Parsada, un tremplin pour renouveler le biocontrôle
Comment anticiper le retrait de substances actives pesticides encore très utilisées par certaines filières, afin d’éviter les impasses pour les producteurs ? Quelles solutions alternatives mobiliser ? Les projets financés par le plan Parsada visent à produire des innovations qui répondent aux besoins des filières, avec une capacité à être appropriés et déployés largement. Ils font la part belle à une nouvelle génération de solutions. Le point avec Christian Huyghe, co-président du conseil scientifique de Parsada, et Christian Lannou, coordinateur du Parsada pour INRAE.
Publié le 17 février 2025

Qu’est-ce que le Parsada ?
Sur 290 substances actives pesticides utilisées en France, 75 pourraient perdre leur autorisation d'usage d'ici 5 ans
Christian Huyghe : Parsada, lancé en 2024, est un axe majeur du plan Ecophyto 2030 qui recherche et développe des alternatives à la protection chimique des cultures pour les productions susceptibles d’être confrontées au retrait prochain de substances actives pesticides. Sur un ensemble de 290 substances actives utilisées en France, le ministère de l’Agriculture a anticipé que 75 d’entre elles pourraient perdre leur autorisation d'usage au cours des 5 prochaines années. L'objectif du plan est donc d’anticiper ces retraits potentiels en développant des solutions de protection des cultures efficaces, économiquement et techniquement adaptées aux besoins des producteurs. Les solutions sont recherchées dans une approche à 360°. Elles reposent en général sur des combinaisons de leviers à effet partiel et visent à mobiliser autant que possible les démarches de prévention et de prophylaxie. Ce plan a des visées applicatives très fortes.
Christian Lannou : À travers l'établissement de plans d'action, les filières agricoles contribuent à définir les objectifs de recherche et développement du Parsada et en structurent les appels à projet. Le Plan a été doté d'un budget de 146 M€ engagés sur l'année 2024. Un budget conséquent devrait être mobilisé les deux prochaines années. Le Parsada est un outil majeur des politiques publiques pour la transition agroécologique, avec 3 caractéristiques essentielles : il anticipe les difficultés au lieu d'intervenir en réaction et en urgence ; il est co-construit avec les filières et ainsi les mobilise pleinement ; il est doté de moyens importants qui permettent de soutenir des projets ambitieux.
Comment INRAE mobilise ses recherches pour le Parsada ?
Travailler en lien étroit avec les acteurs du développement et déboucher sur des solutions pratiques
Christian Lannou : La recherche a bien sûr un rôle essentiel à jouer dans ce plan, avec 2 critères à respecter : travailler en lien étroit avec les acteurs du développement, notamment les instituts techniques agricoles, et déboucher sur des solutions pratiques. INRAE a construit sa participation au Parsada de manière à apporter un ressourcement scientifique à ses partenaires du développement, pour augmenter la gamme des solutions appropriables par les différentes filières. Cela inclut des méthodologies génériques pouvant être déclinées sur différentes cultures aussi bien que des approches spécifiques à certaines filières. L’ensemble participe à un effort global de reconception des systèmes de production.
Ainsi, sur la première vague du Parsada (2024), INRAE a porté 6 projets, en coordination, engageant 15,1 M€ de salaires publics avec une subvention totale obtenue de 20,5 M€. Il est aussi partenaire de 10 autres projets engageant 2,9 M€ de salaires publics pour une subvention totale obtenue de 5,6 M€.
Quelles sont ces nouvelles solutions génériques ? En quoi vont-elles transformer la protection des cultures ?
Christian Huyghe : Nos priorités sont allées vers l’écologie chimique, la durabilité des solutions de protection, la lutte biologique par acclimatation et les alternatives à la maîtrise des adventices.
L’écologie chimique joue sur les odeurs dans le paysage pour « perdre » les insectes ravageurs ou les attirer dans des pièges, sans affecter les espèces non ciblées. Grâce à une méthodologie de rupture, le projet ARDECO vise à augmenter les connaissances et améliorer les technologies pour produire à haut débit des composés olfactifs. Ces molécules seront reprises et formulées par des entreprises partenaires puis déployées sur un nombre important de ravageurs difficiles à contrôler.
