Quel délai pour restaurer la qualité de la chair de la truite arc-en-ciel après la ponte ?

La notion de qualité de la chair des poissons regroupe un ensemble de caractéristiques musculaires correspondant à la demande des producteurs, des transformateurs et des consommateurs. Les propriétés sanitaires, technologiques, nutritionnelles et organoleptiques sont des composantes de cette qualité. La maturation sexuelle compromet de façon importante les qualités technologiques et organoleptiques de la chair des poissons. Chez les salmonidés femelles en particulier, qui produisent de gros "œufs", les tissus somatiques fournissent les nutriments, les pigments caroténoïdes et l'énergie nécessaires à la formation du vitellus constituant les réserves de l’embryon. Il en résulte une fonte musculaire, qui détériore la qualité de la chair des femelles.

La ponte, c’est la fonte …

Pour répondre à la demande croissante de grosses truites, notamment pour les filets fumés, on élève principalement des femelles triploïdes qui sont stériles, l'absence de reproduction préservant la qualité de leur chair. Néanmoins, élever des femelles diploïdes reste nécessaire pour la reproduction, mais aussi pour produire du "caviar de truite" destiné à la consommation humaine. La qualité de la chair de ces femelles est fortement altérée après la ponte, ce qui limite la valorisation des filets et entraîne une perte de profit. Des observations empiriques suggèrent que la qualité des filets peut progressivement être restaurée après la ponte mais ce processus et sa cinétique n'ont jamais été rigoureusement décrits.

Les chercheurs de l’unité LPGP et de la PEIMA ont mesuré, pendant plus de 7 mois après ponte, les paramètres biométriques des truites et évalué la qualité technologique ainsi que certains traits organoleptiques de leurs filets crus et fumés. Ces mesures ont été réalisées chez des truites arc-en-ciel femelles diploïdes âgées de 24 mois au début de l'expérimentation. Immédiatement après la ponte, neuf groupes constitués chacun de 25 truites de la même cohorte ont été placés séparément dans des bassins et nourris ad libitum. Les poissons ont ensuite été échantillonnés à 0, 1, 2, 4, 8, 13, 16, 24, et 33 semaines post-ponte (S0, S1…à S33). Des truites immatures (sans œufs produits) de la même cohorte ont également été échantillonnées comme témoins au début (T0) et à la fin (T33) de l'expérience.
Immédiatement après la ponte le rendement en filets crus était significativement plus faible chez les truites SO que chez les témoins (T0). En outre, le filet cru de ces truites était moins coloré ("composante rouge" a* plus faible) et présentait une valeur de luminosité L* plus élevée que le filet cru des truites T0, alors que les valeurs de résistance mécanique des filets étaient similaires.
Le rendement en filets crus a augmenté à partir de la 16^èmesemaine post-ponte. La luminosité des filets a régulièrement diminué de la 4^ème à la 24^èmesemaine et n'a pas changé par la suite, tandis que la composante rouge des filets a augmenté de la 8^ème à la 24^èmesemaine après la ponte.
La résistance mécanique des filets a diminué progressivement après la ponte avec un changement significatif à partir de la 13^èmesemaine.
Concernant le filet fumé, le rendement de fumage des truites S0 était significativement inférieur à celui des truites T0. Par la suite, le rendement de fumage des filets de truites post-ponte a lentement augmenté jusqu'à atteindre une valeur significativement plus élevée à la 24^èmesemaine. Les évolutions de la couleur du filet fumé et de la résistance mécanique après la ponte sont similaires à celle du filet cru.
A la fin de l'expérience, la plupart des paramètres de qualité des filets étaient similaires entre les poissons post-ponte et les témoins.

… mais un bel exemple de résilience

Les principaux effets de la ponte sur les critères de qualité de la chair de truite femelle sont perceptibles pendant 8 semaines après la ponte et la restauration des propriétés technologiques et organoleptiques du filet n'est effective qu’après 24 semaines post-ponte dans les conditions expérimentales testées. Les rendements de découpe sont progressivement améliorés, en lien avec une reprise de la croissance globale et musculaire et une augmentation de l’adiposité. La couleur rose-orangée des filets, typique des salmonidés, est aussi restaurée et la résistance mécanique de la chair diminue. Ces évolutions de qualité concernent également les filets fumés, validant ainsi la possibilité de valoriser commercialement les truites reproductrices.
Cette étude permet de connaitre précisément la cinétique de restauration de la qualité de la chair de la truite femelle après la ponte. Elle fournit un calendrier utile participant à améliorer la durabilité de l’aquaculture, grâce à la commercialisation de la chair des femelles reproductrices.

Des analyses histologiques et transcriptomiques devraient permettre de mieux comprendre les processus biologiques impliqués dans la restauration de la qualité des muscles. L’effet potentiel des pratiques d’élevage autour de la période de ponte devrait également être étudié, afin d’identifier si certaines sont des leviers permettant d’optimiser ce processus de récupération.