Société et territoires 8 min

Champs électromagnétiques et courants parasites : que sait-on de leurs effets sur les animaux d’élevage ?

Certains éleveurs de vaches laitières constatent des baisses de production significatives et autres effets délétères dans leurs élevages, qui les conduisent à suspecter l’effet de champs électromagnétiques ou de courants parasites. Dans la grande majorité des cas, la mise en conformité électrique des exploitations apporte une réponse efficace. Dans un petit nombre de cas récalcitrants, ces actions restent sans effets sur les problèmes observés, avec des conséquences très graves, sources d’un fort désarroi chez les éleveurs et pouvant entraîner jusqu’à l’arrêt de leur activité. Ces situations génèrent des tensions entre les parties prenantes, avec comme question en suspens les liens de causalité entre infrastructures électriques collectives (lignes électriques, éoliennes…) et santé des élevages. Depuis 2022, INRAE coordonne un groupe de travail pluridisciplinaire sur ce sujet complexe et controversé. État des lieux et perspectives.

Publié le 22 avril 2024

illustration Champs électromagnétiques et courants parasites : que sait-on de leurs effets sur les animaux d’élevage ?
© AdobeStock

Un groupe de travail pluridisciplinaire réunissant 14 organismes* a été constitué en mai 2022 autour de la problématique des effets des champs électromagnétiques et courants parasites sur les élevages. Ses objectifs sont d’identifier des verrous scientifiques à lever, proposer et mettre en place des programmes de recherche-développement pour combler les manques de connaissances, permettre d’objectiver précocement le diagnostic en cas de suspicion d’effets électriques et proposer des solutions. Il vise aussi à améliorer les offres de service et de formation à destination des éleveurs, des conseillers en élevage, voire des énergéticiens. Ceci suppose une harmonisation des recommandations en termes de diagnostic électrique général et de méthodes de suivi des animaux. Ces travaux permettront aussi d’identifier des démarches de communication susceptibles de faire évoluer une controverse vers sa résolution.

Retour sur l’émergence du sujet et les besoins de recherche

Les animaux – en particulier les bovins – peuvent être exposés à des courants parasites au pâturage comme en étable. Depuis la fin des années 1990, on sait que les risques les plus fréquents sont internes à l’exploitation, liés à des installations électriques mal isolées ou déficientes. Cependant, les champs électromagnétiques associés au déploiement de certaines énergies renouvelables, de lignes à haute ou très haute tension et d’antennes relais, sont suspectés eux aussi de générer des effets potentiellement néfastes sur la santé, le bien-être et le comportement des animaux, avec des conséquences sur la productivité des exploitations agricoles.

Courants parasites pour l'élevage (Source GPSE)

En savoir plus (fiche Académie d’Agriculture de France)

À ce jour, la question reste quasiment vierge d'études scientifiques rigoureuses et de résultats débouchant sur des liens de causalité entre infrastructures électriques collectives et santé des élevages. Les élus locaux et les chambres d'agriculture sont en première ligne face aux questions d'éleveurs parfois en grande détresse.

Identification de besoins en termes de recherche

  • Novembre 2020 : préconisations de la mission interministérielle Conseil général de l’environnement et du développement durable du ministère en charge de l’Environnement (CGAAER-CGEDD), sur « L’état des élevages à proximité du parc éolien des Quatre seigneurs en Loire-Atlantique »
  • Février 2021 : audition publique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sur ce sujet, suivie de la publication d'un rapport dirigé par le député Philippe Bolo
  • Octobre 2021 : expertise collective de l’Anses sur « l’Imputabilité à un champ d’éoliennes d’effets rapportés dans 2 élevages bovins »
  • Mai 2022 : création du groupe de travail pluridisciplinaire animé par INRAE*
  • Été 2023 : le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire sollicite le CGAAER pour réaliser une enquête de terrain pour dresser un panorama national et multi-espèce de la diversité des situations rencontrées, dont les résultats seront prochainement disponibles
  • Avril 2024 : 7 réunions tenues par le groupe de travail pluridisciplinaire, 5 axes de recherche identifiés et 4 projets de recherche qui ont démarré.

