Société et territoires 3 min
Implications éthiques des grands accords internationaux : objectifs du développement durable et climat
Le Comité d’éthique Inra-Cirad-Ifremer livre un 10e avis sur les implications éthiques pour la recherche des grands accords internationaux : objectifs du développement durable adoptés par les Nations-Unies en 2015 et accord de Paris sur le climat adopté à la suite de la 21e conférence des parties, également en 2015. Une saisine réalisée à la demande conjointe des directions des trois organismes.
Publié le 22 mars 2018
La réflexion du Comité d’éthique s’est structurée autour de trois grandes questions :
- Les principes théoriques sur lesquels se fondent ces accords internationaux, notamment l’exigence d’œuvrer à l’amélioration du bien-être des populations et celle de préserver la biosphère ;
- L’interculturalité ou comment prendre en compte les différentes cultures et pratiques liées aux groupes sociaux dans l’application par la recherche d’accords exprimés sous une forme universelle ;
- La gouvernance de la recherche et les pratiques des chercheurs : comment gérer l’application de ces grands accords internationaux, comment hiérarchiser les priorités.
Faut-il préserver l’environnement parce qu’il participe au bien-être des populations et à nos capacités de production ou parce qu’il est une fin en soi ? Le comité d’éthique suggère de sortir de cette opposition pour trouver un juste équilibre entre les deux approches et invite à prendre en compte les échelles de temps et d’espace. Le comité appelle les chercheurs à toujours considérer les particularités de chaque situation face au caractère général des grands accords onusiens.
Comment prendre en compte les écarts culturels entre chaque société et chaque groupe social dans l’application des grands accords internationaux énoncés de manière universelle ? Le comité d’éthique relève que « ces écarts ne constituent pas seulement des écueils pour la collaboration, mais aussi et au contraire un ferment de progrès, une richesse qui, en accord avec les bonnes pratiques, s’avère extrêmement bénéfique pour le travail de recherche ». Au niveau des pratiques, la prise en considération de ces écarts peut être favorisée par une approche par les territoires plutôt que par filière de production, ainsi que par la sensibilisation des nouveaux venus aux modes de pensée, d’expression et de réaction locaux pour les inciter à les prendre en compte dans leurs pratiques de travail. Le comité d’éthique recommande enfin de favoriser la décentralisation, la capacité des équipes locales, la création de lieux de débats et l’élaboration d’approches « bottom up » face à la démarche « top down » des grands accords internationaux.
Quelles implications pour la gouvernance et les pratiques de la recherche ? L’interdisciplinarité et la transdisciplinarité apparaissent comme des outils pour mieux prendre en compte les objectifs multiples, parfois contradictoires des grands accords internationaux. Dans leur participation au processus politique, les chercheurs doivent veiller à conserver leur intégrité scientifique sans empiéter sur la responsabilité du politique ou du citoyen. Ils doivent conserver une posture d’information et de conseil, non de décision. Le comité recommande la généralisation des déclarations d’intérêt des chercheurs. Au sujet du financement de la recherche, les chercheurs doivent refuser de participer à des travaux dont les finalités ne correspondent pas aux objectifs de leurs établissements et des grands accords internationaux.
Extrait de la préface par Axel Kahn, président du Comité, et Michel Badré, vice-président
Le Comité s’est attaché dans son avis à retrouver le sens originel des accords, parfois masqué par les effets de leur processus d’élaboration. C’est en effet là une condition essentielle pour déterminer en quoi, dans chaque situation réelle, l’action opérationnelle des équipes de recherche pourrait ou devrait en être affectée.
Le Comité a d’abord constaté que pour les Nations Unies, la conception du progrès et du développement pour les peuples du monde a évolué depuis soixante-dix ans : Il s’agissait d’abord, dans les années d’immédiat après-guerre, du retour à la paix, puis de la lutte contre la faim, notamment grâce à la « révolution verte » dans les années 60. L’année 1972, avec la conférence de Stockholm et le rapport Meadows, marque une première prise de conscience des enjeux environnementaux. Le concept de développement durable s’impose enfin en 1992 avec le rapport Brundtland et la conférence de Rio. Les « Objectifs du millénaire pour le développement » en 2000, puis les « Objectifs de développement durable » en 2015 ont précisé ce concept, initialement défini seulement par la prise en compte conjointe des enjeux économiques, écologiques et sociaux à court et à long terme.
À l’issue de ces évolutions, les principes nécessaires à la définition de ce qui est bon conjointement pour l’humanité et pour la préservation de ses conditions de vie sur terre peuvent être précisés. Leur dimension éthique est évidente. Ces principes apparaissent aujourd’hui relever d’approches multiples. La notion de progrès social, économique et humain repose sur l’amélioration des droits de chacun, sur le bien-être individuel mais aussi sur la justice sociale. Quant à la préservation de l’environnement, elle suppose le respect de sa valeur dans son acception polysémique : utilité sociale, valeur intrinsèque et valeur patrimoniale pour la collectivité, à des échelles spatiales et temporelles diverses. Toutes ces approches sont présentes dans les 17 ODD de 2015.
La question des différences culturelles renvoie à l’équilibre entre ces aspects divers de la valeur de l’environnement, équilibre variable d’un pays à l’autre et, dans chaque pays, d’un groupe social à un autre, en fonction de l’histoire et des priorités du lieu et du moment.
Un tel élargissement du champ éthique dans lequel se situe l’action des chercheurs a conduit le Comité à faire des recommandations aux organismes et à leurs équipes de recherche.