Alimentation, santé globale 4 min

Quand les chercheurs et les acteurs des filières s’allient pour promouvoir l’usage prudent d’antibiotiques en élevage

La surutilisation et le mésusage d’antibiotiques en élevage comptent parmi les principales causes de l’antibiorésistance, qui représente un enjeu majeur pour la santé publique, la santé animale et la protection de l’environnement. De 2019 à 2023, le projet européen ROADMAP a réuni 17 partenaires de 10 pays (en Europe, Afrique et Asie) pour étudier la transition des filières d’élevage vers un usage prudent d’antibiotiques. Interdisciplinaire et participatif, ce projet coordonné par INRAE a développé des approches innovantes, guidées par une vision des sciences sociales et économiques. Pour encourager ces transitions, il a analysé les facteurs socioéconomiques de l’utilisation des antibiotiques, a accompagné l’élaboration des stratégies pour des changements adaptés au niveau local et a proposé des voies de transition pour divers systèmes de production d’animaux d’élevage en Europe et dans le monde.

Publié le 12 décembre 2023

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© AdobeStock

Les résistances aux antibiotiques représentent l'un des risques majeurs pour la santé publique, exacerbé par la consommation de masse de ces médicaments, l’intensification des élevages et la globalisation des échanges. Depuis la fin des années 1990, une prise de conscience grandissante de ce phénomène a entraîné une mobilisation progressive de la communauté internationale autour de ce sujet. En effet, l'efficacité des antibiotiques diminue, tant chez les humains que chez les animaux. La nécessité d'une transition vers un usage plus prudent des antibiotiques en élevage est donc impérieuse. Sur la dernière décennie, la plupart des pays européens se sont engagés dans des trajectoires de réduction importante (environ –40 % en moyenne à l’échelle européenne) mais ils l’ont fait à des rythmes et avec des modalités différentes selon les contextes. Il est important de comprendre les facteurs qui ont favorisé ou au contraire freiné ces trajectoires afin de poursuivre les efforts sur les années à venir.

Comprendre les systèmes dans leur complexité pour penser les transitions

Allant au-delà des travaux et approches antérieurs, ROADMAP a articulé une analyse des pratiques sanitaires et des usages d’antibiotiques avec une analyse des formes de régulation, à la fois publiques et privées, de ces médicaments. Pour saisir les usages des antibiotiques dans leur complexité, il s’est agi, d’une part de comprendre les pratiques individuelles en les replaçant dans les systèmes sociotechniques et socioéconomiques qui les encadrent : chaîne de distribution et marché du médicament vétérinaire, chaîne agroalimentaire allant de la production à la consommation, réseaux professionnels de conseils et d’encadrement en santé animale, politiques publiques nationales et européennes, etc. D’autre part, le projet a permis de replacer les questions techniques et économiques au cœur des enjeux culturels, professionnels et politiques qui structurent le régime de régulation du médicament vétérinaire. Ainsi, le changement de pratiques a été pensé comme une transition des systèmes agroalimentaires et des modes de régulation des antibiotiques, c’est-à-dire en s’intéressant à l’ensemble des acteurs concernés par l’utilisation des antibiotiques en élevage, et pas seulement aux utilisateurs finaux.

Une diversité des systèmes étudiés et des laboratoires vivants pour co-construire les connaissances et les actions

Partant du postulat qu'il n'existe pas de solution unique ou de transition à sens unique pour favoriser l’usage prudent d’antibiotiques en élevage, ROADMAP s’est organisé en études de cas conduits dans 10 pays différents (Suède, Danemark, Pays-Bas, Belgique, Royaume-Uni, France, Suisse, Italie, Vietnam, Mozambique) et dans 4 secteurs de production : porcs, volailles, produits laitiers et viande bovine. 

Les études de cas, abordés au travers d'approches qualitatives et quantitatives, ont été appuyées par des dispositifs interdisciplinaires et participatifs, appelés living labs (laboratoires vivants). À la fois approche de recherche et outil de développement centré sur l'utilisateur et l'innovation ouverte, les living labs ont permis de co-construire des actions collectives de chercheurs et d'acteurs de l’élevage et des filières. Leur objectif était d’initier des actions considérées comme efficaces et applicables par l’ensemble des acteurs concernés, et d’identifier les leviers qui favoriseraient leur mise en œuvre.

Cette variété de contextes et de systèmes de production étudiés, pour et avec les acteurs de terrain, a permis de développer des stratégies sur mesure appropriées à chaque type de contexte, et a été source d’apprentissages croisés et d’inspiration pour encourager une harmonisation des tendances de réduction de l'usage des antibiotiques à travers l'Europe dans les secteurs de production animale.

