Agroécologie Temps de lecture 4 min
Améliorer les conditions d’abattage
Quelles que soient leurs conditions d’élevage, les animaux sont transportés et abattus majoritairement dans des abattoirs spécialisés et industrialisés, dans des conditions encadrées par la législation. Même si la législation européenne est une des plus exigeantes au niveau mondial, il reste une marge de progrès pour minimiser le stress et la douleur des animaux, comme le montrent différents travaux menés à INRAE.
Publié le 08 août 2021

« Nous étudions ce qui se passe pour l’animal en termes de stress et de souffrance pendant la période d’abattage, qui commence au moment du départ des animaux pour l’abattoir. Notre rôle est de faire connaître les résultats de ces recherches aux différents acteurs qui nous sollicitent : ministères, agences comme l’Anses, responsables de groupes agroalimentaires, abattoirs, associations, etc. » rapporte Claudia Terlouw, qui travaille depuis plus de 25 ans sur les conditions d’abattage des bovins, ovins et porcins.
Vérifier l’efficacité de l’étourdissement en abattoir
Hors abattage rituel, l’étourdissement préalable est obligatoire en France depuis 1964. Même si les méthodes varient selon l’espèce (1), l’objectif commun est la perte de conscience de l’animal avant la saignée.
« Il est indispensable de vérifier que l’animal a bien perdu connaissance. Pour cela, il y a trois principaux indicateurs : l’animal tombe, il perd le réflexe cornéen - c’est-à-dire qu’il ne ferme plus l’œil lorsque l’on effleure la cornée - et il arrête de respirer » indique Claudia Terlouw. Cependant, dans le cas d’un étourdissement mal réalisé, l’animal peut tomber ou arrêter de respirer tout en restant conscient. De plus, des signes d’inconscience peuvent être suivis, quelques dizaines de secondes après, de signes mettant en doute cet état d’inconscience, souvent des mouvements des yeux et des mouvements respiratoires.
L’absence de réflexe cornéen est le seul indicateur vraiment fiable d’inconscience
A l’inverse, un animal inconscient peut quand-même bouger les pattes et le cou jusqu’à trois minutes après la saignée. Ce sont des mouvements réflexes qui mettent en jeu la moelle épinière, mais pas les structures cérébrales impliquées dans la conscience. Bien sûr un animal mal étourdi, donc encore conscient, va aussi se mettre à bouger. Et donc, si un animal bouge après l’étourdissement, on ne sait pas s’il est conscient ou non. Il faut alors vérifier l’absence de réflexe cornéen, le seul test vraiment fiable pour être sûr que l’animal est inconscient. Ce test très simple à pratiquer est utilisé par beaucoup d’abattoirs de bovins. Dans le cas de l’électronarcose cependant, le réflexe cornéen ne peut pas être testé immédiatement car il y a une phase de contractions musculaires juste après l’application du courant.
« En fait, conclut Claudia Terlouw, il y a des indicateurs de conscience et d’inconscience qu’il faut savoir contrôler au bon moment et interpréter selon la technique utilisée. Nous avons répertorié les indicateurs à contrôler pour chaque technique d’étourdissement (2). Il est indispensable de contrôler correctement tous ces indicateurs ».
Il faut pratiquer un nouvel étourdissement au moindre doute
Il faut aussi inciter les opérateurs à pratiquer un nouvel étourdissement au moindre doute, même si ce doute ne signifie pas forcément que l’animal est conscient. C’est pourquoi le taux de ré-étourdissement ne devrait pas être utilisé comme indicateur de la performance de l’étourdissement. Enfin, la prise en compte des différents indicateurs en fonction de la méthode d’étourdissement utilisée et du moment du contrôle doit être précisée dans les Modes Opératoires Normalisés (MON) des abattoirs, comme le dispose le Règlement CE n°1099/2009 du 24 septembre 2009.
L’importance de faire respecter les Modes Opératoires Normalisés
Il est recommandé de transcrire les Modes Opératoires Normalisés (MON) sous forme de procédures affichées au poste d’étourdissement afin de guider les opérateurs et de standardiser l’évaluation de l’inconscience. Les opérateurs doivent être formés de manière théorique mais aussi pratique à l’utilisation de ces procédures. Dans les MON, il faut également indiquer qu’en cas de signe de retour de conscience, outre un ré-étourdissement immédiat, il convient d’inspecter sans délai tout le process en amont afin d’en identifier les causes et d’y remédier.
