Agroécologie

Accompagnement et conseil agricole à l’heure du numérique

En outillant les relations entre exploitants agricoles et conseillers, les technologies numériques seraient donc en passe de devenir un atout majeur de la gestion anticipée et de l’adaptation des cultures aux principes agroécologiques. Pour cela, INRAE mise sur leur développement par le biais de différents travaux, depuis la conception d’outils de cartographie, de reconnaissance des maladies, etc., jusqu’à leur mise en pratique par les acteurs de l’agriculture.

Publié le 17 mai 2021

illustration Accompagnement et conseil agricole à l’heure du numérique
© INRAE - Bernard Benet

De l’échelle de la parcelle à l’échelle territoriale, « le potentiel numérique transforme la façon d’accompagner et d’aider les acteurs de l’agriculture dans leurs prises de décisions », estime Pierre Labarthe, économiste et directeur adjoint de l’unité AGroécologie, Innovations et TeRritoires (UMR AGIR). En outillant les relations entre exploitants agricoles et conseillers, les technologies numériques seraient donc en passe de devenir un atout majeur de la gestion anticipée et de l’adaptation des cultures aux principes agroécologiques. Pour cela, INRAE mise sur leur développement par le biais de différents travaux, depuis la conception d’outils de cartographie, de reconnaissance des maladies, etc., jusqu’à leur mise en pratique par les acteurs de l’agriculture.

Au bout du compte, pour comprendre les propriétés des écosystèmes agroécologiques et pour adapter les usages agronomiques, « beaucoup de disciplines différentes interagissent », précise le chercheur. Économistes, sociologues, ou encore ergonomes, tous croisent leurs domaines de compétences. Mais pour que cette gestion collective puisse être efficace et durable, il est nécessaire de combiner les actions réalisées à l’échelle de la parcelle et celles menées sur l’ensemble d’un territoire.

Des outils d’analyse à l’échelle de la parcelle

Parmi les travaux d’INRAE permettant d’analyser précisément l’évolution des parcelles, le robot Bettybot, confectionné pour l’Institut Technique de la Betterave (ITB) par l’équipe RObotique et Mobilité pour l'Environnement et l'Agriculture (ROMEA) du centre INRAE de Clermont-Ferrand, se dessine comme un bijou de technologie. Spécialisé en reconnaissance des maladies sur les feuilles de betterave, notamment la rouille, l’odium et la cercosporiose, Bettybot, attelé à une machine agricole est composé d’un axe linéaire de 3 mètres de long, sur lequel se déplace un bras manipulateur comprenant six angles de rotation, au bout duquel est fixée une caméra couleur pour l’acquisition d’images sur les feuilles de betterave.

 

Présenté en 2019 au SIMA, l’outil est entièrement automatisé et travaille à l’aide d’une technologie de « perception active ». « C’est la caméra qui pilote le robot », explique Bernard Benet, ingénieur-chercheur de l’équipe ROMEA. « Tous les 20 centimètres environ, l’axe linéaire du robot s’arrête, un logiciel de traitement d’image et d’intelligence artificielle va détecter les différentes feuilles de betteraves d’un plant donné, permettant aux 6 autres degrés de liberté d’entrer en action pour que la caméra se rapproche de chaque feuille pour prendre une série d’images sous différents angles ».

Analysés grâce à un programme de traitement d’images et d’intelligence artificielle, les clichés permettent de récolter un ensemble de données indiquant le type et le degré de développement de la maladie. Avec suffisamment d’informations récoltées, il devient ainsi possible « de mesurer au centimètre carré les surfaces atteintes par la maladie et leurs extension », précise l’ingénieur. Ces connaissances d’une extrême précision renseignent en temps réel sur l’état des betteraves et permettent « d’intervenir rapidement pour éviter que la maladie ne se propage. Plus on agit tôt, meilleur est le résultat ». Si Bettybot est pour le moment principalement dédié à la recherche, notamment utilisé par l’ITB, il sera à terme possible pour les betteraviers d’acquérir leur propre robot pour leur usage personnel. Quoi qu’il en soit, en développant ce type de technologie sur l’ensemble des territoires, cela permettra selon Bernard Benet « de savoir quelles maladies se propagent, à quelle vitesse et dans quelles régions de France ».

La télédétection comme outil d’analyse à grande échelle

"Par imagerie optique ou radar, on peut par exemple estimer les volumes des récoltes à venir, jusqu'à parfois avec 4 semaines à l’avance ». indique Dino Ienco.

