Agroécologie 5 min

Les sols pour nourrir le monde : le recyclage agricole des matières fertilisantes organiques

Dans les sols, les matières organiques sont essentielles au bon fonctionnement et à la durabilité des écosystèmes agricoles et forestiers. Augmenter leur retour au sol, en limiter les pertes… la préservation des matières organiques est primordiale pour une agriculture performante et durable au service d’une alimentation durable et de qualité pour tous.

Publié le 02 février 2021

illustration Les sols pour nourrir le monde : le recyclage agricole des matières fertilisantes organiques
© INRAE, Christophe Maître

A l’interface de nombreux écosystèmes continentaux, l’agriculture a une responsabilité essentielle dans la gestion durable de leurs ressources. Elle doit également répondre aux enjeux sociétaux majeurs, qu’il s’agisse d’assurer la sécurité alimentaire, d’entretenir les ressources (p. ex. les sols et leur fertilité) ou encore de limiter les impacts environnementaux (p. ex. émissions de gaz à effet de serre ou GES, volatilisation d’ammoniac, lixiviation de nitrate). En réponse à ce constat, des méthodes agro-écologiques de productions agricoles respectueuses de l’environnement sont mises en place, dont l’apport au sol de matières organiques.

L’agriculture fournit par ailleurs des services à la société via les productions agricoles et le recyclage de déchets biodégradables issus des collectivités et des acteurs économiques. En dépit de la raréfaction des matières premières, la consommation totale des engrais minéraux (azote, N ; phosphore, P ; potassium, K) augmente chaque année ainsi que leur prix. Comme partout en Europe de l’Ouest, l’agriculture française est ainsi dépendante des importations d’azote et de phosphore, ce qui fragilise les agriculteurs. Cependant, en permettant une plus grande autonomie en énergie et en éléments fertilisants des agriculteurs, l’agriculture peut aussi contribuer à la transition énergétique et à l’économie circulaire des territoires. Ceci est notamment possible grâce à la production d’énergie renouvelable par méthanisation et la substitution des engrais de synthèse par des matières fertilisantes d’origine résiduaire (p. ex. effluents élevage, composts, résidus des processus de méthanisation* ou digestats).

📣  La méthanisation est un processus biologique de dégradation de substrats organiques par des communautés microbiennes diverses. Réalisée en absence d’oxygène, la méthanisation produit du biogaz riche en méthane, source d’énergie renouvelable et des digestats dont le retour au sol permet de recycler les nutriments. La méthanisation permet donc une double valorisation des déchets et des effluents.

Les atouts du recyclage agricole des matières fertilisantes organiques

Aujourd'hui, 300 millions de tonnes de matière organiques résiduaires sont produites chaque année en France. Elles proviennent de l'agriculture (fumiers, lisiers…), des activités urbaines (boues, composts urbains…) et des industries (agro-industries ou autres).

La matière organique, au cœur de la fertilité des sols

Le retour au sol des déjections animales est une pratique agricole multiséculaire. Au cours du XXesiècle, il a été complété, voire supplanté, par le recours aux engrais minéraux en vue d’augmenter les productions agricoles. Dans un contexte où se combinent la volonté de réduire des volumes de déchets générés et de les recycler, la prise de conscience des impacts environnementaux associés à la fabrication des engrais azotés de synthèse, la raréfaction des ressources minières (p. ex. P) et la dégradation des taux de matière organique des sols, l’intérêt de réemployer la partie organique de nos déchets en agriculture prend tout son sens.

La matière organique du sol est au cœur de sa fertilité. L’apport de matières fertilisantes organiques permet d’entretenir, voire d’augmenter la matière organique du sol. Celle-ci améliore la structure physique et la capacité de rétention en eau du sol, tout en nourrissant les organismes qu’il abrite et qui assurent de nombreux services écosystémiques : les vers de terre structurent le sol ; les bactéries et les champignons dégradent la matière organique du sol et libèrent des nutriments pour les plantes…

La valorisation de ces déchets organiques en agriculture est ainsi encouragée, permettant le recyclage des nutriments qu'ils contiennent. Les déchets deviennent ressources et contribuent à la bioéconomie des territoires. Cette pratique pourrait aussi participer à augmenter les stocks de matière organique dans les sols, permettant d’atténuer les effets du changement climatique en compensant les surplus d’émission de gaz à effet de serre.