Abattre les animaux à la ferme : une alternative qui progresse en France
Le stress des animaux commence bien avant l’abattage. Le transport, la privation de nourriture, l’attente à l’abattoir sont autant de sources de stress physique, mais aussi émotionnel. Certains éleveurs ont le sentiment d’abandonner les animaux qu’ils ont élevés et soignés. Cette frustration les amène parfois à abattre les animaux à la ferme, une position alternative longtemps interdite en France en dehors de la consommation familiale.
Jocelyne Porcher, sociologue à INRAE, travaille depuis les années 2000 sur une solution innovante : l’abattage mobile, qui permet d’abattre les animaux sur place, avec l’aide de professionnels. « C’est une demande de nombreux éleveurs, mais en France, il a fallu beaucoup d’énergie pour rendre cette solution envisageable sur le plan réglementaire. Ce n’est qu’en 2018 qu’un amendement a pu être déposé dans le cadre de la loi Egalim, autorisant l’abattage à la ferme pour une durée expérimentale de 4 ans (3) ».

Avec son équipe, Jocelyne Porcher a eu une action significative dans cette évolution : dès 2005, elle a étudié et déposé un prototype de camion-abattoir avec un étudiant en design (4). Elle a aussi publié dans un livre les résultats de plusieurs enquêtes menées auprès d’éleveurs sur leur perception de l’abattage des animaux (5). Elle est enfin à l’origine d’une association appelée « Quand l’abattoir vient à la ferme » qui regroupe des éleveurs, des associations, et des vétérinaires (6). « Toutes ces actions ont contribué à une évolution des consciences, mais la partie n’est pas encore gagnée, conclut Jocelyne Porcher. Il faut prouver que l’abattage à la ferme peut se faire dans de bonnes conditions sanitaires, à l’instar de ce qui se fait dans plusieurs pays d’Europe : Suisse, Suède, Allemagne, et dans certains états des Etats-Unis comme la Californie. Réfléchir aux conditions d’abattage des animaux amène à changer aussi le regard sur les conditions d’élevage, vers un modèle d’élevage « paysan » et des microfilières, où les animaux sont respectés autant durant leur vie que lors de leur mort. »
- En général, électronarcose pour les moutons, porcs et volailles, pistolet à tige perforante (qui provoque des lésions dans le crâne et le cerveau) pour les bovins. Le gazage (immersion dans un mélange de CO2 et d’air) peut également être utilisé pour les porcs et les volailles.
- Terlouw, C. et al. 2021. Spécificités des indicateurs de conscience et d’inconscience selon les méthodes d’abattage. Abattage avec et sans étourdissement : évaluation pratique de l’inconscience (partie 2). Viandes & Produits carnés 11 juin 2021.
- Article 73 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 et décret n° 2019-324 du 15 avril 2019 relatif à l'expérimentation de dispositifs d'abattoirs mobiles.
- https://hal.inrae.fr/hal-02681955
- Porcher et al, 2014. Livre blanc pour une mort digne des animaux. Editions du Palais. Enquêtes menées dans le cadre du projet ANR Cow (2012-2015)
- Association « Quand l’abattoir vient à la ferme ». Cette association a été créée en 2015 par Jocelyne Porcher et Stéphane Dinard, éleveur en Dordogne.
Le stress à l’abattage se répercute sur l’aspect et la qualité de la viande
On connait deux mécanismes différents d’altération de la viande liés au stress à l’abattage :
- Un stress dans les heures qui précèdent l’abattage donne une viande sombre, à pH ultime (24h après l’abattage) anormalement élevé et qui se conserve mal.
- Un stress juste au moment de l’abattage donne au contraire une viande pâle, à pH anormalement bas, qui retient mal l’eau et durcit à la cuisson.
Référence : Terlouw et al. 2015. Stress en élevage et à l’abattage : impacts sur les qualités des viandes. INRA Prod. Anim. ,28 (2), 169-182. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01211033/document
Voir aussi nos pages sur le bien-être animal :