Biodiversité 4 min

Protéger la biodiversité pour prévenir de nouvelles maladies infectieuses émergentes

Les activités humaines comme la déforestation ou le commerce d’animaux sauvages exposent l’Homme au contact de germes microbiens auxquels nous n’avons jamais été confrontés. Ce micromonde pourtant nécessaire à l’équilibre de la biodiversité peut receler des agents pathogènes pour notre espèce. Avec la progression des atteintes à la biodiversité, ce processus serait en train de s’accélérer... Décryptage avec Jean-François Guégan, directeur de recherche, actuellement chargé de mission à INRAE pour élaborer un grand programme de partenariat international sur les maladies émergentes d’origine animale ou environnementale, en lien avec l’agriculture.

Publié le 20 avril 2020

illustration Protéger la biodiversité pour prévenir de nouvelles maladies infectieuses émergentes
© INRAE

Dès février 2018, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait classé la « maladie X » parmi les fléaux biologiques pouvant causer un danger international pour la santé humaine. Cette inconnue serait issue d’un virus animal, et transmise à l’humain dans une région du monde où le développement économique pousse la population à se rapprocher de la faune sauvage. Les réseaux de voyage et de commerce feraient alors le reste pour créer une pandémie à l’échelle mondiale et bouleverser des sociétés entières. Deux ans après cette prédiction, loin d’un scénario de science-fiction, la pandémie du coronavirus à COVID-19 semble refléter les funestes caractéristiques de la « maladie X ». Pour les spécialistes des liens entre santé et changement globaux, une pandémie de ce type était largement prévisible. Notamment au vu des atteintes portées par les activités humaines aux écosystèmes naturels et à leur biodiversité depuis plusieurs décennies.

La biodiversité, réservoir prolifique de très nombreux microbes

Parmi les maladies nouvelles ou émergentes, près des trois-quart seraient d’origine animale

Le nombre de personnes atteintes de maladies infectieuses diminue, notamment dans les régions occidentales, mais paradoxalement le nombre d’épidémies infectieuses continue de croître. Parmi les maladies nouvelles ou émergentes, près des trois-quart d’entre-elles (1) seraient des zoonoses, c’est-à-dire d’origine animale. Et cela a commencé dès l’aube de la sédentarité au Néolithique, à l’heure des premiers villages, de l’agriculture et de l’élevage. Dès ce moment, les agents pathogènes naturellement présents dans les sols, manipulés, entrent en contact direct avec les agriculteurs (provoquant notamment le tétanos, la tuberculose ou la lèpre) ; les animaux commensaux (rats, souris, chauve-souris, etc) s’invitent dans les maisons en apportant par exemple la bactérie de la peste ; la concentration des animaux d’élevage issus des troupeaux sauvages ainsi que leur promiscuité avec les éleveurs facilitent le passage microbien au sein des populations sédentaires.


Ce sont les expositions par des pratiques humaines qui mettent en contact les individus avec ces germes

En dépit des vaccins depuis développés pour certaines de ces maladies et malgré la découverte des antibiotiques, la présence de micro-organismes dont certains peuvent se révéler être dangereux, abrités par la biodiversité, les sols, l’eau, les animaux sauvages ou le système racinaire des plantes, est une réalité encore très actuelle. Au premier janvier 2020, environ 7,7 milliards de personnes vivent sur Terre, de nouvelles maladies émergent et se répandent de plus en plus rapidement. Parmi ces agents pathogènes, les deux virus du Sida, VIH-1 et VIH-2, toujours sans vaccin, sont respectivement issus du chimpanzé et du singe vert mangabey, tandis que le virus de la grippe espagnole était issu d’une recombinaison entre un virus d’oiseau et un second de porc. Aujourd’hui, le virus du COVID-19, SARS-Cov2, ne fait pas exception : la pandémie affectant le monde entier serait également issue d’une probable recombinaison entre les virus de deux espèces animales différentes faisant l’objet, pour l'une d'elle, de chasse ou de trafic illicite. « Mais il ne faut pas pointer la biodiversité du doigt », insiste Jean-François Guégan, spécialiste de la transmission des maladies infectieuses à INRAE et à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). « Elle abrite naturellement des microorganismes dont une très vaste majorité sont bénéfiques pour leurs hôtes et les écosystèmes. Ce ne sont que les expositions par des pratiques humaines qui mettent en contact les individus avec ces germes. »