C’est sur la base de l’ensemble des données rassemblées dans les études de cas que le projet a pu proposer des mesures d’impact et des scénarios de transition en faveur d’un usage prudent et durable des antibiotiques.

Coordination et prévention : les clés d'une transition réussie vers une utilisation prudente des antibiotiques

ROADMAP a permis de constater la mobilisation dans la lutte contre l’antibiorésistance de l’ensemble des acteurs de l’élevage et de la santé animale : éleveurs, vétérinaires, coopératives, distributeurs, pouvoirs publics, etc. Mais ce sont leurs actions coordonnées et des transformations structurelles, notamment sociotechniques et socioéconomiques, qui ont permis la réduction des usages d’antibiotiques, bien plus que de simples changements de comportement individuel.

Dans les living labs, les actions coordonnées des éleveurs, vétérinaires, coopératives, distributeurs et pouvoirs public ont permis de réduire les usages d’antibiotiques.

Parmi les recommandations proposées, les chercheurs soulignent l'indispensable transition vers des approches préventives en santé animale qui reposent notamment sur une offre de services vétérinaires diversifiées, le soutien technique et économique aux élevages les plus en difficulté afin d’éviter le développement d’une agriculture à deux vitesses où seuls les mieux dotés parviennent à réduire leurs usages d’antibiotiques. Ils mettent en évidence l’importance des mesures règlementaires d’encadrement des usages qui complètent et uniformisent les initiatives privées souvent trop hétérogènes, le déploiement de dispositifs de monitoring des prescriptions et des utilisations ainsi que l’implication des acteurs dans les décisions.

EN SAVOIR PLUS SUR LES RÉSULTATS DE ROADMAP 

Toutes les publications issues du projet sont disponibles sur le portail Zenodo >>>

ET AUSSI

Fostering systemic transitions towards prudent use of antibiotics in livestock, n° spécial de la revue EuroChoices, à paraître en 2024

La démarche et les résultats du projet résumés dans le livret ROADMAP >>>

 

ROADMAP en bref

Logo du projet Roadmap

ROADMAP -  Rethinking of Antimicrobial Decision-systems in the Management of Animal Production

Coordination :  Nicolas Fortané, INRAE, Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (IRISSO)

Équipes INRAE : IRISSO, IHAP et BioEpAR

Autres équipes européennes : INRAE Transfert (France, manager du projet) ; ENVT (France) ; Oniris (France) ; ACTA (France) ; Institut de l’élevage - Idele (France) ; L'institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole - Itavi (France) ; Institut du porc - Ifip (France) ; Cirad (France) ; université Eduardo Mondlane (Mozambique) ; université de Liverpool (Royaume-Uni) ; université de Cardiff (Royaume-Uni) ; The James Hutton Institute (Royaume-Uni) ; université de Bologne (Italie) ; université d'Aarhus (Danemark) ; Institut de recherche sur l’agriculture et la pêche – ILVO (Belgique) ;  L’Institut de recherche de l’agriculture biologique - FiBL (Suisse), Stichting Wageningen Research (Pays-Bas) ; université suédoise des sciences agricoles – SLU (Suède) ; ZLTO (Pays-Bas) ; European Forum for Animal Breeding – EFFAB (Pays-Bas) ; FEUGA (Espagne) ; DGZ (Belgique)   

Financement : programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne sous le thème SFS-11-2018-2019 - Anti-microbials and animal production, contrat n° 817626

Coût total :  6 millions €

Calendrier :  2019-2023 (48 mois)

Description du projet sur le portail européen Cordis >>>

En savoir plus

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La situation de l’antibiorésistance en Afrique est complexe et préoccupante puisque ce continent affiche la plus faible utilisation d'antibiotiques en élevage alors que les agents pathogènes d'origine animale sont associés à une forte antibiorésistance. Une des raisons de ce paradoxe, identifiée dans un article publié dans le Journal "Emerging Infectious Diseases", est un manque de connaissances et un mésusage des antibiotiques dans de nombreux élevages africains. Pour faire face à ce problème majeur de santé publique, les auteurs, emmenés par Christian Ducrot (chercheur à INRAE) et François Roger (chercheur au Cirad), plaident pour des politiques visant à améliorer l'accès aux médicaments vétérinaires et à développer des interventions sociales et techniques innovantes, co-construites avec les personnes concernées, pour une utilisation des antibiotiques adaptées aux petites exploitations africaines.

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