Au-delà de l’exploitation, des observations peuvent également être effectuées à échelle plus large avec l’aide d’outils de télédétection, utiles pour « caractériser les territoires et identifier les enjeux qui leurs sont propres ainsi que les problèmes auxquels ils sont confrontés, comme le gel tardif par exemple », résume Dino Ienco, chargé de recherche dans l’unité Territoires, environnement, télédétection et Informations Spatiales (UMR TETIS). Grâce à une série d’images satellitaires, combinées avec des informations collectées par des campagnes de terrain ou issues d’enquêtes, de nombreux types de cartographies peuvent être élaborés, notamment par l’analyse d’images ou par des méthodes d’intelligence artificielle capable de reconnaître et d’analyser les informations visuelles qui lui sont transmises. Par imagerie optique (infrarouge ou bien en couleurs du spectre visible) ou par imagerie radar, les applications sont nombreuses. « Nous travaillons avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) par exemple au Sénégal ou au Brésil pour estimer les volumes des récoltes à venir, indique Dino Ienco. Parfois avec 2, 3, ou 4 semaines à l’avance ». L’UMR TETIS produit également, entre autres, des cartographies d’occupation du sol dans le temps en observant leurs évolutions telles que l’extension des champs de maïs ou de sucre de canne sur l’île de la Réunion. Avec ce type d'outils, les acteurs privés et publics peuvent réfléchir aux diversités culturales sur leur territoire et éviter l’installation de trop grandes surfaces de monocultures, sensibles aux ravageurs.

Les cartographies alors produites résument un ensemble de paramètres (ressources naturelles, état du sol, mode d’occupation, etc.), qui sont ensuite « injectés dans les processus de décision et de planification territoriale de sorte à orienter les politiques locales vers des pratiques agroécologiques », explique Dino Ienco. Les outils d’imagerie peuvent atteindre de hautes résolutions spatiales (10 mètres de précision) voire de très hautes résolutions (0,5 mètres), participant alors à la finesse des décisions publiques qui peuvent ensuite être actées, par exemple pour étudier la consommation d’espaces agricoles par les politiques d’artificialisation.

Avec l’objectif de proposer une approche intégrée à différentes échelles, l’Institut de Convergence Digitag, financé par l’Agence Nationale de la Recherche, est « composé de challenges qui viennent croiser des axes de réflexion afin de faciliter l’usage du numérique dans le monde agricole », conclut le chercheur en charge du challenge « Gestion des territoires agricoles ». Si l’unité travaille auprès d’entités publiques, elle intervient également pour des entreprises privées (Airbus, Syngeta, etc.) qui réclament l’expertise et le savoir-faire d’INRAE en matière de télédétection satellitaire. Mais les exploitants agricoles ne sont pas en reste, puisqu’ils permettent d’apporter leurs retours « sur la correspondance entre les données produites et leurs propres perceptions de terrain », note le chercheur.

Une gestion collective qui évolue au rythme des nouvelles technologies

Des agriculteurs aux firmes internationales en passant par la recherche ou encore par des start-ups, les jeux d’acteurs évoluent avec des technologies liées à l’agriculture. Si les échelles d’action de ces outils numériques se combinent pour favoriser les décisions stratégiques et faciliter la transition vers l’agroécologie, c’est-à-dire pour « concevoir des systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes »1, les niveaux de compétences des professionnels de l’agriculture se croisent aussi. Depuis la conception jusqu’à la pratique des outils puis aux conseils et décisions qui en découlent, « Digitag permet de relier ces différents niveaux, on s’appuie en partie sur les recherches et les capacités d’INRAE pour mieux combiner toutes les approches » précise Pierre Labarthe.

« Les données peuvent changer notre manière non-seulement de produire de la connaissance, mais aussi de transformer le rôle des acteurs » P. Labarthe

Si une évolution des relations entre les acteurs est prévisible, « il faut encore rester très prudent sur ce point-là, note l’économiste. Ces études sont encore émergentes et les données trop peu suffisantes ». C’est d’ailleurs pour cette raison que les investissements sont importants dans les thèses : en plein développement, le numérique comme accompagnant aux exploitants agricoles laisse planer la crainte qu’il pourrait se substituer aux conseillers, qui représentent l’interface entre les agriculteurs et le secteur de la recherche stratégique. Sauf qu’en réalité, « on observe pour le moment que les conseillers ont encore un rôle important à jouer auprès des exploitants », remarque l’économiste.

Par ailleurs, en France et contrairement à d’autres pays européens, les acteurs du secteur numérique ont vraisemblablement « peu d’interactions directes avec les agriculteurs », reprend Pierre Labarthe, laissant plutôt « les chambres et coopératives développer des outils auprès des exploitants ». Les acteurs émergents en lien avec les nouvelles technologies, qu’il s’agisse de grands groupes, de start-up ou de PME, jouent en revanche davantage un rôle dans la R&D ou dans le développement d’outils numériques pour le monde agricole. « Ces données peuvent changer notre manière non-seulement de produire de la connaissance, mais aussi de transformer le rôle des acteurs », poursuit le chercheur.

Une transition qui revisite donc les pratiques agricoles, avec une émergence d’acteurs et de technologies nouvelles, mais que les équipes de recherche, notamment par le biais de Digitag, essaient d’insérer dans une logique multi-scalaire. Depuis l’échelle de la parcelle (voire de la feuille de plant) jusqu’à l’échelle du territoire ou du paysage, la réflexion collective sur les stratégies agronomiques est en pleine transition vers une gestion collaborative et raisonnée de tout le secteur agricole, basée sur les principes de l’agroécologie.

[NDLA] d’après le site du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation.

Pierre-Yves Lerayer Rédacteur

Contacts

Bernard BenetIngénieur chercheurUR TSCF

Dino IencoChercheurUMR TETIS

Pierre LabartheChercheurUMR AGIR

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