Effets des courants sur les animaux d’élevage : des connaissances encore insuffisantes

Les recherches passées sur les effets des courants parasites en élevage ont concerné particulièrement les élevages bovins laitiers. La sensibilité de ces élevages tient sans doute à la faible résistance électrique corporelle des vaches, à leur taille et aux sols qui peuvent devenir de bons conducteurs d’électricité lorsqu’ils sont très humides (Rigalma et al. 2009). L’effet des courants parasites sur les bovins a été quantifié surtout pour les équipements électriques présents sur les exploitations ou imputables à des lignes de transport d’électricité proches (Anses, 2015). Pour ces courants, majoritairement alternatifs à 50-60 Hz, une certaine unanimité existe quant au seuil d’exposition minimum auquel il est observé une modification du comportement des vaches laitières. Une limite à ces études est que les seuils de perception moyens mettent au jour une certaine hétérogénéité d’impact sur les animaux, non expliquée à ce jour. Une autre limite est que ces études ne concernent pas les courants induits par des systèmes de production d’électricité utilisant des énergies renouvelables.

Cinq axes de travail complémentaires

La réflexion engagée par le groupe de travail aborde ce sujet complexe de manière pluridisciplinaire avec des compétences zootechniques (santé animale, physiologie, bien-être, production), électriques (infrastructures électriques collectives, transmissions d’ondes électromagnétiques et d’autres signaux électriques dans l’environnement contraint par ces infrastructures, exposition de l’animal à des courants parasites, métrologie embarquée), et en sciences de l’information et de la communication (formation, information, controverses et conflits). Cinq axes ont été identifiés :

Axe 1 : observatoires et ressources pour des approches épidémiologiques

L’objectif sera ici de relier les données de santé et de production en élevage à celles des installations électriques et des sols à l’échelle nationale. Cette approche permettra d’améliorer la connaissance des problèmes potentiellement reliés à des courants parasites issus d’installations électriques, et de leurs déterminants.  

Axe 2 : analyse fine des perturbations électriques générées par des infrastructures électriques collectives dans les sols et impacts possibles en termes de courants induits localement

Il s’agit d’aider à identifier les situations potentiellement à risque pour les élevages. Des recherches sont nécessaires pour comprendre les interactions entre le sol, le sous-sol et différents types d’infrastructures électriques collectives (lignes électriques, éoliennes, etc.) en termes de champs électromagnétiques et courants électriques qu’ils sont susceptibles d’induire. Le but est d’établir des diagnostics différenciés selon les sites et les contextes associés, par exemple entre périodes humides ou sèches. Prendre en compte la variabilité dans le temps des propriétés du sol constitue un double défi sur les plans méthodologique (développement de dispositifs de mesures en continu) et scientifique (variations de la résistivité électrique des sols, comportement électromagnétique de l’environnement). 

Axe 3 : comportement, santé et bien-être des animaux en conditions expérimentales et de terrain

Il convient ici de développer des dispositifs de mesures et d’acquérir des données sur les animaux à la fois en conditions de terrain et en conditions expérimentales, avec un seuil de perception établi pour une fréquence de 50 Hz, voire une plage de fréquence élargie. Un autre objectif sera de définir les seuils de perception des bovins pour d’autres types de courants, notamment les courants continus, ce qui nécessitera de comprendre les sources de variabilité individuelle de la résistance corporelle des bovins.

Axe 4 : Controverses sur le sujet, formation et communication

Cet axe rassemble des besoins en termes de partage des connaissances scientifiques, formations basées sur celles-ci et de communication auprès des éleveurs et de toutes les parties prenantes. Il pose également la question de la manière de traiter les controverses sur le sujet.

Axe 5 : Outils et harmonisation des méthodes pour le diagnostic et l'intervention

L’objectif est de proposer des outils de diagnostics harmonisés en exploitation agricole, permettant d’orienter efficacement les solutions à proposer. Cela inclut les méthodes de mesure des tensions parasites et des champs électromagnétiques, la maitrise des appareils de mesure, la bonne interprétation des données, tenant compte du comportement des animaux par des approches éthologiques.

