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Mieux équiper les territoires face aux risques de crues : le regard de Guillaume Piton

Guillaume Piton connaît les torrents de montagne de l’intérieur. Ingénieur hydraulicien de formation, il se consacre à la recherche sur les risques naturels en montagne. À la croisée du terrain, de la modélisation et de l’ingénierie, il décrypte les crues torrentielles. Ses travaux, menés en lien étroit avec les acteurs publics, alimentent directement les stratégies de prévention et de résilience : de la tempête Alex à la crue de La Bérarde, il accompagne les territoires dans l’analyse des événements extrêmes et la reconstruction durable.

Publié le 05 août 2025 (mis à jour : 05 août 2025)

De l’ingénierie à la recherche : combler un manque de connaissance

Avant de devenir chercheur, Guillaume Piton a travaillé plusieurs années en bureau d’études, où il concevait des ouvrages pour protéger les vallées alpines contre les inondations. Une expérience de terrain qui l’a confronté à un paradoxe troublant : malgré une formation d’ingénieur solide, il se sentait démuni face à la complexité des torrents : ces cours d’eau où les crues transportent sédiment et bois flottant en grandes quantités.

Ce constat l’a poussé à rejoindre la recherche publique. Il choisit de consacrer ses travaux à mieux comprendre ces phénomènes violents, soudains, et encore trop mal anticipés.

Guillaume Piton et ses collègues se sont donné une double mission : faire avancer les connaissances fondamentales sur ces dynamiques hydro-sédimentaires, tout en produisant des résultats utiles.  « À chaque fois que je fais de la recherche, je me pose toujours la question de qu'est-ce qui est intéressant pour un lecteur qui est un chercheur et qu'est-ce qui est intéressant pour un lecteur qui est un ingénieur. » précise-t-il.

Entre observation fine du terrain, modélisation et appui aux collectivités, sa recherche s’ancre dans une approche intégrée, pensée pour être à la fois rigoureuse scientifiquement et immédiatement opérationnelle.

Entre terrain, laboratoire et modélisation

Pour comprendre les torrents de montagne, il faut conjuguer rigueur scientifique et pragmatisme de terrain. Dans ces environnements extrêmes, les crues sont brutales, les matériaux en jeu multiples, et les données rares. Le terrain est difficile d’accès, les crues imprévisibles, et l’attente parfois longue.

Face à ces contraintes, Guillaume Piton et ses collègues complètent leurs observations par des essais en laboratoire. À l’aide de modèles réduits, l’équipe recrée des torrents miniatures capables de simuler des crues réelles. Cette méthode permet d’affiner la compréhension des dynamiques sédimentaires, de mesurer précisément les effets du transport de bois flottant et d’évaluer la capacité réelle des ouvrages de protection à encaisser les chocs. Ces expériences sont ensuite croisées avec la modélisation numérique, pour simuler différents scénarios de crues et optimiser les stratégies d’aménagement.

À l’aide de modèles réduits, Guillaume Piton recrée des torrents miniatures capables de simuler des crues réelles

Guillaume Piton a ainsi développé une approche à trois volets qui croise observation de terrain, modélisation numérique et expérimentation en laboratoire. Ce triptyque lui permet de mieux comprendre les phénomènes torrentiels dans toute leur complexité, tout en produisant des résultats utiles aux collectivités.

Ses recherches s’appuient sur des partenariats étroits avec les services de l’État, les bureaux d’études et surtout les équipes locales de l’ONF-RTM (Restauration des Terrains en Montagne), gestionnaires historiques des torrents alpins. « Avec le RTM, il y a un vrai échange : ils connaissent les torrents, ils nous apportent leur lecture du terrain, on leur partage nos résultats. ».

Cet ancrage local s’accompagne d’un engagement fort en faveur de la recherche responsable. À travers l’atelier participatif Ma Terre en 180 minutes, Guillaume Piton sensibilise ses collègues à l’impact carbone des pratiques scientifiques et les aide à imaginer des stratégies collectives pour le réduire. 

Je suis très content d’avoir une recherche ancrée localement. On pourrait aller étudier les torrents en Indonésie ou au Japon mais on a beaucoup à apprendre ici, tout en limitant notre empreinte.

Mieux équiper les territoires face aux risques

Guillaume Piton et ses collègues s’attaquent à un défi majeur : renforcer la résilience des territoires face aux crues torrentielles, dans un contexte de changement climatique qui en aggrave l’intensité et la fréquence. Leur objectif est clair : produire des connaissances opérationnelles, transférables aux gestionnaires de risques, ingénieurs de terrain et décideurs publics.

