Société et territoires Temps de lecture 2 min
Avis sur les nanosciences et les nanotechnologies
Le Comité consultatif d’éthique pour la recherche agronomique commun à l'Inra et au Cirad a rendu son quatrième avis relatif aux nanosciences et aux nanotechnologies. Cette question de politique scientifique, caractéristique de cette époque de l’économie de la connaissance, n’a pas seulement pour finalité d’articuler différents secteurs de recherche, mais aussi d’inclure la société civile, au double sens du monde économique et des citoyens. Les notions de progrès et d’innovation sont au cœur de l’ambivalence qui caractérise les nanotechnologies, puisqu’on innove, puis on se pose la question du progrès. L’apport original du Comité d’éthique tient aussi à la réflexion approfondie qu’il mène pour comprendre le lien ou l’absence de lien qui existe entre progrès et innovation dans une économie marquée par un flux constant d’innovations, et redonner sens au progrès.
Publié le 18 janvier 2013

À l'échelle nanométrique, l’imbrication entre savoirs et savoir-faire est telle que la distinction entre nanosciences et nanotechnologies devient artificielle, le Comité entendant à travers les “nanotechnologies” la profonde continuité qui prévaut au sein des sciences fondamentales et des technologies.
Le Comité a dressé un panorama des applications avérées et potentielles des nanotechnologies dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, y compris dans les pays du Sud, tout en identifiant plusieurs difficultés dans cette démarche, liées à la définition même des nanoproduits, à l’incertitude entourant leurs développements industriels ou à l’insuffisance des cadres réglementaires qui les régissent. S’appuyant sur l’analyse des pratiques à l’Inra et au Cirad, le Comité a souligné le caractère pluridisciplinaire des recherches qui visent notamment à exploiter de nouvelles interfaces, entre sciences physiques et biologiques, entre sciences fondamentales et sciences de l’ingénieur. Par les nanotechnologies, le chercheur développe de nouveaux rapports avec le matériel biologique (y compris les produits de l’agriculture) : à l’exploitation des propriétés que l’approche “descendante”, procédant plutôt par miniaturisation, met à jour (propriétés optiques, électriques, magnétiques, catalytiques, etc.), s’ajoute l’approche “ascendante”, désignant l’assemblage maîtrisé de nanostructures, dites “biomimétiques” ou “bio-inspirées”, lorsqu’elles imitent ou s’inspirent des systèmes biologiques.
Les nanotechnologies ne procèdent pas d’une volonté d’obtenir une meilleure représentation de la nature. La motivation des chercheurs semble beaucoup plus pragmatique : l’accès à une échelle de grandeur nanométrique ouvre un éventail de phénomènes et de possibilités à exploiter, qui sont démultipliés par l’existence d’une convergence entre plusieurs secteurs de recherche. Les nanotechnologies ne remettent donc pas en cause directement les catégories à l’aide desquelles nous pensons le monde, mais celles avec lesquelles nous pensons notre rapport au monde, notre façon d’agir dans le monde, notre mode d’agir technique.
Frappé par le décalage important entre le discours tenu à propos des nanotechnologies et les pratiques effectives menées par les chercheurs dans leurs laboratoires, le Comité s’est interrogé sur ce qui fait l’unité des nanotechnologies et comment on peut y situer les pratiques en cours. Les nanotechnologies sont indissociables de projets politiques fédérateurs et mobilisateurs, avec comme conséquence une projection constante dans le futur, le discours sur les nanotechnologies étant souvent celui de la promesse, critiquable sur le plan éthique. Les nanotechnologies faisant émerger des propriétés inconnues et imprévisibles, la question des risques doit être abordée avec soin. Cependant, la démarche éthique ne se réduit pas à l’appréciation des risques et de leurs conséquences pour l’action. Du fait que l’unité des nanotechnologies est principalement liée à celle d’une politique, elles ne peuvent pas faire l’objet d’une éthique prescriptive qui énonce des règles. La recommandation du Comité est donc celle d’une éthique d’accompagnement réflexif du travail des chercheurs qui les invite à développer une nouvelle culture de l’objet, avec des conséquences aussi bien dans la définition des rapports à l’intérieur de la communauté scientifique, que dans l’insertion de cette communauté et de ses projets dans la société civile. Cela implique une prise en compte à la fois de la place des nanotechnologies dans l’éthique de la science (liberté et responsabilité des chercheurs) et des questions éthiques posées par une politique scientifique globale (la question de l’innovation responsable).