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Sénégal : prendre en compte les inégalités au sein d’un ménage pour mieux orienter les aides publiques

COMMUNIQUE DE PRESSE - La mesure de la pauvreté et des inégalités dans un pays est importante pour orienter les mesures politiques d’aide aux personnes sous le seuil de pauvreté. Elle se base la plupart du temps sur des enquêtes de consommation des ménages. Mais ces enquêtes ignorent les inégalités qui peuvent exister au sein même d’un ménage. Des économistes d’INRAE et de l’Université Paris Dauphine – PSL, en partenariat avec l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie du Sénégal, ont ainsi mené une large enquête quantitative au Sénégal auprès de 18 000 individus de 2000 ménages. L’un des objectifs étaient d’améliorer la mesure de la pauvreté. Leurs résultats, publiés dans le numéro de mai de la revue World Bank Economics, montrent que les inégalités au sein des ménages représenteraient 14% des inégalités au Sénégal. Mais surtout, 13,4% des personnes pauvres ne seraient pas repérées comme telles dans les enquêtes nationales car elles appartiennent à des ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté.

Publié le 05 juillet 2021

illustration Sénégal : prendre en compte les inégalités au sein d’un ménage pour mieux orienter les aides publiques
© Pixabay

Pour mesurer la pauvreté, le Sénégal, comme la plupart des pays, utilise des enquêtes de consommation des ménages, un ménage correspondant à l’ensemble des occupants d’un même logement. Pour ces enquêtes, une seule personne est interrogée, généralement le chef de famille, pour l’ensemble du ménage. Dans les pays en développement, notamment en Afrique sub-saharienne, les ménages ne correspondent pas souvent à la structure familiale du couple avec enfants partageant une résidence. Ils sont souvent étendus, incluant selon les cas, les parents du chef de ménage, des membres de sa fratrie avec leur famille, ou d’autres apparentés (belles-sœurs, cousins…). De plus, dans le contexte sénégalais, les différents membres du ménage peuvent avoir des revenus privés qui ne sont pas connus de tous. Par exemple, l’épouse du chef de famille a ses dépenses propres, comme des vêtements ou des minutes de téléphone, et dispose également de ressources propres dont le mari n’a pas toujours connaissance. Afin d’avoir une vision complète de la consommation des ménages sénégalais et de réexaminer les inégalités, les économistes d’INRAE et de l’Université Paris-Dauphine ont collecté, grâce à l’enquête « Pauvreté et structure familiale », les informations de consommation et de ressources de 18 000 individus d’environ 2000 ménages représentatifs du Sénégal en 2007 et réinterrogés en 2012.

Une consommation supérieure mais de plus grandes inégalités

Afin de réaliser l’étude la plus complète possible, chaque ménage a été divisé en sous-groupes qui consistent en un adulte contrôlant les dépenses et responsable de personnes dépendant financièrement de lui, par exemple une femme et ses enfants. Interroger séparément chaque personne responsable de « dépendants » sur ses dépenses permet de mesurer des consommations habituellement ignorées car non connues par le chef de ménage. Ainsi, l’étude enregistre une consommation des ménages qui est 30% supérieure par rapport aux résultats de l’enquête nationale faite avec la méthode traditionnelle la même année qui ne s’adresse qu’à une seule personne par ménage. Les ménages les plus pauvres sont peu affectés par cette différence car il n’y a généralement qu’une source de revenu et les dépenses sont toutes connues du chef de famille. Mais plus le niveau de revenu augmente, plus l’étude diverge de l’enquête traditionnelle avec une augmentation de la consommation importante pour les ménages les plus riches. La distribution de la consommation est donc plus inégalitaire que ce qui est mesuré sur la base de l’enquête traditionnelle. Ainsi le coefficient de Gini, qui mesure le niveau d'inégalité de la répartition de la consommation au sein d’un pays, passe de 0,4 pour l’enquête traditionnelle à 0,5 dans cette étude, ce qui fait basculer le Sénégal dans les pays fortement inégalitaires. A titre de comparaison, le coefficient de Gini de la France est de 0,32.

13,4% des pauvres seraient « cachés » dans des ménages qui ne sont pas considérés comme pauvres.

Dans leur étude les économistes ont utilisé ces données pour mesurer les inégalités au sein d’un ménage (inégalité intra-ménage). En effet, certains individus au sein du ménage disposent de plus ou moins de ressources propres qui ne sont pas mises en commun. Les chercheurs ont ainsi mesuré, pour l’enquête, une inégalité intra-ménage moyenne d’environ 14% de l’inégalité totale. Pour se rendre compte de l’importance de ce chiffre, ils le comparent à ce que serait la part de l’inégalité intra-ménage dans l’inégalité totale, dans la situation parfaitement inégalitaire où un seul individu détient l’ensemble des ressources qui ne sont pas consacrées aux dépenses communes soit environ 40%. En faisant ceci, les chercheurs montrent que l’inégalité intra-ménages mesurée monte à environ un tiers du maximum. Ces inégalités intra-ménages sont importantes à prendre en compte car elles révèlent que certains ménages dont les revenus globaux sont au-dessus du seuil de pauvreté contiennent des personnes dont les revenus sont sous le seuil de pauvreté et qui ne sont pas prises en compte dans les études traditionnelles. Ainsi 13,4% des pauvres seraient « cachés » dans des ménages qui ne sont pas considérés comme pauvres. Cela signifie que les politiques publiques visant à aider les personnes pauvres manquent une partie de leur cible, même si les personnes pauvres qui vivent dans des ménages non-pauvres sont en moyenne moins démunis que celles vivant dans des ménages sous le seuil de pauvreté.

 

Au Sénégal, comme dans beaucoup de pays d’Afrique sub-saharienne, la structure des ménages est complexe car plusieurs budgets individuels cohabitent et tous les individus d’un même ménage n’ont pas forcément accès au même niveau de ressources. Dans ce contexte, il est important de se rapprocher au plus près des individus pour obtenir des mesures plus exactes du niveau de pauvreté et aider les politiques publiques anti-pauvreté à mieux cibler les personnes pauvres.

Référence

Philippe De Vreyer, Sylvie Lambert, Inequality, poverty and the intra-household allocation of consumption in Senegal, World Bank Economics 2021, issue 2, vol 35. DOI: 10.1093/wber/lhz052

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