Biodiversité 4 min
Quelques patrons d'organisation servent de modèles à plus de 46 000 espèces de plantes
En analysant plus de 46 000 espèces de plantes, une équipe internationale a montré que malgré leur diversité, les plantes offrent peu de combinaisons de caractères, centrées autour de deux compromis évolutifs majeurs : d’une part la taille des plantes et de leurs organes, d’autre part l’équilibre entre la robustesse des feuilles et la capacité d’absorption du gaz carbonique.
Publié le 29 décembre 2015
Les plantes vivant actuellement sur Terre représentent-elles toutes les combinaisons possibles de formes et de fonctions permettant leur croissance, leur survie et leur reproduction? Pour répondre à cette question, une équipe internationale représentant quatorze pays, et coordonnée par la chercheuse argentine Sandra Díaz (récemment élue membre étrangère de l’Académie des Sciences), a analysé le jeu de données le plus exhaustif jamais compilé pour les traits fonctionnels végétaux, en rassemblant des informations sur plus de 46 000 espèces, allant de l’arabette des dames à l’Araucaria, de la ronce à la noix du Brésil, du chanvre à l’épineux Hakea australien, du Sedum au Sequoia, du cresson au mimosa.
Un petit nombre de combinaisons de caractères…
Dans un article publié le 23 décembre 2015 dans la revue Nature, ces auteurs ont montré que des caractères de formes et de fonctions des plantes (appelés « traits »), tels que la hauteur d’une plante, la taille de ses feuilles et de ses graines, ainsi que les propriétés physiques et chimiques de leurs tissus foliaires et de leurs tiges, tendent à former des combinaisons étonnamment peu nombreuses. Si on imagine la grande diversité de plantes vasculaires sur Terre comme un nuage de points à six dimensions1, ce volume apparait particulièrement petit et plat par rapport à l’espace qui serait occupé si tous ces traits variaient indépendamment les uns des autres, de la même façon que la Voie Lactée n’est pas un nuage informe, mais ressemble plutôt à un disque. Les trois quarts de la variation des traits dans cet hypervolume se concentrent en fait dans un « spectre global de forme et de fonction des plantes » à deux dimensions. Un premier axe de ce plan reflète la taille des plantes et de leurs organes : le second représente la robustesse avec laquelle les feuilles sont construites et les capacités d’acquisition du carbone de la surface foliaire, allant de feuilles fragiles et très productives, à des feuilles plus difficiles à produire, très robustes, voire coriaces, et plus résistantes à la sécheresse ou à l’herbivorie.
…liées aux contraintes environnementales récentes
Sans aucun doute, certaines combinaisons de traits absentes de cette constellation ne seraient pas viables en regard des lois de la physique ; par exemple une très petite plante ne pourrait pas supporter une très grosse graine. En revanche, d’autres combinaisons parfaitement viables sont rares ou absentes. De même, des combinaisons identiques sont observées chez des plantes d'origines phylogénétiques différentes. De ce fait, le spectre de formes et de fonctions est occupé de manière très hétérogène : quelques "points chauds" sont encombrés d’espèces présentant des combinaisons de traits similaires, tandis que des "points froids" sont très peu occupés. « Les plantes vivant actuellement sur Terre sont les gagnantes d'un jeu de contraintes environnementales récentes. Si nous avions fait l’analyse avec les plantes qui existaient jadis, nous aurions obtenu une image bien différente. Ceci nous amène à nous interroger sur les facteurs écologiques et évolutifs qui feront le tri parmi l’ensemble des possibles dans le futur, notamment en relation avec les changements globaux : usage des sols, climat…, qui s'accélèrent à l’échelle planétaire», explique Sandra Díaz, de L’Université Nationale de Córdoba en Argentine.
La recherche de tels patrons génériques mais simples de spécialisation des plantes est un sujet de recherche active depuis le début du 20ème siècle. « Cependant, ce n’est que maintenant que nous pouvons tester ces idées à l’échelle globale grâce à la coopération internationale autour de TRY », précise Jens Kattge, le coordinateur de cette base de données de traits végétaux qui a fait passer le rêve à la réalité.
1 Une dimension par trait. Les six traits considérés comme représentatifs de l’ « organisme plante » sont : hauteur de la plante adulte, densité de la tige, taille des feuilles exprimée en surface foliaire, masse foliaire par unité de surface, teneur en azote des feuilles par unité de masse, et masse des éléments reproducteurs.
Référence
Díaz, S.et al. 2015. The global spectrum of plant form and function. Nature, 23 décembre 2015. doi: https://dx.doi.org/10.1038/nature16489
Les auteurs de l’étude la commentent
Hans Cornelissen de l’Université Libre d’Amsterdam : « Ce que je trouve stimulant à propos de ce spectre global des traits végétaux, c’est que nous pouvons maintenant comparer le fonctionnement d’une espèce particulière à celui de toutes les autres plantes. Je suis particulièrement frappé que le sureau, une plante très commune, se trouve au cœur de la galaxie des espèces, alors que l’espèce modèle des généticiens, l’arabette des dames, se situe à la marge du spectre, donc finalement très peu représentative de la flore mondiale ».
Hervé Jactel, de l'Inra : « Il est aussi remarquable de constater que ces co-variations entre traits permettent de distinguer clairement les plantes ligneuses des plantes herbacées, alors qu'elles peuvent occuper les mêmes milieux. Les arbres ont non seulement une hauteur, des feuilles et des graines plus grandes mais aussi des tiges et des feuilles de densité plus élevée. Ceci confirme que le vivant dispose de solutions variées pour résoudre un même problème d'adaptation ».
Ian Wright, chercheur à l’Université de Macquarie en Australie : « Une application importante du spectre global de forme et de fonction des plantes sera de nous aider à comprendre les dimensions écologiques de l’évolution des plantes depuis le passé lointain jusqu’au présent et dans le futur. Ceci permettra aussi une représentation plus réaliste de la diversité des plantes dans la prochaine génération de modèles globaux de la végétation, modèles qui sont utilisés pour prédire les impacts des changements globaux du climat et des usages des sols sur les écosystèmes ».
Sandra Lavorel du CNRS à Grenoble : « Comme la forme et les fonctions des plantes influencent de manière critique les effets de la végétation sur la séquestration du carbone ou sur la fertilité des sols, ces résultats ont des implications fondamentales pour la compréhension du fonctionnement des écosystèmes, dans le présent et dans le futur ».