Bioéconomie 3 min
Les déchets en valeur
Il est pionnier dans la dépollution d’effluents agroalimentaires et dans l’optimisation de ces procédés pour produire du méthane, une bioénergie qui a désormais sa place dans notre bouquet énergétique. Le Laboratoire de Biotechnologie de l’Environnement de l’Inra (LBE) (1) cherche aujourd’hui à transformer les déchets des activités humaines en ressources. Au plus près des aspirations de la société à un futur plus durable, à l’écoute des industriels pour trouver les innovations nécessaires à une économie plus verte.
Publié le 20 novembre 2017
Avec 50 à 60 articles publiés chaque année dans des revues scientifiques de haut niveau, le LBE est premier sur la scène internationale dans le domaine de la méthanisation (ou digestion anaérobie) devant le Danemark (Technical University of Denmark) et la Chine. Un leadership entretenu depuis 30 ans, avec des avancées scientifiques majeures dans le développement de systèmes à grande échelle (prétraitements des matières organiques, biofilms microbiens, modélisation, procédés) et dans l’écologie des communautés microbiennes. En 2015, près de 10 % des ventes d'installations de méthanisation en France, en termes de puissance électrique installée, ont été réalisées par Naskéo, une start-up créée en 2005 à partir d’un brevet du LBE sur le traitement anaérobie des eaux usées. Avec un second brevet LBE, la jeune pousse a ensuite étendu son activité aux déchets solides, en optimisant la production de méthane. Les politiques publiques encourageant la méthanisation (2006, 2011 et 2013) ont permis à ces activités d’atteindre une viabilité économique.
De la gestion de nuisances à la création de ressources
Transformer les déchets en ressources, au-delà du biogaz, le tournant est pris au LBE voici 10 ans. Bienvenue dans le monde de la bioraffinerie environnementale ! Outre le méthane, nos chercheurs et ingénieurs travaillent à la production d’hydrogène, à la mise au point de « piles bactériennes » ou encore à réduire la facture énergétique des stations d’épuration à l’aide de microalgues. D’autres débouchés visent l’agriculture : l’eau chargée de carbone, phosphore et azote peut être dépolluée mais, lorsqu’elle sert ensuite à l’irrigation, pourquoi ne pas garder la dose d’azote et phosphore utile à la culture ? De même, une fois débarrassés des matières polluantes majeures ou en traces (pesticides, métaux lourds, pathogènes…), les digestats résiduels de fermentation ou méthanisation peuvent être épandus aux champs… ici, les travaux de Julie, chercheuse en génie des procédés, visent à ajuster leur composition aux besoins des cultures. Avant cela, des composés à haute valeur ajoutée pour l’agro-alimentaire ou la chimie verte peuvent parfois en être extraits.
Des chemins d’innovation défrichés avec la société et le monde économique
L'innovation, c'est dans nos gènes
« L’innovation, c’est dans nos gènes » résume Dominique qui consacre aujourd’hui ses recherches au traitement des résidus de médicaments. Le transfert aussi… La halle expérimentale du LBE, labellisée par l’Union européenne (2), incarne cette double vocation. Elle jouxte l’IUT, où le LBE assure des cours, et la pépinière d’entreprises où se développe BioEnTech, start-up fondée à partir de technologies du LBE et d’Inria pour le pilotage d’installations de méthanisation… L’innovation naît aussi de recherches collaboratives avec le milieu industriel. Un credo pour Diana qui, après 15 années passées dans l’industrie, pilote la halle. Parmi les projets en cours, un travail sur la valorisation des résidus de maïs ou son de blé (3). Fractionnement, traitement des résidus solides, extraction, protéines, acceptabilité sociale, etc. : « La spécificité de l’Inra est de réunir, à travers ses différents labos, les compétences pour traiter la chaîne de valeur toute entière » explique-t-elle. « Objectif : concilier dépollution, équilibre financier des industriels et demande sociétale croissante en produits biosourcés ». Dans les mêmes locaux, Romain dirige Inra Transfert Environnement (ITE) : « Émanation du LBE, l’entreprise assure des prestations de service pour les industriels. Lorsque les demandes soulèvent des questions de recherche, elles sont transmises au LBE ».
