Dossier revue
Agroécologie

Expérimentations au pré !

Face à des enjeux variables d’une région à une autre, INRAE expérimente depuis longtemps sur tout le territoire national des modèles innovants d’élevages de bovins laitiers herbagers afin d'identifier les leviers et les freins à l’adaptation des pratiques, des systèmes d’élevage et des filières. Arrêt sur image sur 7 expérimentations.

Publié le 27 septembre 2022

MEMIPAT : « Optimiser ses prairies par la mixité de pâturage »

 

Historiquement, le pâturage par plusieurs espèces en Europe était majoritairement de type successif : d’abord les vaches, puis les brebis. Pourtant, au sein des grandes étendues herbeuses comme la savane, des espèces sauvages aux tailles et comportements alimentaires différents cohabitent. Transposant ces observations au contexte agricole, le projet MeMiPat, piloté par Frédéric Joly, agroécologue dans l’unité mixte de recherche sur les herbivores (UMRH) s’est intéressé à la mixité de pâturage entre des agnelles et des génisses Holstein.
Ces dernières, au comportement tranquille, se prêtent bien au pâturage mixte. L’objectif était de décrire le comportement alimentaire de chaque espèce et l’impact de la mixité sur les prairies concernées.

Les vaches, moins sélectives, broutent les herbes hautes, donnant accès aux agnelles à des herbes rases plus nutritives. Ce système permet de mieux valoriser les pâtures et d’améliorer l’état sanitaire des agnelles. Habituellement confrontées aux strongles, des parasites communs aux ruminants élevés en extérieur, elles sont moins infectées que le groupe témoin et grandissent deux fois plus vite.

COCCINELLE : « Co-construire un élevage de montagne durable, respectueux du bien-être et pour des produits de qualité »

 

En analysant la diversité florale des prairies des montagnes, les chercheurs peuvent étudier son impact sur la qualité du lait produit.

Développé en concertation avec la filière et des acteurs de l’environnement, ce projet Coccinelle étudie un système laitier écologique de montagne, incluant les attentes citoyennes en termes de qualité des produits, de bien-être animal et de gestion durable de l’environnement.

Il fait suite à 20 années d’expérimentations qui ont démontré l’impact positif du pâturage dans des prairies d’altitude au profil floristique diversifié (30 à 80 espèces) sur la qualité du lait et des fromages, riches en acides gras oméga-3 et pauvres en acides gras saturés. Il s’agit de développer un élevage 100 % herbager, économe en intrants. Le cycle de vie des animaux (reproduction, vêlage, croissance, lactation) s’organise autour de la pousse de l’herbe, pour que la ressource pâturée puisse, seule, couvrir leurs besoins alimentaires estivaux.

Les veaux, qui naissent au printemps, sont élevés sous la mère jusqu’au sevrage et bénéficient aussi du pâturage dès leur plus jeune âge. Les prairies permanentes, fauchées plus ou moins tardivement, concilient maximisation de la biodiversité et production de différents types de foin, adaptés aux besoins des animaux lorsqu’ils rentrent à l’étable en hiver. Dans une démarche de recherche participative, l’équipe scientifique sollicite un collectif d’éleveurs locaux pour les futurs choix techniques de l’expérimentation, tels que les croisements de races, l’allongement de la durée des lactations, l’essai de cultures pour l’alimentation hivernale du bétail adaptées au contexte montagnard, etc.

Ce projet est coordonné par 6 scientifiques, dont Matthieu Bouchon et Dominique Pomiès, zootechniciens au sein respectivement de l’unité expérimentale Système d’élevage de ruminants de moyenne montagne (Herbipôle) et de l’unité mixte de recherche sur les herbivores (UMRH)

TRIPL'XL : « Conduire de grands troupeaux au pâturage pour produire du lait à bas coût »

Piloté par Luc Delaby, zootechnicien dans l’unité Physiologie, environnement et génétique pour l’animal et les systèmes d’élevage (UMR PEGASE) Tripl’XL s’inscrit dans la continuité de 30 ans d’expérimentations en production laitière au domaine du Pin-au-Haras (61) qui ont permis d’analyser l’intérêt de l’herbe pâturée, l’influence de ses modes de valorisation et l’adéquation des races laitières aux systèmes herbagers.

