Biodiversité agricole et changement climatique : la végétation des bordures de champs a déjà évolué en 10 ans

COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Des scientifiques d’INRAE et de l’Anses ont étudié l’évolution de la végétation des bordures de champs de 500 parcelles agricoles en France hexagonale pour comprendre les effets du changement climatique et des pratiques agricoles sur ces plantes. Leurs résultats, publiés dans Ecology Letters, font le constat qu’en 10 ans la température moyenne a augmenté de 1,2 °C et l’humidité des sols a diminué de 14 % dans ces parcelles. Les travaux montrent que les communautés de plantes des bordures de champs ont changé en conséquence pour inclure davantage d’espèces dotées de stratégies de tolérance à la chaleur et à l’aridité, au détriment d’espèces capables de résister aux perturbations liées aux pratiques agricoles. Des pratiques d’atténuation du changement climatique, telles que les couverts végétaux et l’agroforesterie ou encore la réduction d’usages d’intrants en agriculture, permettraient de préserver les capacités d’adaptation de cette biodiversité.

Publié le 05 mars 2025

© INRAE - Christophe Maitre

En France, la biodiversité des paysages agricoles joue un rôle croissant dans les stratégies de conservation de la biodiversité. Les bordures de champ occupent une position intermédiaire entre les milieux naturels et les champs cultivés. Elles présentent un intérêt particulier pour étudier à la fois les effets des pratiques agricoles et du changement climatique sur la biodiversité. En effet, ces bordures abritent aussi bien des espèces adventices (gaillet gratteron, cirse des champs) plus ou moins adaptées aux perturbations agricoles, que des espèces prairiales (oseille des prés, gesse des prés) qui sont importantes à conserver. Ces bordures jouent également un rôle écologique primordial en tant que zones de refuge et corridors de dispersion pour de nombreuses espèces, y compris des auxiliaires de culture, des espèces qui repoussent ou régulent les ravageurs.

Un réseau de 500 parcelles pour étudier la biodiversité des bordures de champs

Depuis 2012, dans le cadre du plan Ecophyto, le ministère en charge de l’Agriculture organise le réseau de biovigilance 500 ENI (Effet non intentionnels) pour suivre les effets non intentionnels des pratiques agricoles sur la biodiversité des bordures de champs. Environ 500 parcelles ont été choisies pour être représentatives des systèmes agricoles de France hexagonale, dont 20 % en agriculture biologique, sur 3 types de cultures : grandes cultures, vignes et cultures maraîchères. Entre 2013 et 2021, les scientifiques ont analysé les données botaniques, les données météorologiques de Météo-France (température, humidité du sol), ainsi que les données sur les pratiques agricoles déclarées par les agriculteurs incluant l’utilisation de fertilisants et d’herbicides ainsi que la gestion de la végétation dans la bordure par fauchage.

Des effets marqués du changement climatique sur les parcelles agricoles

Leurs résultats mettent en évidence des changements climatiques très marqués sur les 500 parcelles avec une augmentation moyenne de la température de 1,2 °C et de diminution de l’humidité des sols de 14 % en près de 10 ans. Dans le même temps, les pratiques agricoles sur les 500 parcelles n’ont pas significativement changé, bien qu’une légère baisse de la fréquence des fauchages des bordures de champs ait été observée.

Selon les espèces et les milieux dans lesquels elles vivent, les plantes peuvent adopter 3 stratégies fondamentales :

  • la stratégie stress-tolérante, liée à la capacité des plantes à résister aux contraintes environnementales entraînant un manque de ressources (aridité, sol peu fertile…),
  • la stratégie de compétitivité pour maximiser l’acquisition des ressources nécessaires à une croissance rapide dans les milieux favorables,
  • et la stratégie rudérale qui permet aux plantes de résister aux perturbations de leur environnement, liées notamment aux activités humaines, mais qui peuvent aussi être des événements naturels comme des inondations.

Chaque plante ne peut adopter qu’une seule de ces stratégies à la fois. Les communautés végétales reflètent donc des compromis entre ces différentes stratégies, selon les contraintes environnementales qui s’exercent le plus sur elles. En lien avec les changements climatiques marqués dans les parcelles sur la période étudiée, les scientifiques ont observé des changements dans les communautés végétales des bordures de champs avec un déclin progressif des espèces végétales à stratégie compétitive et rudérale au profit d’espèces à stratégie stress-tolérante.

Les communautés d’espèces végétales sélectionnées par l’augmentation des températures et l’aridité seraient donc mal adaptées pour résister aux effets des pratiques agricoles conventionnelles. Afin de préserver au maximum leur potentiel d’adaptation, des pratiques d’atténuation du changement climatique, telles que les couverts végétaux et l’agroforesterie ou encore la réduction d’usages d’intrants en agriculture, permettraient de préserver les capacités d’adaptation de cette biodiversité.

Les changements de pratiques ont augmenté la diversité des végétaux entre les rangs de vignes

Les scientifiques de l’Anses, en collaboration avec des collègues de l’Institut Agro Montpellier, ont mené une étude sur l’évolution de la biodiversité des plantes adventices dans les vignes. Complémentaire à celle menée avec INRAE, elle montre l’effet de la baisse de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans un contexte de changement climatique. Les scientifiques ont réalisé en 2020 et 2021 une recherche sur les mêmes parcelles et en utilisant les mêmes protocoles que ceux utilisés par une étude réalisée en 1978 et 1979.

« Les pratiques agricoles dans les vignes sont devenues moins intensives, explique Guillaume Fried, chargé de projet dans l’unité Entomologie et botanique du Laboratoire de la santé des végétaux de l’Anses. L’utilisation des herbicides est désormais limitée aux pieds des vignes et leur utilisation entre les rangs a été remplacée par la tonte ou le travail du sol. » En 40 ans, la température moyenne des parcelles en été a augmenté de 2 °C et l’écart entre les températures les plus froides et les plus chaudes est plus important d’1,2 °C.

Dans les sites où l'amplitude thermique a le plus augmenté entre 1978 et 2021, les scientifiques ont noté une progression des espèces tolérantes au stress, tandis que les espèces rudérales ont régressé. Cela confirme le patron observé dans l’étude copilotée avec INRAE. Dans les vignes du Montpelliérais, ces changements se sont accompagnés d’une augmentation de la diversité de plantes : elles sont 41 % plus abondantes et 24 % plus diversifiées. Ce résultat peut être mis en relation avec le développement simultané de pratiques plus agroécologiques dans les vignobles, qui offrent aux communautés de plantes de meilleures conditions pour s’adapter au dérèglement climatique.

Lire la publication Climate and management changes over 40 years drove more stress-tolerant and less ruderal weed communities in vineyards pour en savoir plus.

Référence

Poinas I.,Meynard Ch. N., Fried G. (2025). Plant species better adapted to climate change need agricultural extensification to persist. Ecology letters, DOI : 10.1111/ele.70030

cp_impact-agri-cc-biodiv-bordures-champs.pdfpdf - 954.80 KB

Contacts scientifiques

Isis Poinas

Unité de recherche Plantes et systèmes de cultures horticoles

Christine N Meynard

Centre de biologie pour la gestion des population (INRAE, Cirad, IRD, Institut Agro, Université de Montpellier)

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