Changement climatique et risques 5 min
Sécheresse : focus sur les prairies permanentes
Chaque épisode de sécheresse majeure impacte fortement le secteur de l’élevage. En effet, la sécheresse précoce affecte la production de fourrages des prairies temporaires et permanentes, dont l’essentiel de la croissance se situe au printemps. Les travaux conduits à INRAE visent à mieux comprendre les mécanismes de résistance et de résilience des prairies, et à produire des outils pour accompagner l’adaptation des systèmes d’élevage aux aléas climatiques. Interview de Pascal Carrère, spécialiste de l’écosystème prairial.
Publié le 18 juin 2020
Les prairies permanentes couvrent aujourd’hui environ un tiers de la surface agricole française. Dans le Massif central, elles représentent près de 80% de la surface en herbe et participent largement à l’alimentation des troupeaux, en particulier par le pâturage. En outre, les prairies offrent des services écosystémiques, tels que le maintien de la biodiversité de la flore et de la faune, la lutte contre l’érosion des sols, la filtration des eaux. Enfin, en stockant du carbone, la prairie apparaît désormais au niveau national et européen comme un levier incontournable pour accompagner les politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Cependant, les prairies souffrent de ce même changement climatique, en particulier lors des épisodes de chaleur et de sécheresse excessives. Comment préserver la prairie face à la multiplication prévisible des évènements climatiques extrêmes ?
Quel est l’impact de la sécheresse sur les prairies permanentes ?
Pascal Carrère : La sécheresse, mais aussi la chaleur, affectent beaucoup les prairies. Les espèces prairiales sont adaptées à des climats tempérés et ont un optimum physiologique autour de 25° C. Au-delà de 30°C, la photosynthèse s’arrête et la croissance végétale est stoppée. Nos travaux ont permis de caractériser finement le comportement de différentes espèces prairiales face à la sécheresse, et leur récupération. Certaines espèces de graminées peuvent récupérer plus facilement que d’autres, car elles sont plus résistantes à la cavitation (1) ou sont capables d’accumuler des fructanes protecteurs dans leurs méristèmes ou leurs organes de réserve (2). A un niveau plus global - celui des communautés d’espèces - nous étudions les effets à long terme des sécheresses répétées, en utilisant des écrans qui arrêtent la pluie. Ces travaux expérimentaux montrent qu’une sécheresse extrême peut avoir des effets négatifs sur la quantité de fourrages pendant deux ans (3). Bien que ce soit moins étudié, les sécheresses sévères pourraient affecter aussi la qualité des fourrages, leurs teneurs en protéines, en fibres ou en sucre.
En affectant la quantité et la qualité des fourrages, les sécheresses sévères impactent les performances des animaux et leur production de viande ou de lait. Ce fut le cas en 2003 où l’on a enregistré une réduction de 30% à 60% de la production fourragère selon les régions, ou en 2015, avec un déficit en fourrages pour toute la France, sauf le Grand-Ouest. Pour faire face, les agriculteurs doivent adopter des solutions de contournement contraignantes et coûteuses, qui peuvent menacer la pérennité même de leurs exploitations : acheter des aliments concentrés, ou diminuer leur cheptel en envoyant plus d’animaux à la réforme.
Comment anticiper la survenue des sécheresses ?
P. C. : Difficile de s’adapter à un aléa dont on ne connait ni la survenue ni l’ampleur… Dans ce cas, la meilleure stratégie c’est d’anticiper et d’intégrer le risque dans le pilotage de son système. Ainsi, pour être en action et non pas en réaction aux conditions climatiques, nous avons participé à un programme qui associent les chercheurs et les acteurs du développement : le programme AP3C, qui décrit les grandes tendances du climat et les principaux leviers d’adaptation pour les principales cultures et les prairies. En réalité, le fonctionnement d’une prairie est très complexe. Le climat intervient, mais la prairie évolue aussi du fait des pratiques culturales. Les principaux leviers de la gestion d’une prairie sont la diversité des espèces (au sein de la parcelle) et des communautés (entre les parcelles), la fertilité (4), la gestion du pâturage (date, chargement, fréquence). On sait par exemple qu’une fertilisation élevée entraîne progressivement une « sélection » des espèces les plus productives et une banalisation de la flore. Autrement dit, on ne peut pas avoir en même temps une prairie très productive et très diversifiée. Or, la diversification, un des grands principes de l’agroécologie, est un facteur clé de résilience contre la sécheresse : avoir à l’intérieur d’une parcelle des espèces végétales qui produisent de manière étalée dans l’année est moins risqué que d’avoir une espèce très productive qui produit sur une période réduite. On peut jouer aussi sur la diversification entre les parcelles, avec par exemple, près de l’exploitation, des parcelles fertilisées qui produiront beaucoup en année normale, et d’autres parcelles, en altitude par exemple, moins affectées par la sécheresse et assurant une production plus tardive. C’est d’ailleurs le principe de la transhumance. On peut aussi valoriser les prairies humides de fond de vallée, classiquement peu ou mal utilisées mais qui représentent une ressource possible en cas de sécheresse.
Quels outils sont disponibles pour guider les agriculteurs ?
