illustration Guy Richard, anticipateur innovant
© Inra, Ch. Maître

Société et territoires 5 min

Guy Richard, anticipateur innovant

Guy Richard est à la tête de la Direction de l’Expertise scientifique collective, de la Prospective et des Études (DEPE) d’INRAE, évolution de la délégation correspondante au sein de l’Inra qu’il a dirigé pendant 2 ans, après avoir été chef du département scientifique Environnement et Agronomie de l’Inra pendant huit ans. Le fil rouge de cet agronome : « anticiper l’agriculture ». Sa méthode : une animation d’équipe alliant stratégie et « terrain ».

Publié le 12 février 2019

Lorsqu’il court le dimanche matin, dans la campagne orléanaise, Guy Richard, fait le tri de ses idées : « je me vide la tête et je la remplis ». Une respiration bienvenue dans la semaine d’un homme qui vit à plus de 100 à l’heure. Jusqu’en 2018, il s’est entièrement consacré au management et au pilotage du département Environnement et Agronomie (EA) de l’Inra. Il anime alors près de 1 000 agents de 40 unités de recherche réparties dans 16 centres Inra. Souvent en déplacements, et en réunions. « Des moments très riches » apprécie-t-il avec le recul. Avec aussi, depuis 2009, l’échange annuel avec l’université de Canton afin de suivre le laboratoire international associé (LIA) sur les sols qu’il a contribué à fonder avec l’université de Lorraine. Puis, en avril 2018, changement de tempo. Place aux déplacements pendulaires depuis Orléans lorsqu’il prend la direction de la DEPE, basée au centre siège à Paris. À lui, le pilotage de missions d’expertises, prospectives et études, destinées à éclairer la décision publique et à anticiper, au service de la société et des stratégies de recherche.

Une stratégie à visage humain

Je crois dans le travail collectif

« Je crois dans le travail collectif » nous confie d’emblée Guy Richard. Il ajoute aimer « laisser émerger et soutenir les initiatives, voir des réseaux se constituer ». De fait, Guy Richard est un homme attentif et ouvert. Très actif et toujours empathique au fil de la discussion : chaque personne, chaque avis comptent. Il enrichit la construction commune, cherche le fil rouge… Les échanges terminés, il synthétise et propose des pistes concrètes pour aller plus loin. De la recherche à l’animation de la recherche, c’est par les rencontres, l’écoute et les échanges que Guy construit le cheminement collectif. « J’apprécie à la fois d’élaborer une stratégie scientifique et de la mettre en œuvre, j’ai eu la chance de bâtir deux schémas stratégiques de département » explique-t-il. Lorsqu’il rejoint la DEPE, il est conscient que le débat interne à l’Inra et externe avec la société est à favoriser pour pleinement valoriser les résultats des expertises et des prospectives.

Croiser fronts de science et finalités pour la société

Nos choix scientifiques ne sont pas anodins

En 2010, à sa prise de fonction à la tête du département EA, Guy est confronté aux questions de ses collègues : pour qui travaillons-nous ? Pour quelle agriculture ? C’est dans sa propre expérience qu’il ira chercher les premiers éléments de réponse… Lui qui est né dans l’horizon des cultures intensives de blé et de maïs en Beauce et qui est parti faire son VSNA1 au Népal dans les cultures associées maïs-éleusine des moyennes montagnes himalayennes.  Dans toute son histoire, il y a souvent ce changement radical de perspective !

Depuis sa première expérience de chercheur, à la station Inra de Laon, où il étudiait les effets de l’environnement sur les plantes avant de travailler sur les impacts de l’agriculture sur l’environnement, il a affiné, ajusté et questionné sa démarche de chercheur. Jusqu’à se construire une conviction profonde : il faut travailler plus en amont pour éviter les effets indésirables de certaines pratiques culturales liées à l’agriculture industrielle plutôt qu’avoir à les corriger. Ceci l’amène à penser aux services que rendent les écosystèmes, aux coordinations entre cultures, entre cultures et élevage, au sein du paysage…  
En tant que chef de département, il aura à cœur de « partager ce cheminement » invitant toutes les unités et tous les chercheurs à situer leurs travaux par rapport aux différentes formes d’agriculture. « J’ai voulu faire prendre conscience aux collègues que leurs choix n’étaient pas anodins, explique-t-il, cela ne doit pas rester implicite ». Pour lui, les choix stratégiques d’un chef de département doivent considérer les finalités pour la société aussi bien que les fronts de science : « il faut croiser les deux ».

Il vit ensuite « une très belle expérience de chercheur » : la création du métaprogramme Inra EcoServ sur les services écosystémiques… En 2012, la notion est peu mobilisée par les chercheurs Inra. Ce sera le premier défi à relever pour Guy : avec la cellule EcoServ, ils lancent les « Mardis d’EcoServ », une série de conférences avec des intervenants internes et externes, relayées en vidéo pour associer le plus de personnes possible. Avec le recul, il constate que la construction de ce métaprogramme l’a aussi aidé dans ses fonctions de chef de département « J’ai changé ma façon de considérer les approches systémiques ».

Anticiper les recherches

Intégrer le savoir-faire de la DEPE dans la programmation des recherches

Son intérêt pour l’expertise s’enracine à l’occasion de sa participation à l’expertise « Stocker du carbone dans les sols de France ». Achevée en 2002, elle rôde la méthodologie de ce type d’exercice à l’Inra. Quand les chercheurs deviennent experts, ils contribuent à construire un état des lieux solide des connaissances scientifiques sur un sujet, à cerner les problématiques des différents porteurs d’enjeux, à détecter les manques et les lacunes dans les recherches, à faire apparaître les connaissances controversées. « J’ai toujours incité les chercheurs du département EA à participer aux activités de la DEPE » témoigne-t-il. En prenant ses nouvelles fonctions, Guy doit préfigurer l’évolution de la DEPE dans le cadre de l’établissement unique qui résultera de la fusion entre l’Inra et Irstea en 2020. « L’idée n’est pas de toucher à la qualité de nos exercices d’expertise, prospective ou étude » explique-t-il. Il esquisse des propositions pour permettre de développer le positionnement international de la DEPE et pour améliorer encore la valorisation des connaissances produites, en externe, mais aussi en interne, de manière à mieux alimenter la stratégie scientifique. « La prospective AgrimondeTerra2 menée avec le Cirad témoigne de notre capacité à travailler à l’international » constate Guy, mais il envisage maintenant de construire les prochaines actions directement dans le cadre européen ou mondial. Pourquoi ne pas s’associer à des instituts de recherche étrangers et porter une thématique auprès des Nations-Unies ? En interne, il expérimente un nouvel exercice, prenant en charge des demandes de pré-études de la part de la Direction générale : le premier sujet concerne les perturbateurs endocriniens. Une nouvelle manière de travailler avec les directions scientifiques en émergera sans doute.

De toutes ses expériences, positives ou négatives, Guy sait tirer des enseignements pour le futur : « Lorsque quelque chose nous contrarie, puis qu’on arrive à l’accepter et le dépasser, finalement, on en tire quelques idées »... et un parcours fertile pour l’Inra.

Notes :
1 VSNA : volontaire du service national actif
2 AgrmondeTerra : prospective sur l'usage des terres et la sécurité alimentaire mondiale en 2050

Nicole LadetRédactrice

Eric ConnehayeRédacteur