Les voyages forment la jeunesse… et l’interdisciplinarité
Quand Nicolas, directeur du laboratoire, détaille le profil de ses collaborateurs, les nationalités défilent : Amérique latine, Europe, Afrique du Nord, Asie... Quelles voies les conduisent au LBE, « petit village gaulois » au cœur de la Narbonnaise, loin de tout grand campus ? comme le décrit Kim, chercheur en microbiologie formé aux États-Unis. Les thématiques mais aussi la qualité scientifique du laboratoire, le bouche à oreille de nombreux « anciens » qui ont réalisé leur thèse ou post-doc au labo, ou noué des collaborations. Le groupe « LBE Alumni », à peine lancé sur le réseau social LinkedIn, réunit déjà près de 60 personnes. Une « grande famille » : la taille humaine du laboratoire encourage les interactions, avec de nombreux degrés de liberté. Les thèses sont co-encadrées par des scientifiques de plusieurs disciplines, à l’exemple de celle de Roman alliant fermentation, électrochimie et modélisation. Cette culture de l’interdisciplinarité a été insufflée par René Moletta, à la tête du laboratoire jusqu’en 2000. Aujourd’hui, l’organisation par « objet thématique » facilite les synergies et l’acquisition d’un langage commun entre disciplines. Le dynamisme du LBE est également alimenté, comme l’exprime Audrey, ingénieur, par des « thèmes porteurs : l’environnement et l’économie circulaire » fortes attentes de la société, encouragées par les politiques publiques, avec l’appui d’une Région qui vise le premier label « à énergie positive ».
(1) Le laurier récompense l’ensemble du personnel du LBE, même si seuls quelques membres sont évoqués à travers ce « portrait » par leur prénom. En 2017, le LBE compte 36 titulaires et 80 "équivalents temps plein" (ETP) au total (contre 12 en 1989).
(2) Label : Key Enabling Technologies (KETs) Technology Center
(3) Projet mené en collaboration avec les unités Inra Biodiversité et Biotechnologie Fongiques (UMR Inra Université Marseille et Polytech Marseille BBF) et Biopolymères Interactions Assemblages (BIA) à Nantes
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Un peu d'histoire
En 1895 est fondée à Narbonne une Station œnologique, inaugurée en 1936 par Léon Blum alors député de Narbonne, à l’occasion d’une installation dans de nouveaux locaux. Dès la fin des années 30, cette station où naîtra ensuite le LBE, se préoccupe du traitement des pollutions générées par la concentration de l’activité viticole. Des effluents de distillerie concentrés envers lesquels les microorganismes qui font leurs preuves (plus de 100 espèces différentes) travaillent sans oxygène : c’est la digestion anaérobie. Cette transformation produit du méthane, c’est pourquoi on parle encore de méthanisation. Un premier essor est pris dans les années 70, avec des technologies utilisant le vivant (des bactéries capables de traiter ces éléments dans la nature) : le laboratoire des biotechnologies de l’environnement LBE-IAA naît… Dans les années 1990, le LBE élargit son activité hors des industries agroalimentaires (IAA) avec le traitement des résidus solides urbains et industriels. Peu à peu la méthanisation est vue comme une voie de production alternative d’énergie : nouveau débouché et nouvelles recherches pour adapter les processus de production avec du génie des procédés mais aussi des recherches sur les communautés microbiennes les plus adaptées au processus ou pouvant « ensemencer » la matière à transformer. Grâce aux politiques publiques le traitement des déchets dans l’optique de produire du méthane bioénergie devient rentable (2011-2013). La méthanisation est également devenue un levier important dans la politique européenne des énergies renouvelables.
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