Bioéconomie 5 min
Valorisation agricole des effluents, boues et déchets organiques
Le 3 juillet 2014 ont été restituées et mises en débat les conclusions de l’expertise scientifique collective pilotée par l’Inra, le CNRS et Irstea, réalisée à la demande des ministères chargés de l’Agriculture et de l’Environnement, sur la valorisation des matières fertilisantes d’origine résiduaire sur les sols à usage agricole ou forestier.
Publié le 03 juillet 2014
Les effluents d’élevage, boues d’épuration, déchets organiques urbains et effluents industriels – qualifiés de matières fertilisantes d’origine résiduaire (Mafor) - constituent des sources d'éléments fertilisants et de matière organique pour fertiliser ou amender les sols agricoles ou forestiers. L’expertise a fait le point sur les impacts agronomiques, environnementaux et socio-économiques de leur épandage.
Fertiliser ou amender les sols
Parmi les matières fertilisantes d’origine résiduaire, les effluents d’élevage sont largement majoritaires en volume. Leur épandage sur les terres agricoles est une pratique traditionnelle pour fertiliser les sols mais la spécialisation des productions ayant concentré l’élevage dans certaines régions (Ouest et Nord notamment), l’épandage y est lui aussi majoritaire, tant sur grandes cultures que sur prairies. Le recours aux différentes Mafor concerne l'ensemble du territoire national, mais varie selon les régions : l'usage de boues d'épuration urbaines, composts urbains… est plus concentré dans les zones dépourvues d'élevage et les zones périurbaines.
L’épandage d’effluents d’élevage et autres Mafor fournit des éléments minéraux (azote, phosphore, potassium N, P, K) nécessaires à la nutrition des végétaux. Il apporte en outre de la matière organique qui permet d'améliorer les propriétés des sols (valeur amendante). La valeur fertilisante des matières fertilisantes d’origine résiduaire est comparable aux engrais minéraux concernant le phosphore et le potassium. Elles sont la seule source de phosphore renouvelable, or nos réserves en phosphore minéral sont limitées. Les apports azotés sont en revanche différents de ceux apportés par les fertilisants minéraux. Les Mafor peuvent ainsi être hiérarchisées selon le type d'apport qu'elles représentent : certaines sont plutôt des "fertilisants" car leur valeur fertilisante azotée est proche de celle des engrais minéraux. D'autres sont plutôt des "amendements" car elles enrichissent le stock de matière organique des sols.
Gérer les apports, éviter les excès
Les excès de phosphore et d’azote apportés par fertilisation peuvent conduire à l’eutrophisation des eaux (algues vertes, etc.) et, pour l’azote, être source d’émission de gaz à effet de serre. Toujours concernant l’azote, l’expertise a mis l’accent sur des pertes intervenant lors du stockage qu’il conviendrait de mieux étudier, bien que ce point n’entrait pas dans le périmètre de l’exercice.
L’épandage de fertilisants organiques pose donc la question du dosage de ces apports, chaque source ayant sa composition propre (différences entre lisier de porc et fumier de vache par exemple, différences en fonction des traitements appliqués – compostage, chaulage… et de la durée de stockage). Bien utiliser ces intrants nécessite donc de bien connaître leurs caractéristiques et, souvent de les utiliser en mélange pour mieux coller aux besoins souhaités.
Les pertes sont plus réduites quand les matières sont enfouies après épandage ou par l’utilisation de cultures intermédiaires pièges à nitrates. L’expertise souligne donc l’intérêt agronomique de ces épandages qui, pour limiter leur impact environnemental, nécessitent plus de technicité de la part des agriculteurs (comparés à l’emploi d’engrais minéraux). Et donc une prise de risque plus grande. Enfin, l’expertise met en évidence le besoin de connaissance plus fine des caractéristiques des différentes matières fertilisantes d’origine résiduaire et de leurs dynamiques d’évolution.
Des risques de contamination à mieux évaluer
L’expertise pointe que l’épandage des effluents d'élevage et boues d'épuration urbaines, qui contiennent des matières fécales, peut participer à disséminer l’antibiorésistance. Emportant de nombreuses bactéries et des résidus d'antibiotiques, ces effluents constituent un terreau favorable à la sélection de bactéries résistantes. Plus largement, ces Mafor sont vectrices d'agents pathogènes, bactéries mais aussi virus, parasites… À ce jour, aucune contamination microbienne d’origine fertilisante n’a cependant été identifiée en tant que source d’un problème de santé publique. Certains traitements applicables aux Mafor (chaulage, compostage, digestion anaérobie…) réduisent efficacement la présence d’agents pathogènes dans les Mafor.
