Alimentation, santé globale 5 min
Homme, animal, environnement : tous concernés par l’antibiorésistance
La résistance des infections bactériennes aux antibiotiques se développe avec leur usage. Elle se construit au gré de mécanismes qui se transmettent par l’environnement et l’alimentation et affectent l’homme et l’animal.
Publié le 08 juillet 2020
Dans cette interview vidéo, Muriel Vayssier-Taussat, cheffe du département Santé animale d'INRAE et directrice de l'Institut Carnot France Futur Elevage, aborde les solutions que l'institut élabore, dans une démarche systémique et intégrée « One Health, une seule santé », pour réduire l’usage des antibiotiques et diminuer l’apparition ou le développement d’antibiorésistances. Elle présente des exemples de pistes d'alternatives innovantes.
Comprendre les mécanismes de résistance aux antibiotiques, optimiser leur utilisation tout en développant des alternatives intégrées reposent aujourd’hui plus que jamais, sur une approche multidisciplinaire de la question de l’antibiorésistance - des sciences biologiques aux sciences humaines et sociales - en lien avec les acteurs de la santé humaine, animale et environnementale.
R2A2, le think tank de l’antibiorésistance
Impliquer l’ensemble des acteurs de la santé humaine, animale et environnementale dans une réflexion commune pour réduire l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire
Les bactéries résistantes présentes chez l’animal n’ont guère de difficulté à se transmettre à l’homme ou à l’environnement, et réciproquement. Limiter les antibiotiques en élevage et proposer des solutions alternatives à leur usage est donc indispensable pour réduire l’apparition de résistances transmissibles à l’homme (lors de la consommation de lait, de viande ou d’oeufs) ou à l’environnement (via les fèces, les crachats des animaux contaminés ou le lisier répandu dans les champs). L’approche One Health, notamment dans la lutte contre les effets de l’antibiorésistance, vise à impliquer l’ensemble des acteurs de la santé humaine, animale et environnementale dans une réflexion commune. Inauguré en 2013, R2A2, pour Réseau Recherche Antibiotiques Animal, est un laboratoire d’idées multidisciplinaire financé par le métaprogramme Gestion Intégrée de la Santé des Animaux d’INRAE et construit autour d’une thématique bien précise : la réduction de l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire, afin de limiter l’apparition et la dissémination des résistances. Plusieurs fois par an, R2A2 organise des réunions traitant de problématiques variées. Par exemple, les raisons du manque d’observance des mesures de prévention de la part des éleveurs, le lien entre microbiote et santé ou bien encore l’usage des antibiotiques dans la filière cunicole. Sociologues, généticiens, spécialistes des maladies infectieuses, nutritionnistes, pharmacologues, épidémiologistes, vétérinaires, acteurs économiques, conseillers techniques, éleveurs ! Tous échangent en direct, imaginent des pistes de recherche et construisent des projets en lien avec la
thématique abordée. Ces réunions, qui facilitent le rapprochement d’individus ou de secteurs peu habitués à se côtoyer, ont donné naissance à de nombreuses initiatives. Parmi les projets notables, TRAJ (Trajectoires de changement de pratiques en matière d’utilisation des antibiotiques en élevage) a étudié les ressorts techniques, économiques et sociaux du recours aux antibiotiques dans la gestion des maladies animales. Les chercheurs se sont notamment intéressés aux éleveurs pionniers de la réduction, voire de la suppression des antibiotiques, pour tenter de comprendre d’où venaient leurs motivations, comment ils s’y étaient pris, comment ils étaient accompagnés et quelles difficultés ils avaient rencontré. Les résultats de TRAJ ont été déterminants pour l’élaboration du projet européen Roadmap, lancé en 2019.
RoadMap : on fait la route ensemble
Faire bouger les lignes
Limiter l’usage des antibiotiques en élevage est indispensable pour réduire le risque d’apparition de résistances transmissibles à l’homme, d’autres animaux ou à l’environnement. Durant de nombreuses années, les scientifiques ont scruté les comportements des éleveurs et des vétérinaires, afin d’identifier les leviers sur lesquels agir pour réduire la consommation de produits antimicrobiens. Sans grand succès, malheureusement. C’est en se penchant sur la littérature sociologique et économique que les chercheurs ont compris la raison de cet échec relatif. Observer les pratiques au niveau individuel ne suffit pas. Pour faire bouger les lignes, il convient de comprendre la structure des systèmes alimentaires et pharmaceutiques dans leur globalité. En effet, le comportement des acteurs est déterminé par un ensemble de contraintes liées aux politiques publiques, au marché du médicament, à la structure même des filières. Les aborder seulement sous un angle individuel n’a donc guère de sens.
