Changement climatique et risques 3 min

Adapter l’irrigation pour préparer l’agriculture indienne au changement climatique

En Inde, pays structurellement déficitaire en eau, la recherche d’une sécurité alimentaire s’appuie sur l’irrigation des cultures. Depuis 30 ans, l’augmentation des surfaces irriguées repose essentiellement sur le développement des pompages d’eau souterraine. Mais cette ressource est menacée : les prélèvements pour l’irrigation ne permettent pas son renouvellement. Que se passera-t-il sous un climat encore plus chaud ? Le projet AICHA a modélisé le fonctionnement hydrique, économique et agronomique d’un bassin versant pour identifier les systèmes de production les plus durables, ainsi que des pistes de régulation possibles.

Publié le 11 janvier 2018

illustration Adapter l’irrigation pour préparer l’agriculture indienne au changement climatique
© INRAE C. Madzak

Le projet vise à déterminer quels systèmes de culture pourraient garantir une productivité agricole sans dégrader la ressource hydrique, dans le contexte du changement climatique.

« Après la révolution verte des années 1970, où l’utilisation des intrants a permis l’accroissement de la production agricole, l’agriculture indienne connaît une seconde révolution dans les années 1990, avec les réformes économiques et l’explosion de l’irrigation individuelle par pompage. Aujourd’hui, 20 à 30 % de l’électricité produite par le pays sert à pomper l’eau directement dans les nappes pour les besoins d’irrigation », explique Laurent Ruiz de l’UMR SAS de Rennes, porteur du projet « AICHA : adaptation de l’agriculture irriguée au changement climatique en Inde » aux côtés d’Alban Thomas de l’UMR TSE-R de Toulouse et du Pr M. Sekhar de l’Indian Institute of Science à Bangalore. Les cultures pluviales sont alors délaissées par les producteurs au profit des cultures de rente irriguées : canne à sucre, riz, épices et légumes. Le niveau des nappes diminue très rapidement et leur qualité se dégrade considérablement.

Le projet vise à déterminer quels systèmes de culture pourraient garantir une productivité agricole sans dégrader la ressource hydrique, dans le contexte du changement climatique.

Un laboratoire d’observation de 80 km²

« La question était de savoir dans quelle direction nous emmenait cette politique d’irrigation massive : vers un épuisement total de la nappe ? Fallait-il revenir aux cultures pluviales et dégrader la rentabilité des exploitations agricoles ? Nous avions besoin de comprendre la dynamique de réponse des producteurs à cette situation », poursuit le chercheur. Les outils sont rapidement mis en place. Un bassin versant de 80 km², comprenant 12 villages, est identifié pour réaliser les observations : enquêtes, suivis du niveau de la nappe phréatique et des pratiques culturales. Pour valoriser ces données, les équipes d’AICHA créent un modèle intégré qui reproduit les choix économiques des agriculteurs, l’hydrologie du bassin versant et les pratiques culturales. L’outil permet aussi de simuler l’impact de politiques de gestion de l’eau au niveau du bassin versant.

Irriguer uniquement en saison des pluies

« Lorsque les premiers résultats de simulations sont tombés, ils étaient décevants. Aucun scenario ne permettait d’assurer l’irrigation à tous les agriculteurs, avec les systèmes de culture existants. La mise en place, comme en France, de quotas d’irrigation risquait de pénaliser encore plus les agriculteurs, qui seraient contraints de revenir à l’agriculture pluviale. Du fait de leur niveau d’endettement, ils seraient alors menacés de faillite », explique Alban Thomas. L’idée vient alors d’inverser le raisonnement et de concevoir des systèmes et pratiques agricoles fondés sur l’adaptation des exploitations à la zone et au climat. « Il pleut environ 800 mm par an et l’évapotranspiration potentielle est en moyenne de 1500 mm par an : quelques soient les techniques culturales, si on cultive toute l’année, le bilan hydrique est négatif ! » poursuit Laurent Ruiz. En revanche, en adaptant les rotations des cultures au climat, et en utilisant l’irrigation uniquement en saison des pluies, pour sécuriser les rendements quand ces pluies sont insuffisantes, les résultats sont tout autres, comme le précise le chercheur : « Les sorties du modèle suggèrent que la production agricole et le revenu de l’exploitation restent équivalents, tout en maintenant un niveau d’eau raisonnable dans la nappe phréatique ».

Le projet ATCHA prend la suite de AICHA

Les résultats du projet AICHA ont encouragé les chercheurs à aller plus loin, jusqu’aux politiques publiques. « Notre idée de départ était de comprendre le lien entre les adaptations agronomiques des systèmes de production, les besoins alimentaires de la société indienne et les politiques publiques à mettre en place. Les légumineuses sont un bon exemple car elles constituent le socle de l’alimentation indienne. L’Inde est aujourd’hui déficitaire en légumineuses à graines car, en tant que cultures pluviales, elles ont été délaissées au profit d’autres cultures, plus rentables, avec l’essor de l’irrigation. Les mécanismes mis en place par l’État depuis deux ans pour garantir des prix plus élevés aux agriculteurs n’arrivent pas à inverser cette tendance », explique Laurent Ruiz, un des porteurs du projet AICHA. Le projet ATCHA naît de cette volonté de tester le modèle en conditions réelles afin de voir si les politiques publiques peuvent être améliorées. Le volet sociologique est donc renforcé et les chercheurs travaillent en étroite collaboration avec les ingénieurs agronomes indiens pour adapter le modèle de cultures (STICS) aux espèces tropicales. Des ateliers sont organisés avec les agriculteurs, puis avec les représentants des politiques publiques pour partager les scenarios et identifier les pistes d’action. « Nous pouvons proposer des scénarios concrets basés par exemple sur la distribution d’électricité pour alimenter les pompes. Aujourd’hui, les agriculteurs reçoivent gratuitement trois heures d’électricité par jour toute l’année. Les modélisations montrent que s’ils bénéficiaient de plus d’électricité en saison de mousson, et rien pendant les quatre mois de saison chaude et sèche, les prélèvements en eau, la consommation d’énergie et la biomasse produite seraient optimisés », explique le chercheur.

Références :

Robert M., Thomas A., Sekhar M., Badiger S., Ruiz L., Raynal H., Bergez J.E. (2017) Adaptive and dynamic decision-making processes: A conceptual model of production systems on Indian farms. Agricultural Systems, 157, 279-291. http://dx.doi.org/10.1016/j.agsy.2016.08.001

Buvaneshwari S, Riotte J, Sekhar M, Mohan Kumar MS, Sharma AK, Duprey JL, Audry S, Giriraj PR, Yerabham P, Moger H, Durand P, Braun JJ and Ruiz L (2017) High spatial variability of nitrate contamination in the hard rock aquifer of an irrigated catchment: Implications for water resource assessment. Science of the Total Environment. 579, 838-847 http://dx.doi.org/10.1016/j.scitotenv.2016.11.017

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Contacts

Alban ThomasUMR TSE-R, INRA Toulouse

Laurent RuizUMR SAS de Rennes

Pr. Muddu SekharIndian Institute of Sciences, Bangalore, Inde

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