Les Mafor renferment également de nombreux contaminants chimiques (organiques et minéraux) sous forme d'éléments traces ayant un effet toxique démontré sur les êtres vivants à certaines doses. L'effet des traitements applicables aux Mafor sur leurs teneurs en contaminants est moins bien connu. Les travaux menés en conditions réelles, conformes à la réglementation en vigueur, ne montrent pas d'accumulation de composés traces organiques, ni dans les sols ni dans les végétaux. Des transferts dans les eaux sont néanmoins susceptibles de se produire. L’expertise pointe en outre le manque de connaissance sur la transformation, le devenir et la toxicité des composés traces organiques. Quant aux éléments traces minéraux, très persistants dans l'environnement, tout épandage de Mafor en contenant contribue à leur accumulation progressive dans les sols.
Enfin, à l’heure actuelle, neuf éléments traces minéraux et dix composés traces organiques sont réglementés. Les Mafor épandues présentent des teneurs en deçà des seuils mais une vigilance est à avoir sur le cumul des épandages au cours des années. L’expertise pointe enfin le manque d’harmonisation des réglementations entre pays, faute de consensus scientifique sur les données de base.
A propos de : une expertise scientifique collective
L'expertise scientifique collective (Esco) est une activité d'expertise institutionnelle, régie par la charte nationale de l'expertise à laquelle l'Inra, le CNRS et Irstea ont adhéré en 2011. Elle se définit comme une activité d’analyse et d’assemblage de connaissances produites dans des champs très divers du savoir, et pertinentes pour éclairer l’action publique. L'analyse est conduite par un collectif pluridisciplinaire d'experts chercheurs d’origines institutionnelles diverses. Pour l'Esco "Mafor", conduite par la DEPE (Inra), une trentaine d'experts français et étrangers issus de différents organismes ont été mobilisés, leurs compétences relevant de l’agronomie, de la chimie, de la microbiologie, de l'écotoxicologie, de l’économie, de la sociologie, du droit… Le travail des experts s’est appuyé sur un corpus bibliographique de près de 3 000 références, composées essentiellement d’articles scientifiques auxquels se sont ajoutés des statistiques, des rapports d'étude et des ouvrages. Cet exercice se conclut par la production d'un rapport qui rassemble les contributions des experts, et d'une synthèse à l'usage notamment des décideurs.
Focus : des enjeux et logiques sociales différents
Le recours aux différentes Mafor ne répond pas aux mêmes enjeux et ne suit pas les mêmes logiques :
- l'épandage des effluents d'élevage relève d'une pratique ancienne, "variante" de l'émission directe des déjections à la pâture. Leur élimination est rarement envisagée, sauf dans les zones en excédent structurel au titre de la directive "Nitrates";
- l'épandage de certaines Mafor d'origine industrielle entre parfaitement dans la logique de bouclage des cycles. C'est le cas, par exemple, des effluents de l'industrie betteravière épandus sur les parcelles dédiées à la culture de betteraves. Dans cette logique, la normalisation s'est parfois développée et certains de ces effluents sont commercialisés en tant qu'engrais organiques (les écumes de sucrerie, par exemple);
- l'épandage de Mafor d'origine urbaine (boues d'épuration, composts urbains) est plutôt perçu comme un service rendu par l'agriculture à la société, en la débarrassant de ses déchets. Le développement des procédés de traitement des déchets urbains (notamment la méthanisation) et l'usage des "nouvelles" Mafor qui en sont issues ne sont cependant pas étudiés sous l'angle de la sociologie, bien que cette problématique soit régulièrement médiatisée.
VIENT DE PARAITRE
Recyclage de déchets organiques en agriculture - Effets agronomiques et environnementaux de leur épandage
Cet ouvrage est issu d’une expertise scientifique collective réalisée à la demande des ministères en charge de l’Écologie et de l’Agriculture.
Marie-Noëlle Pons, chercheure CNRS, s’intéresse aux problématiques de métrologie pour l’environnement, de traitement des eaux résiduaires urbaines et industrielles, et de devenir des polluants dans les eaux
Editions Quae - Matière à débattre et décider, 200 pages, 13 octobre 2016 – 10,50 euros