Un projet interdisciplinaire et participatif
C’est ce constat qui a servi de base à l’élaboration du projet européen Roadmap (2019-2023). Fédérant 17 partenaires d’institutions européennes, il vise à mettre en oeuvre un panel d’activités dans dix pays européens auxquels s’ajoutent le Mozambique et le Vietnam, pour tester des solutions susceptibles de réduire l’usage des antibiotiques. RoadMap est un projet interdisciplinaire et participatif, avec une forte dimension socio-économique. Les chercheurs en sciences sociales vont étudier la nature des interactions entre les principaux acteurs des filières agro-alimentaires et pharmaceutiques, et s’intéresser aux rapports entre éleveurs et vétérinaires autour de la question des antibiotiques. Mais Roadmap implique également les sciences animales. Accompagnés par les chercheurs, éleveurs, vétérinaires, coopératives agricoles, laboratoires pharmaceutiques et pouvoirs publics interagissent pour inventer et tester, en conditions réelles, des solutions de transition innovantes. Et surtout qui soient adaptées au pays, aux méthodes et aux systèmes d’élevage (extensif, intensif, conventionnel, bio...). Dans la dernière année du projet, les chercheurs évalueront l’impact des stratégies testées et présenteront les scénarii de transition les mieux adaptés aux contraintes environnementales, sociales et économiques des différents contextes d’élevage rencontrés.
Des pistes innovantes
INRAE travaille sur différentes pistes de recherche pour réduire l'utilisation d'antibiotiques en élevage. La première est de parvenir à identifier le plus rapidement possible, avec l'aide de l'intelligence artificielle, l'animal malade dans un troupeau pour le traiter avant d'avoir à traiter la totalité du troupeau. Une autre voie est la recherche d'alternatives : molécules naturelles (algues, tanins...) ou médicamenteuses (tels les phages qui s'attaquent aux bactéries pathogènes). La vaccination est également une alternative majeure. Enfin, INRAE travaille aussi sur des approches plus nouvelles permettant de rendre les animaux plus résistants via leur alimentation, ou via leur microbiote.
S'adapter, c'est bon pour la santé
Les systèmes d’élevage conventionnels d’animaux monogastriques sont à un tournant de leur évolution. Responsables de 64 % de la consommation d’antimicrobiens en France en 2014, ils contribuent à l’apparition de microorganismes résistants, qui réduisent, voire interrompent l’efficacité des antibiotiques, aussi bien pour les animaux que pour l’Homme. Mais ceux-ci restent nécessaires pour lutter contre les pathologies qui peuvent rapidement se transmettre à un grand nombre d’individus. L’amélioration des conditions d’hygiène en élevage a déjà permis de diminuer l’usage des antibiotiques pour les monogastriques de 40 % en 5 ans mais comment réduire encore cette dépendance aux antibiotiques, sans nuire à la productivité, tout en veillant au bien-être animal ? En stimulant les capacités d’adaptation des animaux durant les périodes critiques de l’élevage, et notamment lors du sevrage des porcelets et lapereaux, et du démarrage des poulets de chair. C’est cette piste qu’explorent les chercheurs d’INRAE, au travers de plusieurs expérimentations.
C’est la combinaison des individualités qui confère la robustesse à l’ensemble du troupeau
Si la période du sevrage est particulièrement étudiée chez les mammifères, c’est qu’elle s’accompagne de changements majeurs qui sont autant de sources de stress pour les animaux. D’abord, il a lieu plus tôt en élevage que dans la nature,
et le passage du lait aux aliments solides peut être assez brutal, malgré une période de transition. Ensuite, les animaux changent subitement de milieu de vie car ils sont séparés de leur mère et enfin, ils se retrouvent avec d’autres congénères avec lesquels il faut établir de nouvelles interactions. Ces changements peuvent être trop importants au regard de la capacité d’adaptation de certains individus, qui peuvent alors devenir plus sensibles à des maladies qu’ils communiqueront à leurs voisins. D’autant qu’à l’instar des sportifs de haut niveau, les cochons, poulets et lapins, génétiquement sélectionnés sur des critères de production peuvent se révéler moins performants dans des environnements moins maitrisés. Durant des années, les sélectionneurs ont cherché à obtenir « l’animal idéal », doté à la fois des meilleurs caractères de production et de santé. Un leurre, comme le reconnaissent les chercheurs, qui s’orientent à présent vers une nouvelle approche inspirée des colonies de fourmis et d’abeilles, où c’est la combinaison des individualités qui confère la robustesse à l’ensemble. Pour évaluer la pertinence de ce concept en élevage, l’idée est de constituer un « troupeau mosaïque » comprenant animaux très prolifiques et d’autres plus robustes sur le plan immunitaire. Cette différence de sensibilité pourrait empêcher qu’un animal malade ne contamine l’ensemble du troupeau. En outre, les individus les plus robustes pourraient partager leur microbiote avec les plus prolifiques, stimulant ainsi leurs défenses. Les chercheurs viennent d’achever une série d’expérimentations en élevage cunicole pour tester cette théorie. Les résultats sont en cours d’analyse.
Elever les poussins en présence d'un adulte
Un autre projet concerne cette fois les poulets de chair, qui sont habituellement transférés par camion de l’accouvoir vers le centre d’élevage, immédiatement après l’éclosion, ce qui génère un stress important. Pour le limiter, les chercheurs étudient un système d’élevage où l’éclosion se déroule directement en élevage et ou les poussins sont élevés en présence d’un adulte. Celui-ci pourrait en effet les apaiser, tout en favorisant leur apprentissage, mais aussi stimuler leurs défenses immunitaires grâce à une colonisation plus rapide d’un microbiote adapté provenant de l’adulte via ses déjections.