Des programmes de recherche et développement déjà engagés

Mesure et analyse des courants induits dans les sols et sous-sol

Le BRGM a développé ces dernières années des capteurs et un protocole de mesures pour cartographier et suivre dans le temps l’intensité des champs électromagnétiques induits dans les sols par des infrastructures énergétiques (parc éoliens, photovoltaïques, lignes électriques, etc.). Cette nouvelle approche a été testée et validée sur deux zones d’étude : l’une à proximité d’un parc éolien en Loire-Atlantique en collaboration avec la DREAL de la Région des Pays de la Loire, l’autre à proximité d’une ligne très haute tension dans la Manche en collaboration avec le GPSE.

 

Eoliennes et élevages

Le projet AgroE2 (Agronomie et Énergie respectueuse de l’Environnement), lancé en 2024 pour 3 ans, est soutenu financièrement par l’Ademe. Il évalue les impacts des implantations d’éoliennes à proximité d’exploitations agricoles, principalement bovines, avec trois axes de recherche : 1) développer une méthodologie de diagnostic prenant en compte les spécificités des éoliennes ; 2) déployer cette méthodologie dans des exploitations pour déterminer l’impact réel des éoliennes ; 3) définir la sensibilité des animaux à des expositions électriques pour prendre en compte l’ensemble des fréquences (fondamentales, harmoniques et transitoires) générées par le système électrique associé aux éoliennes. Ce projet réunit l'Université de Limoges en collaboration avec ENCIS Environnement, l'Idele, INRAE et les chambres d'agricultures.

Outils pour objectiver l’exposition et harmoniser les méthodes d’intervention en élevage bovin

Ce projet, démarré en 2022, est financé par la CNE et le Cniel. Les premiers résultats de ce travail ont abouti à la mise au point d'un prototype embarqué pour des mesures directement faites sur les animaux. Ceci permet de collecter des données sur les emplacements où les vaches sont les plus soumises à des courants susceptibles de les perturber. En complément, à partir d’une enquête sur les pratiques des intervenants de terrain, ce travail a permis de lancer l’harmonisation de diagnostic électrique. En 2024, il est prévu de finaliser l’ensemble de ces travaux pour en utiliser les résultats dans les autres programmes de recherche et développement sur le sujet. 
Ce projet est piloté par l’Idele, avec l’université de Limoges (Laboratoire XLIM), le GPSE, les CRA Bretagne et Pays de la Loire, les GDS/contrôle laitier, le CROCIT Bretagne, INRAE, RTE, l’ESA, la SNGTV.

 

Controverses et communication

SICECLAIR, démarré en mars 2024, est un projet financé par l’Ademe pour 3 ans, qui intègre une thèse de doctorat. L’objectif est de décrypter l’apparition et l’évolution de la controverse, de comprendre les enjeux et mécanismes qui lui ont permis de s’installer, de la cartographier dynamiquement avec un repérage et une caractérisation des modes de rationalité en opposition ainsi qu’une analyse des termes du débat. Le projet identifiera les éléments de communication susceptibles de générer/amplifier la controverse ou de la faire évoluer vers une résolution. Il nourrira une connaissance plus générique des controverses socio-scientifiques (émergence, fonctionnement, circulation médiatique) et des méthodologies pour leur étude. Pour cela, ce projet fera un état de l’art des travaux scientifiques sur le sujet (publications et avis d’experts), réalisera des enquêtes de terrain et analysera les informations relayées par des médias traditionnels et numériques.
Ce projet réunit Avignon université, INRAE, l'université de La Réunion, Idele, et l'Ademe.

Perspectives

Les prochaine étapes auront comme priorités de renforcer financièrement l’axe 2 en diversifiant les sites de mesures, et l’axe 3 avec notamment l’étude de l’effets des courants continus sur les bovins. À ces deux priorités de recherche s’ajoutera l’instruction des ressources disponibles pour développer une plateforme de données pour des approches épidémiologiques.  

* MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE

Le groupe de travail piloté par INRAE, réunit le Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE), l’Institut de l’élevage (Idele), le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), le Centre national de référence pour le bien-être animal (CNR BEA), l’université de Limoges, Avignon-Université, l’université de La Réunion, le fonds de formation Vivea, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité français RTE, les chambres d’agriculture avec la représentation de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne et le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux du ministère en charge de l’Agriculture). 

 

 

 

Nicole Ladet & Groupe pluri-disciplinaireRédaction

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