La durabilité des solutions de protection n’est jamais totalement acquise. La protection des cultures est confrontée à de nombreux cas où un ravageur, un agent pathogène, une adventice concurrente à la culture deviennent résistants au pesticide appliqué pour l’éliminer ou aux variétés qui pourtant leur résistaient. Le projet ASAP propose, en partenariat étroit avec les filières, de produire des recommandations d'usage pour ralentir les adaptations des bioagresseurs aux méthodes de lutte. Pour cela, il anticipe et surveille ces phénomènes évolutifs et favorise les combinaisons de leviers alternatifs de manière à assurer une meilleure durabilité des systèmes de protection.
La lutte biologique par acclimatation vise à installer durablement autour des parcelles à protéger une espèce dite auxiliaire qui va s'attaquer à un ravageur. Un cas classique est l'usage d'un hyménoptère (micro-guêpe) qui va se nourrir de chenilles. La population du ravageur sera ainsi maintenue sous un seuil non dommageable au revenu de l’agriculteur sans occasionner des interventions répétées. MOBACCLIM a pour ambition de décupler les capacités françaises de mise en œuvre de lutte biologique par acclimatation et d'assurer un transfert méthodologique aux filières qui souhaitent s'autonomiser sur ces approches. Cette forme de lutte peut être combinée à d’autres leviers comme la technologie des insectes stériles.
La maîtrise des adventices appelle de nouveaux leviers face au retrait possible de nombreux herbicides et aux très nombreuses résistances déjà présentes vis-à-vis des herbicides disponibles. PARAD vise à soutenir et accompagner la transition agroécologique dans la gestion des adventices. Ce projet mobilise des approches agronomiques et des innovations pour les agroéquipements. Il vient conforter les connaissances biologiques nécessaires à la gestion des adventices, qui seront à disposition des projets construits par les filières. Il inclut un volet ambitieux sur l'accompagnement pour assurer une bonne appropriation des innovations technologiques, et des combinaisons de pratiques qui seront proposées.
ARDECO va construire une infrastructure d’écologie chimique capable de produire à haut débit des médiateurs chimiques, autrement dit des composés organiques volatils d’origine naturelle (notamment des phéromones), pour le biocontrôle d’insectes ravageurs des cultures. Le projet intègre toutes les étapes depuis l’identification des médiateurs chimiques au laboratoire jusqu’à leur test sur le terrain. Il est mené avec 4 partenaires académiques (unités INRAE iEES, IGEPP, PSH ainsi que l’université Côte d’Azur), 5 instituts techniques (Arvalis, Fnams, Terre Inovia, Unilet, Astredhor) et 3 compagnies privées (Koppert, Agriodor, Compagnie des Amandes). Subvention totale = 6,8 M€ ; INRAE = 5,5 M€
ASAP vise à ralentir les adaptations des bioagresseurs aux méthodes de lutte actuelles. Il anticipe, surveille et cherche à éviter ces phénomènes évolutifs, en partenariat étroit avec les filières pour des situations sensibles comme le mildiou de la pomme de terre, les adventices ou les pucerons en grandes cultures, la perte d’efficacité de la confusion sexuelle en arboriculture, etc. Il associe 7 unités de recherche INRAE (PSH, Bioger, Agroécologie, ISA, CBGP, iEES, IGEPP) et 2 unités de recherche Anses ; 11 instituts techniques (Arvalis, Terres Inovia, ITB, IFV, GRCETA Basse Durance, Itab, IT2, Unilet, Fnams, Iteipmai, APEF). Subvention totale = 3,5 M€ ; INRAE = 2,25 M€
MOBACCLIM a pour ambition de créer un centre d’expertise, de mise en œuvre et d’accompagnement de programmes opérationnels de lutte biologique par acclimatation. Il sera capable de porter simultanément jusqu’à 5 programmes en collaboration avec les acteurs des filières, de transférer les savoir-faire à des acteurs tiers pour les phases de déploiement à large échelle, d'apporter de l’expertise, du conseil, de l’accompagnement, des formations et des outils aux acteurs. Il réunit 4 unités INRAE (ISA, UE Horti, PSH, UE Avignon), université Côte d’Azur, Centres et instituts techniques (CTIFL, ASTREDHOR, IFPC, CETA Cavaillon, GRCETA Basse Durance, Invenio, Unilet, Polleniz, Senura), chambres d’agriculture (07, 69, 84), FREDON (CVL, GE, NA). Subvention totale = 5,6 M€ ; INRAE = 3,72 M€
PARAD est destiné à accompagner la transition agroécologique de la gestion des adventices. Il apportera une meilleure connaissance des traits biologiques explicatifs des échecs de contrôle de la flore adventice, une optimisation des leviers agroécologiques disponibles, un saut dans l’innovation technologique pour détecter, identifier et contrôler les adventices par des agroéquipements. Il évaluera des combinaisons de pratiques en situation de production, en impliquant agriculteurs et acteurs des territoires, ainsi que des éléments pour agir via la formation initiale et continue. Le projet concerne les filières grandes cultures, vigne, arboriculture, fruits et légumes frais et transformés, horticulture, plantes aromatiques, médicinales ou à parfum, et Bio. Il associe 19 partenaires financés dont 10 unités de recherche, 8 unités expérimentales, 11 centres et instituts techniques, 2 groupes d’agriculteurs, auxquels s’ajoutent 12 partenaires en prestation. Subvention totale = 7,46 M€ ; INRAE = 4,9 M€
Et du côté des filières ?
