Alimentation, santé globale 5 min

Quand le développement durable s’invite au restaurant : quelle place pour la viande et le végétal ?

Et si on se faisait un resto ? Oui mais…. sans compromettre l’avenir des générations futures, susurre une petite voix très au fait des défis sociétaux actuels. D’autant que proposer une cuisine durable présente de nombreux avantages tant pour notre santé que pour notre environnement. Comment les chef cuisiniers, en exercice ou devenir, appréhendent-ils la cuisine saine et durable ? L’étude de leurs pratiques et de leurs perceptions révèle que la viande conserve là une place prépondérante. Elle souligne le chemin qu’il convient encore de parcourir pour évoluer vers une offre plus durable.

Publié le 12 février 2024

illustration Quand le développement durable s’invite au restaurant : quelle place pour la viande et le végétal ?
© Pexels

En restauration, la réduction de la viande au profit du végétal contribue à une cuisine respectueuse de l’environnement et bonne pour la santé. Végétaliser menus et cartes tout en réduisant la place de la viande est une piste pour aller vers une alimentation plus durable.

Sujet complexe ou vaste programme, qu’a exploré Arnaud Lamy, lors de sa thèse de doctorat réalisée dans le cadre d’un contrat Cifre associant INRAE et l’Institut Lyfe (anciennement Institut Paul Bocuse). Entretiens et questionnaires lui ont permis d’explorer la manière dont les cheffes et chefs cuisiniers de la restauration commerciale perçoivent la cuisine durable et la façon dont ils envisagent l’utilisation de la viande face à des enjeux de durabilité.

C’est le moment de se mettre à table !

Un peu de méthodologie

En 2022, une étude qualitative par entretiens a été conduite auprès de 29 chefs et cheffes cuisiniers de la restauration commerciale. En 2023, une étude quantitative par questionnaires a été menée auprès de 286 étudiants de deux écoles hôtelières privées en France.

Cuisine durable : une absence marquée de la question de la réduction de la viande

Blanquette de veau, bœuf bourguignon ou pot-au-feu, la viande occupe une place centrale dans la cuisine traditionnelle française.

« Quand j'entends cuisine traditionnelle française, je vois déjà la blanquette de veau, je vois le bœuf bourguignon, je vois des plats bien riches, des plats du terroir, qui tiennent au corps pour les anciens, les paysans qui travaillaient. » (Séverine, 45ans, brasserie)

Même s’ils sont conscients des enjeux de durabilité qui entourent la production et la consommation de viande, les chefs cuisiniers, en poste ou en devenir, plébiscitent l’utilisation de produits locaux ou commercialisés en circuits court, la minimisation des déchets et la lutte contre le gaspillage comme éléments clés d’une cuisine durable avant la réduction de la viande.
Ils mettent en avant savoir-faire et respect des traditions, inscrivant le terme durable dans la notion de temps plutôt que dans celle de durabilité, évoquant des gestes et de techniques qui perdurent et se transmettent entre générations.

Globalement réticents à réduire la place de la viande au sein de leur offre, la majorité d’entre eux jugent indispensable d’en proposer sur leur carte. La raison ? Un attrait gustatif, un intérêt technique voire commercial pour répondre à la demande d’une clientèle qu’ils perçoivent comme très demandeuse de viande au restaurant.

Cuisine sans viande : beaucoup reste à faire

Les chefs associent fortement la cuisine sans viande à une cuisine végétale dont ils ont une représentation plus hétérogène.
Le fait d’être, dans sa vie privée, respectueux de l’environnement ou dans une démarche de réduction de la consommation de viande a un effet positif sur les intentions de réduire la viande dans le menu des chefs cuisiniers et notamment des chefs cuisiniers en devenir. L’origine des chefs interrogés a également une influence : ainsi, Damien, 50 ans, chef étoilé, propose-t-il spontanément une cuisine peu carnée, en lien avec son identité culturelle provençale et la représentation professionnelle qu’il a d’une cuisine traditionnelle française tournée vers la richesse des terroirs culinaires : « La cuisine que je fais, la cuisine provençale, elle est comme ça, elle se veut de légumes et de fruits, avant d’être de viande et de poisson. […] ça fait partie de l’ADN provençal, on fait du végétarien sans se poser la question de savoir si c’est du végétarien ou quoi ».

Si certains perçoivent la cuisine sans viande comme une source de nouvelles pratiques créatives, d’autres y voient un défi technique et commercial à relever voire une contrainte supplémentaire à assumer.

« Ça peut être un petit challenge mais qui permet de réfléchir différemment à d’autres produits, je pense qu’on a bien assez de produits en France pour faire une assiette sans viande » (Lydie, 28 ans, école hôtelière)

Leaders d’opinions, techniciens ou encore artistes, les chefs et cheffes cuisiniers en poste ou en devenir sont aux premières loges pour encourager une cuisine durable et l’inscrire dans une tradition culinaire française renouvelée.
Il reste cependant du pain sur la planche pour les futurs chefs comme pour leurs aînés ! Et les pistes qui se dessinent pour accompagner tout ce beau monde dans une transition durable de leurs pratiques en lien avec la place de la viande sont nombreuses : réduire plutôt que supprimer l’offre de la viande, introduire une alternative de plat sans viande à la carte, valoriser le rôle des chefs comme moteurs de la transition durable auprès des consommateurs, accéder à des programmes de formation initiale et continue autour de la cuisine végétale….

Ce travail a été réalisé par Arnaud Lamy, au cours d’une thèse de doctorat en sciences de gestion : « Les représentations et les identités des chefs cuisiniers vis-à-vis de la cuisine durable : la place de la viande et du végétal ».
Il a été effectué dans l’unité Montpellier Interdisciplinary center on Sustainable Agri-food systems (Social and nutritional sciences) (INRAE, Cirad, IRD, L’Institut Agro, CIHEAM Montpellier) du centre INRAE Occitanie Montpellier, sous la direction de Sandrine Costa (INRAE), Lucie Sirieix (L’Institut Agro) et Maxime Michaud (Centre de recherche de l’Institut Lyfe), dans le cadre d’un contrat Cifre entre INRAE et l’Institut Lyfe (anciennement Institut Paul Bocuse).
Arnaud a soutenu sa thèse le 4 décembre 2023.

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Sandrine CostaUMR Montpellier Interdisciplinary center on Sustainable Agri-food systems (Social and nutritional sciences) (INRAE, Cirad, IRD, L’Institut Agro, CIHEAM Montpellier)

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