Ce projet explore les conditions d’un retour à l’herbe de grands troupeaux en plaine en s’inspirant de travaux menés en collaboration avec l’Irlande, pays de référence en matière de production laitière à bas coût. Ainsi, 150 vaches laitières pâturent dans des prairies de 10 hectares selon un plan ajusté au mieux grâce au logiciel d’aide à la gestion du pâturage Patur’Plan, développé par INRAE et la société ElvUp.

En hiver ou en cas de pénuries estivales, les vaches sont nourries avec de l’herbe ensilée et du foin produits sur l’exploitation. La période de reproduction est brève (3 mois) afin de synchroniser la période des vêlages avec la pousse d’herbe au printemps. Afin d’évaluer l’intérêt des concentrés sur la quantité de lait produite et sur son effet positif sur la reproduction, un apport modéré est réalisé à certains moments de la lactation. Durant ce projet, les impacts du pâturage sur la santé et le bien-être des animaux sont étudiés selon une démarche de sciences participatives menée avec des acteurs de la filière et des citoyens dans le cadre du laboratoire d’innovation territorial « Ouest territoires d’élevage » (LIT OUESTEREL).

DYNAMIX : « Polyculture-élevage, une réflexion collaborative à l’échelle d’un territoire »

En Ariège, les exploitations sont  généralement réparties spatialement  avec l’élevage en zone de piémont et  montagne, et les grandes cultures céréalières en plaine. Cette organisation sépare ainsi des exploitations  spécialisées qui pourraient redevenir  complémentaires en  mettant en  place des circuits économiques adaptés. Le jeu sérieux Dynamix, créé par l'agronome Julie Ryschawy, dans l’unité Agroécologie,  innovation et territoires (UMR AGIR), teste une approche  participative pour recréer du lien  entre éleveurs et céréaliers.

Sous la forme d’un jeu de plateau, les  participants doivent concevoir des  scénarios d’achat-vente de grains,  fourrages et fumiers à l’aide de pions « offre », « demande » et « logistique ».  La méthode propose une réflexion collective à l’échelle des parcelles, des exploitations et jusqu’à l’organisation du territoire. En combinant différents logiciels d’évaluation alimentés par des données réelles, le modèle associé au jeu permet d’évaluer les heures de travail et les coûts évités, selon le scénario retenu. Cette approche multicritère permet  de tester des prises de décision  crédibles : que va-t-on gagner par scénario ? Quels critères saméliorent ou se détériorent ? Expérimentée de 2017 à 2020 avec la chambre d’agriculture de l’Ariège, cette approche peut s’adapter à d’autres territoires y compris au-delà de l’Hexagone : l’Écosse, le Danemark, la  Californie et le Brésil envisagent de l’adopter.

OASYS : « Diversifier ses couverts pour pâturer toute l’année malgré les pénuries estivales »

Piloté par Sandra Novak, agronome dans l’unité expérimentale Fourrages, ruminants et environnement (UE Ferlus), le projet OasYs développe un système de polyculture-élevage basé sur le pâturage de couverts diversifiés tout au long de l’année, dans l’objectif de produire du lait selon des pratiques économes en eau et en énergie.

Vache pâturant sur une parcelle de sorgho (céréale d’Afrique) et de lablab (légumineuse tropicale) pendant une période de sécheresse où la croissance d’herbe est insuffisante pour couvrir tous les besoins de l’animal.

Sous un climat océanique à sécheresses estivales marquées qui préfigure celui en 2050 du Grand-Ouest, région responsable de 50 % de la production laitière française, le projet propose de mettre en phase les besoins des animaux avec la production des prairies grâce à une stratégie d’élevage adaptée en termes de reproduction, de croisement de races et d’allongement des lactations.