Lorsqu’il a commencé ses recherches, la conception des ouvrages de protection souffrait d’un manque flagrant de recommandations techniques. Comme il le rappelle : « Quand moi j’ai commencé mes recherches, il y a plus de dix ans, il y avait certains sujets, notamment les barrages de protection contre les crues torrentielles, qui manquaient terriblement de recommandations de conception et d’entretien. »

Pour combler ce vide, il a mobilisé une littérature internationale jusque-là peu diffusée en France et a contribué à relier des connaissances issues des dynamiques naturelles aux besoins pratiques de l’aménagement. Cela a permis d’enrichir les recommandations existantes, notamment sur les barrages, les ponts exposés et les zones à risque.

Les résultats sont tangibles. Suite à la crue de la Bérarde, les investigations menées avec l’ONF-RTM ont permis de cerner les phénomènes à l’origine de la catastrophe et la gestion future du risque sur ce site va être directement ajustée grâce à ces retours d’expérience. Son travail a également fait évoluer certaines pratiques établies, comme la gestion du bois flottant : longtemps considéré comme un facteur de risque, il est désormais mieux compris dans ses dynamiques d'embâcle. Ces avancées se traduisent par une contribution directe à des guides nationaux de référence, publiés en 2023, sur la gestion de la végétation en rivière et la cartographie des risques torrentiels.

À l’international, sa reconnaissance scientifique l’a conduit à collaborer avec un groupe d’experts au Canada sur un projet exceptionnel : la conception d’un barrage filtrant pour la rivière Cheekye, en Colombie-Britannique. Ce barrage, destiné à piéger des laves torrentielles d’un volume estimé à 1,4 million de m³, sera le plus grand d’Amérique du Nord.

Comme il l’explique : « L’ouvrage va coûter 80 millions de dollars au moins. C’est un ouvrage qui va faire 35 mètres de haut, qui protège des milliers de personnes. » Grâce à sa participation active dans des associations internationales et à son expertise sur les barrages filtrants, Guillaume Piton a été sollicité par les équipes canadiennes pour assurer le design fonctionnel de l’ouvrage. Il a co-développé un outil de modélisation numérique spécifique, désormais partagé en ligne pour appuyer d’autres projets dans le monde.

« Je suis quelqu'un qui aime les choses compliquées. C'est pour ça que je suis chercheur »

Né en montagne, passionné d’hydraulique et de nature alpine, Guillaume Piton a su transformer un attachement personnel en engagement professionnel. Ce lien intime guide son parcours scientifique. « Allier ma passion de l’hydraulique avec un territoire auquel je suis profondément attaché, c’est une chance extraordinaire », confie-t-il. Dans ses recherches comme dans ses loisirs, c’est le goût du défi qui le guide.

Cette passion se prolonge dans la transmission. Car Guillaume Piton n’envisage pas la recherche comme une activité solitaire : il consacre aussi du temps à former les praticiens, animer des séminaires et partager des outils concrets.

Guillaume Piton ne cache pas que le quotidien d’un chercheur est parfois ingrat : « On passe beaucoup de temps à gérer de l’administratif ou à creuser des détails techniques. Ce n’est pas là qu’on se sent utile. ». Mais il y a des moments clés qui donnent du sens à son engagement. Lorsqu’il anime des formations ou intervient en séminaire, il voit l’impact direct de son travail : « Un praticien vient me voir, me dit qu’il va changer quelque chose dans sa façon de faire… Là, je me dis que la connaissance a été utile, vraiment. ».

Il y a aussi ces cas rares, mais précieux, où des bureaux d’études ou des services publics le sollicitent face à une impasse technique. « Parfois, ils me disent  ‘personne n'a de réponse à mon problème. Est-ce que vous, vous en avez ?’ Et c’est là que je mesure l’utilité de tout ce temps passé à lire, à modéliser, à comprendre. » Dans ces moments, il sent que son goût pour les choses complexes, pour les problèmes sans réponse immédiate, peut véritablement faire la différence : « Ce n'est pas juste pour mon propre plaisir, de temps en temps, ça va être utile aussi aux autres »

« Vivre en montagne, c’est accepter une part d’incertitude »

Pour Guillaume Piton, l’un des messages les plus essentiels à transmettre est que nos connaissances sur les crues en montagne restent encore très incomplètes, même à l’heure des technologies avancées. Cette réalité impose une nouvelle façon de penser l’action publique : non pas comme une réponse définitive, mais comme une gestion adaptative, qui accepte le doute, l’observe, et s’y ajuste. Car en montagne, les phénomènes extrêmes ne sont pas seulement rares : ils sont encore mal compris.

Dans nos travaux, l’incertitude occupe une place centrale. On tente de la réduire, de la cadrer, mais elle reste toujours présente. Si l’on veut vivre sans incertitude, il faut habiter des territoires que l’on comprend presque parfaitement. En montagne, ce n’est pas le cas. Donc, vivre en montagne, c'est accepter de l'incertitude.

Face à cette incertitude, Guillaume Piton le rappelle : l’adaptation n’est pas une option, c’est une stratégie d’avenir. 

Otar Dalakishvili

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