Dossier revue
Agroécologie

Répondre à la demande sans augmenter les impacts environnementaux

L’élevage laitier mondial doit faire face à une augmentation régulière de la demande, de l’ordre de 15 à 18 milliards de litres chaque année, tout en atténuant ses impacts sur l’environnement. Il doit également répondre aux attentes croissantes des sociétés, notamment en occident, en matière de bien-être animal. Face à ces défis, il s’agit de concilier compétitivité et durabilité.

Publié le 27 septembre 2022

L’alimentation des vaches représente dans le monde environ 65 % du coût de production du lait, peut-on lire dans le rapport World mapping of animal feeding system in the dairy sector (FAO, IDF, IFCN, 2014). Dès lors, la dépendance de certaines exploitations à l’achat d’intrants aux prix fluctuants, particulièrement les aliments concentrés, entraîne une variation du prix de revient du lait produit. Or, le prix payé aux éleveurs dépend de contrats. Fixé par les industries de collecte et de transformation, il est le résultat du jeu de l’offre et de la demande sur un marché mondial très concurrentiel, même si seulement 9 % de la production mondiale du lait est commercialisée en import/export, selon le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL).

Une rentabilité soumise aux lois du marché mondial

Ainsi, dans un marché de près de 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel pour les industries laitières, les revenus et les bénéfices sont très variables pour les éleveurs laitiers. « Le phénomène est accentué au sein de l’Union européenne : en l’absence de taxes douanières, les éleveurs de chaque pays sont en concurrence directe et c’est le plus grand exportateur qui fixe les prix », explique Vincent Chatellier, économiste au laboratoire d’étude et de recherche en économie sur les structures et marchés agricoles, ressources, territoires (centre INRAE Bretagne-Normandie). L’abandon, le 1er avril 2015, des « quotas laitiers », outils de la politique agricole commune (PAC) qui limitaient la production de chaque État-membre, marque la fin d’un prix d’achat garanti pour les producteurs.

L'abandon des « quotas laitiers », outils de la politique agricole commune (PAC) qui limitaient la production de chaque État-membre, marque la fin d’un prix d’achat garanti pour les producteurs.

Certains d’entre eux comme l’Irlande, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas ont profité de la fin des quotas pour produire davantage pour l’export, ce qui s’est traduit par une surproduction et une baisse des prix. « La France, quant à elle, a fait le choix de conserver la diversité des modes et des territoires de production, mais cela a conduit à une diminution de ses parts de marché en Europe », précise Vincent Chatellier. Malgré sa position de 2e producteur européen avec un volume stable, estimé à 25,1 milliards de litres par le CNIEL en 2020, la rentabilité des élevages laitiers français est très inégale. Le secteur conventionnel est particulièrement soumis aux variations brusques du prix du marché et vend parfois à perte, tandis que les élevages avec un cahier des charges certifié (fromage AOP, lait AB), ou ceux possédant une démarcation commerciale (« C’est qui le Patron ?! », « Lait de montagne », « Lait de foin », « Lait de nos régions »…) s’en sortent souvent mieux.

Reconnus pour leur savoir-faire, gage de qualité, les Français remportent la palme des produits laitiers exportés grâce à leurs fromages, avec plus de 2,5 milliards d’euros de recette.

Des impacts environnementaux contrastés

La production laitière européenne représentait 0,05 % des émissions de gaz à effet de serre en 2010

L’intensification de l’élevage laitier a conduit à une dépendance forte aux intrants (fioul, fertilisants, aliments achetés) qui peuvent exacerber ses impacts sur l’environnement. La production laitière européenne représentait en 2010 l’équivalent de 176 à 241 millions de tonnes de CO2, soit 0,05 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) (CH4, N2O et CO2), notamment liées à la fermentation entérique, aux engrais pétrochimiques, à la production des aliments et à la consommation énergétique des fermes. L’élevage contribue, via les importations de tourteaux de soja, nécessaires pour équilibrer en protéines les rations à base d’ensilage de maïs, à des changements d’usage des terres dommageables pour la biodiversité et les écosystèmes. Dans certains territoires où la densité animale est importante par unité de surface, l’élevage laitier peut contribuer, par une mauvaise gestion du pâturage et par l’épandage trop fréquent de lisier, à une surfertilisation des sols en azote et phosphore responsable de la pollution des rivières et nappes phréatiques, et ceci en dépit des réglementations, notamment la directive européenne « nitrates » de 1991, dont le bilan reste mitigé. Mais dans les zones où il est encore pratiqué, le pâturage des ruminants garantit la conservation de prairies permanentes ou semées.

