Alimentation, santé globale Temps de lecture 5 min
La chlordécone, un poison pour longtemps
La chlordécone, un insecticide utilisé massivement en Guadeloupe et Martinique jusqu’en 1993, pour lutter contre le charançon du bananier, a contaminé les sols, les eaux souterraines, les rivières et le littoral marin. Aujourd'hui encore les animaux d'élevage sont contaminés via leur alimentation (fourrage, sol) et peuvent ainsi entraîner des risques de contamination chez l'Homme.
Publié le 01 juillet 2020
La chlordécone a contaminé 90% de la population de la Guadeloupe et de la Martinique
Un poison pour la terre, les animaux, les végétaux et les Hommes. Voilà ce qu’est la chlordécone, un insecticide utilisé massivement en Guadeloupe et Martinique jusqu’en 1993, pour lutter contre le charançon du bananier. Classée cancérogène possible, perturbateur endocrinien, reprotoxique..., elle est très difficilement dégradable dans l’environnement terrestre, où sa persistance pourrait s’étendre sur 1 à 5 ou 6 siècles, suivant le type de sol. D’après l’étude Kannari de 2018, elle contamine, à des niveaux divers, plus de 90% de la population des deux îles. Et pour cause, l’insecticide n’a pas seulement contaminé les sols, il s’est aussi répandu dans les eaux souterraines, les rivières et le littoral marin avec des conséquences dramatiques. Il est absorbé passivement par les plantes au niveau des racines, est entraîné par le flux de sève brute, et se lie préférentiellement aux composés ligno-cellulosiques des vaisseaux conducteurs, qui jouent un rôle de filtre relativement efficace. Il en résulte un gradient de contamination des organes des plantes, avec une concentration maximale au niveau des racines, rhizomes et tubercules, et minimale pour les fruits des solanées, des bananiers ou des arbres fruitiers. Il est désormais impossible de cultiver les légumes racines (igname, carotte, patate douce...) dans les zones polluées (>100 mg de chlordécone / kg de sol sec), et même les fourrages consommés par les animaux sont significativement contaminés sur les sols les plus pollués.
Les animaux d'élevage contaminés
En outre, des travaux menés par INRAE et l’Université de Lorraine dans le cadre du projet INSSICCA financé par l’ANR ont démontré que les bovins ingèrent de 20 à 100 g de sol pour chaque kg de matière sèche de fourrage ingéré. Or, la totalité de la chlordécone mesurée dans le sol se retrouve dans l’organisme de l’animal qui l’ingère, pouvant conduire à des contaminations très fortes. Des analyses réalisées sur des porcs élevés en plein air ont montré des niveaux de contamination des tissus jusqu’à 70 à 80 fois supérieurs à la limite autorisée ! Bien sûr, des tests sont systématiquement réalisés dans les abattoirs, afin d’écarter les carcasses trop contaminées, mais les conséquences économiques peuvent être difficiles à supporter pour les éleveurs, en particulier pour les éleveurs bovins, les plus concernés. Pourtant, des solutions existent pour limiter l’exposition des consommateurs. Ainsi, les chercheurs ont observé que la concentration de chlordécone dans les animaux et leurs produits (viandes, laits, oeufs) diminue avec le temps, dès qu’ils ne sont plus exposés. La concentration en chlordécone de l’organisme est divisée par deux au bout d’une semaine chez la poule, trois semaines chez la chèvre, trois et demie chez le mouton, six chez le boeuf et sept à huit semaines chez le porc (pour mémoire, il faut 10 à 17 semaines à l’Homme pour éliminer la moitié du polluant).
Et demain ?
Assurer une décontamination avant abattage
Pour cette raison, les scientifiques s’orientent maintenant vers la recherche de solutions qui soient techniquement efficaces, économiquement viables et socialement acceptables par la population. Plusieurs options biotechniques et organisationnelles sont envisagées avec les éleveurs, comme l’engraissement des bovins contaminés, soit sur des parcelles non polluées, soit dans des unités d’engraissement hors-sol, pour assurer une décontamination la plus complète possible avant abattage. Pour évaluer ces options, un projet Casdar vient d’être déposé par ITEL (Institut de l’Elevage de Guadeloupe), le centre INRAE Antilles-Guyane et l’Université de Lorraine. Enfin, INRAE apporte un soutien scientifique au programme régional de prévention Jardins Familiaux (JAFA) pour promouvoir des techniques de culture et d’élevage des volailles qui permettent aux particuliers auto-consommateurs de produire leurs oeufs, volailles ou légumes en minimisant leur risque d’exposition à la chlordécone.
Quelles informations sur le chlordécone étaient disponibles aux différentes périodes ? Quelles décisions ont été prises ? Quel a été l’enchaînement des différents évènements ? Une meilleure compréhension de cette histoire du chlordécone peut aider à éclairer les orientations et les concertations futures en matière de gestion des risques, notamment pour les populations concernées par les problèmes résultant de l’utilisation intensive de cette molécule en Martinique et en Guadeloupe au cours des années 1970 et 1980.
Deux études réalisées par des scientifiques de l’Anses et de l’Inra apportent un éclairage sur l’histoire du chlordécone dans les Antilles françaises :
- L’autorisation du chlordécone en France 1968-1981, Matthieu Fintz, Anses. (PDF)
- La saga du chlordécone aux Antillles françaises : reconstruction chronologique 1968-2008, Pierre-Benoit Joly, INRAE. (PDF)