sur l’alimentation du bébé à l’adolescent, l’auteur a retracé l’expérience de son enfance. Il a alors passé cette trame romancée au crible de la science en allant interroger des chercheurs de différentes disciplines. Accompagné et guidé dans sa démarche par une chercheuse, il raconte ainsi cette tranche de vie qu’il livre aux apprentis parents d’aujourd’hui et de demain.

Publié le 31 août 2017

illustration L'alimentation des enfants racontée aux parents
© INRAE

Vous l’attendez, cet heureux événement ! Et même s’il n’est encore qu’un fœtus dont vous avez entrevu la silhouette au cours d’une émouvante échographie, vous débattez déjà de son alimentation. Sera-t-il nourri au sein maternel ? Au biberon ? Bientôt, vous vous interrogerez sur la diversification alimentaire, l’éducation au goût, le comportement et les choix alimentaires. Vous entendrez aussi parler de néophobie. Vous découvrirez qu’il est nécessaire d’éduquer votre enfant au goût et que vos pratiques influenceront son comportement alimentaire. À la lecture du mot obésité, vous constaterez que l’adolescent qui émerge à présent sous vos yeux semble parfois faire des choix alimentaires éloignés de vos principes. Dans ce domaine, beaucoup de « on-dit « sont énoncés par les médias et propagés par chacun de nous, le pédiatre jouant bien souvent le rôle de modérateur.

 

 

Éducation alimentaire familiale et scolaire, un binôme gagnant

Les auteurs :

Jean-François Desessard est biologiste et anthropologue de formation. Il est journaliste scientifique depuis plus de 30 ans.  

Sophie Nicklaus, coordinatrice scientifique de cet ouvrage, est ingénieur agronome et docteur en sciences de l’alimentation. Directrice de recherche à INRAE au Centre des sciences du goût et de l’alimentation de Dijon, elle y étudie la formation du comportement alimentaire de l’enfant. 

Chercheurs, ingénieurs et médecins qui ont accepté d’être interviewés pour l’élaboration de cet ouvrage : 

Vincent Boggio, pédiatre - Marie-Aline Charles, médecin épidémiologiste à l’Inserm - Joël Doré, directeur de recherche à INRAE, spécialiste de l’étude du microbiote - Anne Dupuy, maître de conférences en sociologie à l’université de Toulouse 2 - Marie-Laure Frelut, pédiatre - Aude Gaignaire, chargée de projet au sein de l’association dijonnaise Éveil’O’Goût - Delphine Le Douarec, responsable du service Enfants Jeunesse de la Communauté de communes de Lézignan-Corbières - Sandrine Monnery-Patris, chargée de recherche à INRAE, elle travaille au Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA) de Dijon - Thibaut Sardier, professeur agrégé de géographie au lycée Richelieu de Rueil-Malmaison - Carole Tournier, ingénieur de recherche à INRAE, elle travaille au Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA) de Dijon - Dominique Vuitton, professeur émérite d’immunologie clinique à l’université de Franche- Comté    

 Editions Quae -192 pages, août 2017 – 17,00 euros

EXTRAITS

Découverte des goûts : tout commence in utero 

Ce n’est en effet que plus récemment que la recherche a permis de mieux comprendre la vie in utero et le développement des cinq sens chez le fœtus. Parmi les expériences marquantes qui ont été menées, celle réalisée au début des années 2000 au CSGA de Dijon par Benoist Schaal et ses collègues Luc Marlier et Robert Soussignan mérite d’être rappelée*. Elle consista à mesurer à l’aide de marqueurs comportementaux d’attraction ou d’aversion envers l’odeur d’anis et une odeur contrôle les réponses olfactives chez des nouveau-nés dont les mères avaient ou non consommé des aliments fortement aromatisés à l’anis durant leurs deux dernières semaines de grossesse. Et que croyez-vous qu’il arriva ? Lors d’un premier test réalisé seulement quelques heures après leur naissance, les enfants nés de mères consommatrices d’aliments anisés orientèrent leur nez vers cette odeur d’anis qu’on leur présenta et ne firent pas vraiment de mimiques négatives, à la différence des enfants dont la mère n’avait pas ingéré de tels aliments. Les mêmes observations furent faites lors d’un test identique effectué quatre jours après. C’est donc la preuve qu’un fœtus durant la grossesse est capable d’extraire une note aromatique de l’environnement amniotique dans lequel il baigne et de conserver la trace de celle-ci en mémoire jusqu’à quatre jours après sa naissance. Quelques années auparavant, l’Américain Peter G. Hepper avait obtenu des résultats semblables chez des enfants nés de mères consommatrices d’ail**. Il avait observé en effet que ceux-ci réagissaient davantage à l’odeur de sulfure d’allyle (un composé que renferme l’ail) que ceux nés de mères non friandes de cet aromate. 