La vie est régulée par ce qu’on ne voit pas

Depuis un demi-siècle 180 agents pathogènes pour l’Homme sont apparus et décrits, dont les virus VIH, Ebola, Chikungunya, etc. Bien entendu, c’est sans compter sur ce qui existe dans « l’Under World », autrement dit la part cachée de la biodiversité et qui peut être le berceau foisonnant de micro-organismes, dont seule une très faible proportion est dangereuse pour les humains, les animaux mais aussi les plantes. Les scientifiques estiment par ailleurs qu’il reste chez les mammifères entre 360 000 et 460 000 nouvelles espèces de virus à découvrir. Si la taille de cette “dark biodiversity” peut paraître vertigineuse, les microorganismes qui s’y trouvent sont pourtant indispensables au maintien des écosystèmes dans lesquels ils se développent. « La vie est régulée par ce qu’on ne voit pas », précise Jean-François Guégan. Ces derniers, en parfait équilibre, sont cependant de plus en plus rongés par les activités humaines.

Les activités humaines sur la biodiversité accentuent les transmissions des agents pathogènes

Lorsque les activités humaines s’immiscent dans l’équilibre des écosystèmes, les micro-organismes « en profitent » pour s’échapper de leurs milieux et être véhiculés par les premiers humains en contact – souvent des chasseurs, des éleveurs ou des agriculteurs -, eux-mêmes devenant hôtes de virus et de bactéries en direction des populations humaines. La déforestation, la chasse de viande de brousse et l’étalement frénétique des villes, notamment en zones intertropicales, sont des causes majeures du dérèglement des cycles naturels des micro-organismes dans leurs milieux. Les activités économiques favorisent en périphérie immédiate de grands centres urbains l’émergence de microbes jusqu’alors peu ou jamais mis au contact d’humains. « Les microbes ne deviennent pas pathogènes par leurs fonctions naturelles, mais par les voies de passage qu’on leur offre aujourd’hui », précise le chercheur.


Déforestion en Guyane française à Cacao pour le développement d’une plantation de bananiers et d’orangers.

Capture d’une chauve-souris du genre Pteropus connue pour être l’hôte réservoir du virus Nipah en Asie du Sud-est.

Photo de gauche : Déforestion en Guyane française à Cacao pour le développement d’une plantation de bananiers et d’orangers.
Les écosystèmes d’interfaces, ou écotones, aux franges entre la forêt primaire et les cultures constituent des espaces qui accroissent les risques microbiens. Photographie : Jean-François
Guégan (INRAE, UMR ASTRE).

A droite : Capture d’une chauve-souris du genre Pteropus connue pour être l’hôte réservoir du virus Nipah en Asie du Sud-est. Ce groupe animal n’est pourtant pas plus porteur d’agents pathogènes pour l’humain que d’autres groupes d’animaux. Photographie : Julien Cappelle (Cirad, UMR ASTRE).

Enclos pour l’élevage familial de porcs en Asie du Sud-est

Route forestière en Guyane française

Photo de gauche : Enclos pour l’élevage familial de porcs en Asie du Sud-est. Une bâche protège l’enclos des déjections et jets d’urine provenant des chauves souris. Toutefois, les urines contenant des particules du virus Nipah peuvent atteindre le sol, et les porcs sont alors exposés au danger infectieux. Photographie : Julien Cappelle (Cirad, UMR ASTRE).

A droite : Route forestière en Guyane française. L’intrusion humaine dans les systèmes forestiers tropicaux expose les personnes à de nouveaux dangers microbiologiques, à des arthropodes vecteurs et à des réservoirs hôtes de germes microbiens. Photographie : Benoît de Thoisy (Institut Pasteur de la Guyane).

Penser le modèle social, politique et environnemental à l’échelle mondiale

Les villes regroupent plus de la moitié de la population mondiale, dont 46 % est située en Asie orientale et du Sud-est. La civilisation est aujourd’hui confrontée de manière plus régulière à l’Under World dans lequel une myriade d’agents pathogènes inconnus sommeille encore à l’écart des sociétés, qui ne sont pas toutes égales face au risque d’épidémies. En marge des villes des pays en développement, et donc au contact direct avec la faune potentiellement porteuse de micro-organismes dangereux, se concentrent les populations les plus pauvres et aussi les plus vulnérables face au risque épidémiologique. Le développement du choléra par exemple chez une personne bien nourrie nécessitera 1000 à 10 000 fois plus de bactéries que chez une personne plus démunie. Et si les maladies émergentes proviennent souvent des zones urbaines de l’Asie du Sud-est, la raison réside certainement dans la concentration de tous ces facteurs aggravants. Ajoutés à cela, les échanges mondialisés dispersent les maladies aux quatre coins de la Terre à une vitesse sans précédent.