Parmi les méthodes de traitement des déchets organiques, le compostage est une pratique reconnue pour hygiéniser et stabiliser les déchets organiques produits par la société comme les boues d’épuration, les déchets verts ou la fraction putrescible des déchets des ménages et ceux de la restauration collective (c’est-à-dire les biodéchets). La digestion anaérobie est également favorisée pour produire des sources alternatives d'énergie et d'engrais. La méthanisation à la ferme ou collective, s’avère aussi pertinente pour le potentiel financier lié à la production de biogaz et d’électricité, la diversification et l’autonomie énergétique des agriculteurs, mais également pour l’utilisation des digestats en substitution (partielle ou totale) des engrais minéraux.

Un besoin d’assurer une bonne gestion du recyclage agricole des matières fertilisantes organiques

Du fait de leur origine résiduaire, les apports au sol des matières organiques exogènes peuvent représenter une source de contaminants : contaminants minéraux avec des éléments traces métalliques et des nanoparticules ; contaminants organiques tels que des résidus pharmaceutiques et hormonaux, et des composés persistants comme les composés perfluorés ; agents pathogènes humains comme les salmonelles, Escherichia coli, parasites. Face à ces risques, environnementaux et sanitaires, des réglementations ont été mises en place dès 1998 pour les boues d’épuration, puis 2002 et 2006 pour les amendements organiques. Depuis, les produits épandus en agriculture respectent les seuils définis dans ces règlementations et la qualité des produits épandus sur les sols s’est peu à peu améliorée au regard de cette réglementation. Courant 2020/2021, la liste des contaminants et les seuils admissibles dans les matières seront révisés au niveau national et européen pour accompagner la feuille de route de l’économie circulaire.

Cette pratique du recyclage agricole de matières organiques résiduaires peut aussi avoir des impacts environnementaux liés à la gestion des éléments nutritifs qu’il faut maitriser pour assurer un bilan positif de leur valorisation. Ainsi, le raisonnement des apports et l’adaptation des pratiques culturales et des systèmes de culture doivent limiter la lixiviation de nitrates, les émissions de GES tels que le protoxyde d’azote ou encore la volatilisation d’ammoniac. Dans les zones vulnérables définies dans le cadre de la directive « Nitrates » concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, la limitation des flux d’azote, voire de phosphore épandus, est accompagnée de démarches pour mieux raisonner la fertilisation afin d’éviter les risques de sur-fertilisation. Les risques de volatilisation d’ammoniac peuvent aussi être importants pour les matières riches en azote ammoniacal, nécessitant de recourir à des pratiques d’épandage avec enfouissement. Celles-ci permettent de limiter ces émissions.

Depuis la mise en place du Plan Energie Méthanisation Autonomie Azote - EMAA, (2013, Ministère de l’Agriculture), de nombreux projets d’unités de méthanisation ont été mis en place, participant à la diversification des sources de revenus des agriculteurs, en partie soutenues par des aides publiques, de l’ADEME et des couts de rachat du biogaz intéressants. Ce développement de la méthanisation peut s’accompagner de changements dans les systèmes de production agricole avec, par exemple, le développement des cultures intermédiaires à vocation énergétique, le changement des cultures de rente… Les recherches autour de la méthanisation ont longtemps concerné l’optimisation des procédés. L’attention se porte maintenant de plus en plus vers les co-produits de la méthanisation que sont les digestats. De nombreux programmes de recherche sur le fonctionnement des sols (dynamique des matières organiques, biologie, flux d’azote…) visent à optimiser leurs usages afin d’accompagner le développement de la méthanisation et les nouveaux modes de fonctionnement des exploitations agricoles.  


Avec le développement de la bioéconomie, les matières organiques résiduaires ne sont plus des déchets mais deviennent des ressources dont la valorisation agronomique nécessite de bien évaluer leur potentiel de substitution des engrais minéraux, de réfléchir aux conditions de leur transfert potentiel entre territoires (p. ex. des zones excédentaires vers les zones déficitaires). Il est par ailleurs essentiel de bien connaitre les effets à long terme de leur retour au sol pour vérifier que les bénéfices de ces pratiques ne sont pas atténués par exemple, par des apports de contaminants ou des émissions gazeuses plus importantes.

 

Retrouvez l’ensemble du dossier : les sols, essentiels pour la planète

 

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Aurélia Michaud UMR Sol, agro et hydrosystème, spatialisation (INRAE, AgroCampusOuest)

Sabine Houot UMR Ecologie fonctionnelle et écotoxicologie des agroécosystèmes (INRAE, AgroParisTech)

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