(…) À l’occasion de sa thèse***, menée au CSGA dans le cadre de l’Observatoire des préférences alimentaires du nourrisson et de l’enfant (Opaline), Camille Schwartz a observé dans un premier temps comment des nourrissons âgés de trois, six, douze et vingt mois apprécient des solutions gustatives illustrant chacune des cinq saveurs (sucré, salé, acide, amer, umami) par rapport à l’eau. Par la suite, elle a cherché non seulement à rapprocher leurs expériences alimentaires durant la première année et leur acceptation de ces solutions gustatives, mais aussi à déterminer s’il existait un lien entre l’acceptation de ces solutions et celle des aliments nouveaux introduits dans le régime alimentaire de l’enfant au moment de la diversification, entre cinq et sept mois. Ceci a permis de montrer en particulier que plus l’allaitement maternel exclusif est long, plus les nourrissons préfèrent la solution de saveur umami à l’eau à l’âge de six mois. « Cela vient du fait que le lait maternel est environ quatorze fois plus riche en acide glutamique. Or, ce dernier est un composé qui présente une saveur umami », rappelle cette chercheuse, aujourd’hui chargée de recherche à INRAE au sein du CSGA.  

* Schaal,Marlier,Soussignan, 2000. 

** Hepper, 1995.  3 Steiner, 1979.

*** Schwartz, 2009.  

 Ne jamais s’arrêter aux premières réactions de l’enfant 

Dans le prolongement d’Opaline, un autre programme, européen celui-ci, HabEat, a permis plus récemment d’aller encore plus loin dans la compréhension des périodes et des mécanismes clés dans la formation des préférences alimentaires. Là encore soutenu par

Vitagora, ce travail, auquel ont participé onze équipes pluridisciplinaires de six pays européens, dont trois équipes françaises parmi lesquelles celle que dirigeait Sylvie Issanchou, directrice de recherche INRAE au sein du CSGA de Dijon et coordinatrice de ce projet, a été financé dans le cadre du 7e PCRDT (Programme-cadre de recherche et développement technologique). À la clé, plusieurs publications scientifiques et pas moins de trois thèses, dont celle d’Éloïse Rémy qui a reçu le Prix de Recherche Louis Bonduelle 2012. « En termes de résultats, si certains n’étaient pas attendus, d’autres ont confirmé nos hypothèses », résume Sylvie Issanchou. Premier résultat que tous les parents devraient impérativement connaître : l’exposition répétée à un aliment fonctionne aussi bien que le fait de l’associer à une flaveur agréable, comme le sucre ou le sel, pendant un certain temps*. Autre recommandation issue de ces travaux et donnée aux parents et aux professionnels de la petite enfance par les différents participants à ce projet : « ne jamais s’arrêter sur les premières réactions de l’enfant ». Au niveau du contrôle de la prise alimentaire, les chercheurs ont pu observer** que les enfants qui consomment le plus en l’absence de faim quand on leur offre des aliments relativement agréables suite à un repas ne sont pas forcément ceux qui ne compensent pas bien la prise d’une petite collation offerte avant le repas – « alors qu’initialement nous pensions en effet qu’il s’agissait des mêmes enfants », indique Sylvie Issanchou. Ainsi, chaque enfant est capable d’adapter ses prises alimentaires à ce qu’on lui propose, mais de manière individualisée. Certains enfants ne résistent pas aux biscuits et autres produits salés de l’apéritif alors que d’autres craqueront plutôt sur le chariot de desserts. Au final, dans ce domaine, l’ultime juge de paix pour évaluer si un enfant « mange bien » reste... la courbe de croissance. 

HabEat comportait notamment une partie épidémiologique coordonnée par Blandine de Lauzon-Guillain, chercheuse Inserm, et Marie-Aline Charles, qui dirigeait alors l’équipe « Épidémiologie de l’obésité, du diabète et des maladies rénales : approche vie entière » du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations (CESP) de l’Inserm. Basés sur l’observation en parallèle de quatre cohortes européennes (Royaume-Uni, France, Portugal, Grèce), ces travaux ont permis d’aboutir à un premier résultat marquant***, montrant que la durée de l’allaitement dans chacune des quatre cohortes est associée à la consommation de fruits et légumes et à la qualité de leur alimentation. Ainsi, plus la durée totale d’allaitement maternel est courte, moins les enfants consomment de fruits et légumes entre deux et cinq ans. « Une observation qui est indépendante de la propre consommation en fruits et légumes de la maman », précise Marie-Aline Charles. Un résultat qui pourrait donc s’expliquer par une exposition à des saveurs plus variées que permet l’allaitement contrairement aux laits infantiles. 

Au commencement de ce programme, les chercheurs supposaient que le fait d’introduire des aliments durant une période se situant entre quatre et six mois serait associé à une meilleure acceptation des aliments plus tard. Or, il s’avère qu’il n’en est rien, les analyses réalisées n’ayant pas permis de montrer un lien concordant entre les cohortes. Aussi les chercheurs en ont-ils déduit que des liens spécifiques à certains pays entre cette période d’introduction des aliments et les consommations ultérieures s’expliquent sans doute davantage par d’autres caractéristiques propres aux pratiques d’alimentation dans chaque pays que par un lien causal direct entre l’âge à l’introduction des aliments et l’alimentation ultérieure. Un autre résultat intéressant obtenu dans le cadre de HabEat est le fait que les enfants qui sont perçus par leurs parents, assez tôt dans la vie, comme difficiles à nourrir ont une consommation moins élevée de fruits et légumes et une qualité d’alimentation moins bonne. Certes, les chercheurs le supposaient, mais ils ne pensaient pas que ce serait aussi marqué. 

*  Remy et al., 2013 ; Bouhlal et al., 2014.

 ** Remy et al., 2015.

***  Lauzon-Guillain et al., 2013.