La densité de population humaine, la fragmentation des biomes forestiers par les activités humaines et le niveau de précarité des populations les plus pauvres dessinent des zones à plus fort risque d’émergence infectieuse

Carte : Travail original d’après Guégan J.-F., Ayouba A., Cappelle J. and Thoisy B. de. Forests and Emerging Infectious Diseases: Unleashing the Beast Within. (2020)  Environ. Res. Lett.  https://doi.org/10.1088/1748-9326/ab8dd7
Voir aussi Communiqué de presse, 7 mai 2020 Analyse de 65 ans de travaux sur le lien entre forêt, déforestation et émergence de maladies infectieuses.. Des chercheurs d’INRAE, du Cirad, de l’IRD et de l’Institut Pasteur de la Guyane viennent d’effectuer, dans la revue Environmental Research Letters, une analyse de synthèse bibliométrique sur un corpus de 565 publications, publiées entre 1953 et 2018, sur les liens entre forêts, déforestation et maladies infectieuses émergentes. Ils pointent une fragilité des connaissances sur cet enjeu majeur.

Fleuve Nyong dans la région centrale du Cameroun. Prélèvements à la recherche de la mycobactérie environnementale, Mycobacterium ulcerans, responsable de l’ulcère de Buruli chez l’humain.
Fleuve Nyong (Cameroun). Prélèvements à la recherche de la mycobactérie environnementale, Mycobacterium ulcerans, responsable de l’ulcère de Buruli chez l’humain. Photo : Andrès Garchitorena (IRD)

Les scientifiques s’accordent donc à dire qu’il est primordial d’apporter des réflexions à l’échelle mondiale pour lutter contre les prochaines épidémies. Mieux comprendre la biodiversité pour mieux la respecter, revoir en profondeur nos politiques de développement et d’aides… autant de pistes qu'il faut investiguer pour se préparer au mieux à l’émergence de nouvelles pandémies. Mais déjà, autres conséquences de COVID-19, la COP15 sur la biodiversité prévue en octobre en Chine est repoussée à une date ultérieure, tandis que la COP26 sur le climat annoncé pour novembre au Royaume-Uni risque également d’être reportée…

BIODIVERSITE & SANTE : UNE INITIATIVE INTERNATIONALE INEDITE

PREZODE, prévenir de futures pandémies

Jean-François Guégan est Directeur de recherche de classe exceptionnelle à l'IRD, aujourd'hui en accueil à INRAE (UMR ASTRE, INRAE, Cirad, Université de Montpellier), à Montpellier. Il est aussi enseignant, responsable d'unités d'enseignement, depuis près de 15 ans à l'Université de Montpellier, Professeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Paris, Rennes, responsable d'une filière de Master de santé publique internationale affichée Erasmus Mundus, où il enseigne la problématique Changements globaux et santé. Expert à l'OMS, il est aussi membre du Comité national français sur les changements globaux (CNFCG) et ancien membre du Haut Conseil de la Santé Publique où il a été en charge de plusieurs rapports officiels de l’Etat dont un sur les maladies infectieuses émergentes (2).

(1) Selon Smith K.F. and Guégan J.-F. (2010). Changing geographic distributions of human pathogens. Annual Review of Ecology, Evolution and Systematics 41: 231-250.
Voir aussi : Murray K.A., Olivero J., Roche B., Tiedt S. and Guégan J.-F. (2018). Pathogeography: leveraging the biogeography of human infectious diseases for global health management. Ecography 41: 1-17. Doi: 10.111/ecog.03625

(2) Leport C. et Guégan J.-F. (coordination) (2011). Maladies Infectieuses Emergentes : Etat de la Situation et Perspectives. Expertise collégiale coordonnée pour le compte du Haut Conseil de la Santé Publique, Ministère de la Santé. La Documentation française 2011, 207 pages.

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Pierre-Yves LerayerRédacteur

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