 

Or, outre l’intérêt paysager de cette pratique qui contribue à l’attractivité des territoires, les prairies présentent de multiples bénéfices : limitation de l’érosion des sols, régulation des flux d’eaux, épuration des polluants minéraux et organiques… « Elles améliorent aussi le bilan des émissions de GES de l’élevage par une séquestration du carbone dans les sols presque aussi efficace que celle d’une forêt », précise Luc Delaby, zootechnicien dans l’unité mixte de recherche Physiologie, environnement et génétique pour l’animal et les systèmes d’élevage (PEGASE) du centre INRAE Bretagne-Normandie. Les haies, talus enherbés et bocages associés préservent la biodiversité d’un territoire en fournissant des habitats pour la faune et la flore sauvages et les microorganismes, qui jouent un rôle dans les différents cycles écologiques, tout en contribuant aussi à la résilience des territoires face au changement climatique.

 

La question du bien-être animal

En 2019, 94 % des Européens estimaient le bien-être animal important et disaient qu’il influe sur leurs achats.

Sur le plan scientifique, la sensibilité des animaux d’élevage est démontrée1 et les législations françaises et européennes reconnaissent l’animal comme être sensible (code rural, code civil, traité d’Amsterdam). Cette sensibilité des animaux dépend de leurs capacités sensorielles (vue, ouïe, odorat, goût, toucher) et émotionnelles en réponse à leur perception de l’environnement. Cette sensibilité est propre à chaque espèce et à chaque individu. Le bien-être animal est souvent traduit par le « principe des 5 libertés » : physiologique, environnementale, sanitaire, comportementale et mentale. Mais ces libertés sont énoncées en termes de résultats et non de moyens. Ainsi, les vaches ne doivent pas souffrir d’un manque d’eau ou de nourriture prolongé. Elles doivent également disposer d’éléments protecteurs (bâtiment aéré, ombre…) face à une température trop élevée : au-dessus de 25 °C, les vaches sont en stress thermique. La possibilité de se mouvoir et d’avoir l’espace adéquat pour se déplacer et se coucher doit être prise en compte dans l’aménagement de l’environnement extérieur et intérieur. Ces éléments de bientraitance sont quantifiables et donc faciles à caractériser.

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Aujourd’hui, les exigences de la société en matière de bien-être se renforcent : en 2019, 94 % des Européens estimaient le bien-être animal important et déclaraient prendre ce critère en compte dans leur acte d’achat (source : Eurobaromètre). « La pratique du pâturage bénéficie d’une image positive auprès de la société. Elle est associée à une production naturelle et perçue comme favorable en termes de bien-être animal », appuie Luc Delaby. Mais cette notion est à analyser selon le point de vue de l’animal et non pas selon un référentiel anthropomorphique. Scientifiques et acteurs des filières cherchent ainsi à développer des environnements et des situations qui permettent à l’animal d’exprimer des comportements positifs conformes à son espèce : sociabilité, choix alimentaire, éducation des jeunes… De la parcelle à l’échelle globale, l’équation est difficile à résoudre entre rentabilité, impact environnemental et bien-être des animaux.

1. INRAE, 2009, Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d'élevage ; INRAE, 2017, La conscience animale.

Antibiotiques et antiparasitaires : comment réduire la dose ?

Assurer la bonne santé des animaux, une de leur liberté essentielle, se traduit souvent par l’utilisation d’antibiotiques et d’antiparasitaires. Mais leur sur- ou sous-dosage peut conduire à l’émergence de bactéries ou de parasites résistants et à une pollution de l’environnement. Aussi, le plan Écoantibio I (2012-2017) en France incitait les acteurs à agir de manière préventive et non curative avec, en particulier, des mesures d’hygiène et des bonnes pratiques d’élevage : amélioration de la salubrité des bâtiments, isolement et traitement de l’animal malade plutôt que de l’ensemble du troupeau, vaccins… Il a permis une baisse de 37 % de leurs usages. Mais cette préoccupation n’est pas partagée par tous les pays, notamment ceux où les antibiotiques sont utilisés comme « promoteurs de croissance », une pratique interdite au sein de l’UE depuis 2006 mais autorisée sur le continent américain et en Chine.

Raisonner en bouquet de services

Pour avancer, les scientifiques proposent de raisonner en bouquet de services, en distinguant les impacts positifs et négatifs via le concept « La Grange », qui représente de manière synthétique la façon dont les élevages d’un territoire interagissent avec le marché (global ou via les circuits courts), génèrent des emplois directs ou indirects, nécessitent des intrants provenant d’autres territoires, et fournissent des services environnementaux et culturels. « L’élevage est alors évalué pour l’ensemble des services qu’il génère et non plus du point de vue du seul objectif de production quantitative, permettant ainsi d’adapter les stratégies agricoles aux ressources et contraintes du territoire et de la planète », conclut Bertrand Dumont, zootechnicien au sein de l’unité mixte de recherche sur les herbivores du centre INRAE de Clermont–Auvergne-Rhône-Alpes.

  • Sarah-Louise Filleux

    Rédactrice