Christian Lannou : Deux projets très innovants sont également portés par INRAE en réponse à des besoins spécifiques. Le premier, GETUP, va développer une connaissance et un usage du microbiote pour protéger la vigne contre le mildiou, 1er problème sanitaire de cette filière. C’est une voie innovante susceptible de démultiplier les possibilités pour le biocontrôle et la biostimulation. Le projet va identifier les microorganismes conférant une protection contre la maladie, via une action directe sur l’agent pathogène ou via la stimulation des défenses de la vigne. Il va identifier les pratiques agro-écologiques compatibles avec le renforcement et le maintien d’un microbiote protecteur dans le sol et sur les plantes. Les microorganismes d’intérêt seront identifiés et utilisés pour concevoir de nouvelles biosolutions actives contre le mildiou. Ce projet associe INRAE (UMR SAVE, Agroécologie, Œnologie, EGFV, AGAP), MNHN, université de Rennes, Inria, IFV. Subvention totale = 4,9 M€ ; INRAE = 3,09 M€.
Le deuxième projet vise le contrôle d’une mouche qui cause de lourdes pertes en production fruitière, en particulier sur les cerises. Insecte invasif importé d’Asie, Drosophila suzukii ne rencontre pas en Europe d’auxiliaires naturels susceptibles de réguler sa population. Le projet Optimistii explore une méthode de lutte biologique innovante : il combine la technique de l’insecte stérile (TIS), basée sur le lâcher de mâles stérilisés aux rayons X, avec la technique de l’insecte incompatible (TII), basée sur le lâcher de mâles stérilisés par la bactérie endosymbiotique Wolbachia (naturellement présente chez la drosophile). L’avantage est que la stérilité des mâles est alors atteinte avec une dose d’irradiation plus faible, ce qui permet de maintenir leur compétitivité sur le terrain par rapport aux mâles non stériles. Ce projet est construit en interaction avec le CTIFL. Partenariat : INRAE (UMR CBGP), CTIFL. Subvention totale = 1,28 M€ ; INRAE = 0,97 M€
INRAE est étroitement associé à plusieurs projets portés par les filières, comme le projet SAVOIR de la filière vigne (47 % du budget, soit 1,9 M€) vigne, ou le projet PARICI - alternative à l’utilisation de cuivre en AB - de la filière Bio (31 % du budget, soit 1,2 M€), et contribue à plusieurs autres projets des filières fruits & légumes, grandes cultures, outre-mer, semences…
Et demain ?
Christian Lannou : Ces projets couvrent déjà une large part des besoins en ressourcement scientifique. Ils vont produire des innovations qui seront reprises par les entreprises et les opérateurs de terrain. Ils vont également permettre de développer des infrastructures pour la production haut débit de molécules pour le biocontrôle ou pour le transfert des méthodologies de lutte biologique par acclimatation. Certains thèmes d'intérêt ne sont pas encore couverts mais de nouvelles propositions sont en réflexion pour 2025, toujours en étroite interaction avec les filières.