P. C. : Les zones de montagne comme le Massif central sont des régions emblématiques pour la prairie car on y trouve une gamme diversifiée allant de la prairie temporaire aux landes et aux parcours, des pelouses (5) de montagne aux bas-fonds humides des vallons. Et tous ces types de prairies ne se conduisent pas de la même manière, en termes de fertilisation, de pâturage, de fauche... L’homogénéisation des pratiques est aussi néfaste que l’intensification, car elle conduit à une homogénéisation du cortège d’espèces ! Pour mieux faire connaitre le potentiel des prairies, nous avons développé une typologie qui décrit finement la composition en espèces de chaque type de prairies, leur comportement, leurs performances agronomiques et les services écosystémiques que l’on peut en attendre. Ce guide permet d’utiliser au mieux les stratégies mises en place par les espèces présentes dans une prairie donnée : par exemple, espèces à petites feuilles se renouvelant souvent, peu sensibles à la défoliation, ou espèces conservant de grandes feuilles sur de longues périodes. Bien connaître sa prairie permet de bien la gérer.
Parallèlement à ces connaissances issues de la recherche, des outils plus opérationnels ont été co-construits avec les Instituts techniques (6).
Enfin, toujours en co-construction avec l’ensemble des acteurs, plusieurs outils participatifs de type « jeux sérieux » sont développés à INRAE pour aider les agriculteurs à définir leur stratégie de gestion afin d’assurer l’autonomie fourragère de leur exploitation (7).
- Volaire F et al. 2018. Embolism and mechanical resistances play a key role in dehydration tolerance of a perennial grass Dactylis glomerata L. Annals of Botany, 122: 325–336. doi: 10.1093/aob/mcy073. Lire aussi l’article sur la cavitation.
- Les fructanes sont des glucides complexes qui ont un rôle protecteur des cellules et de leurs membranes en situation de stress hydrique sévère. Volaire F et al. 2020. The resilience of perennial grasses under two climate scenarios is correlated with carbohydrate metabolism in meristems. Journal of Experimental Botany, 71, 370-385.
- Réseau international Drought-net. Zwicke M et al. 2013. Lasting effects of climate disturbance on perennial grassland above-ground biomass production under two cutting frequencies. Global Change Biology, 19, 3435–3448.
- La fertilité d’une prairie est la résultante de la fertilité du sol et de la fertilité apportée : engrais, et surtout effluents animaux : fumier, lisier.
- Pelouse : végétation herbacée rase.
- Voir le site du RMT Prairies demain.
- Voir encadré 3.
Illustrations : Dactylis glomerata, Centaurea jacea, Orchis morio, Salvia pratensis. Flore de France de l'Abbé Coste, Flore descriptive et illustrée de la France, de la Corse et des contrées limitrophes. Tome 1, Librairie des sciences et des arts (Paris), 1937.
INRAE est partenaire du programme AP3C : adaptations des pratiques culturales au changement climatique, animé par le SIDAM, mobilisant 11 chambres d’agriculture, en lien avec l’IDELE. Ce programme vise à obtenir des informations localisées sur les impacts du climat pour adapter finement les systèmes de production du Massif central. Il dégage de grandes tendances :
- Tendances pour le climat : Pas de tendance claire pour les précipitations, gels de printemps, fortes chaleurs en été accentuant le déficit hydrique, températures d’automne favorables au développement de la prairie si le déficit hydrique cumulé n’est pas trop important.
- Tendances pour les pratiques : Cycles de végétation plus courts. Premiers apports d’azote, dates de mise à l’herbe et dates de récolte plus précoces. Développement de mélanges variétaux comme gage de souplesse de récolte, avec des espèces à fort enracinement ou optimisant la pousse printanière. Implantation de prairies sous couvert de céréales pour limiter l’évapotranspiration. Augmentation du ratio stocks/pâture.
- Protection des animaux contre la chaleur : favoriser la bioclimatisation : réintroduire des haies, des arbres. Lire aussi l’article sur l’expérimentation INRAE Oasys, basée sur la diversification des fourrages et l’agroforesterie.
Elaboré à partir de mesures et observations effectuées dans 70 exploitations et 143 parcelles, ce guide couvre une gamme de pratiques et de milieux rencontrés dans 6 départements du Massif-central, à savoir : l’Ardèche, l’Aveyron, le Cantal, la Lozère, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme. On y trouve entre autres une description complète de 39 types de prairies majoritaires sur 68 types présents dans le Massif central : composition botanique, estimation de rendement, valeurs nutritives Exemples de grands types de prairies : prairies de fauche d’altitude moyenne, prairie pâturée d’altitude moyenne, prairie pâturée de montagne, prairie semée etc. Les pelouses du Massif central abritent plus de 335 plantes classées menacées ou quasi menacées.
- Outil de diagnostic multifonctionnel de l’exploitation (Diam 2) : cet outil permet de réaliser un bilan du système fourrager à l’échelle de l’exploitation, et ainsi d’évaluer son niveau d’autonomie.
- Jeu pédagogique (Aeole-le-Jeu) : dans ce jeu collaboratif, chaque joueur est un éleveur appartenant à un même territoire qui doit être développé de façon durable avec des objectifs prédéfinis. Ce jeu sensibilise les éleveurs à l’intérêt de la diversité des prairies face à des événements extérieurs, en jouant des scénarios climatiques par exemple. Voir le site.
- Voir aussi : Jeu de simulation issu du rami fourrager, pour concevoir son système d’élevage en fonction des conditions climatiques. Lire l’article.