En période de sécheresse ou en hiver, une partie du troupeau est tarie pour diminuer la pression du cheptel sur les fourrages. Le pâturage de couverts adaptés (millet-trèfles, sorgho, méteil, chicorée et betteraves) vient en complément des fourrages conservés. L’utilisation d’arbres fourragers, source d’ombre et d’aliments, est également testée sur un dispositif agroforestier unique en Europe. Composé de 200 arbres taillés en têtards, 1 600 vignes fourragères et 600 arbustes, ce véritable arboretum a permis d’évaluer la valeur nutritive des feuilles de 50 espèces d’arbres pour répondre à la demande des éleveurs.

MULTISWARD :« Des prairies multi-espèces pour l’élevage durable en Europe »

Coordonné par Jean-Louis Peyraud, chargé de mission à la direction scientifique Agriculture d’INRAE et agronome dans l’unité Physiologie, environnement et génétique l’animal et les systèmes d’élevage (UMR PEGASE), le projet MultiSward a évalué, de 2010 et 2014, l’utilisation et la gestion de prairies multi-spécifiques à base d’associations de graminées et de légumineuses dans différents systèmes agricoles européens.

Quinze partenaires ont mesuré les performances de couverts végétaux et la production de lait (et de viande) selon des modes de pâturage diversifiés dans dix pays européens aux conditions pédoclimatiques et socio-économiques variées, de la France à la Pologne, de l’Italie à la Norvège. Les résultats démontrent l’intérêt de ces prairies pour accroître simultanément la productivité des surfaces tout en produisant des bénéfices environnementaux. Ils ont permis de quantifier leurs avantages économiques, agronomiques et nutritionnels, autant d’arguments pour des élevages herbivores durables. Ces résultats ont fait l’objet d’un ouvrage gratuit, afin de favoriser la prise en compte des modèles de production basés sur l’herbe en Europe.

ASTER : « Du système bovin laitier biologique à la polyculture-polyélevage »

Piloté par un collectif d’ingénieurs et de techniciens, dont Amandine Durpoix et Laurent Brunet, ingénieurs d’études au sein de l’unité de recherche Agrosystèmes, territoires et ressources (Aster), expérimente des systèmes de polyculture-élevage autonomes et durables, par une méthode de conception « pas à pas », qui s’adapte aux contraintes rencontrées sur le plateau lorrain.

L’utilisation d’une salle de traite déplaçable permet de valoriser les prairies trop éloignées des bâtiments.

Entre 2006 et 2015, l’équipe a comparé deux systèmes laitiers en agriculture biologique (AB), l’un tout herbe, l’autre en polyculture-élevage, démontrant la rentabilité économique des systèmes avec moins d’intrants (0 engrais, 0 concentré, diminution du fioul) et leurs bénéfices pour l’environnement : augmentation de la biodiversité, diminution de l’émission de GES (CH4 et NO2) par litre de lait et de la pollution azotée des sols.

L’équipe a renouvelé en 2016 son projet scientifique et agricole en diversifiant, toujours en AB, ses productions par un modèle de polyculture-polyélevage. Les cultures annuelles (70 ha) ont été converties pour l’alimentation humaine (blé meunier, lentilles, tournesols, légumes de plein champ…). Une troupe de 130 brebis et une bande de 30 porcs à l’engraissement, tous élevés en plein air, complètent le troupeau de 90 vaches laitières. Les ruminants, nourris exclusivement à l’herbe, valorisent (parfois en pâturage mixte) les prairies permanentes et temporaires, même éloignées des bâtiments. Originalité du système : les vaches laitières sont traites une fois par jour, en bâtiment ou dans la parcelle, et les génisses de renouvellement sont élevées par une dizaine de nourrices, ce qui contribue à diminuer leurs problèmes sanitaires et à améliorer leur croissance, leur permettant de vêler dès 24 mois.

  • Sarah-Louise Filleux

    Rédactrice

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