Alimentation, santé globale 8 min

Préserver la sécurité des aliments grâce à la connaissance des mécanismes de contamination par les mycotoxines

L'unité Mycologie et sécurité sanitaire des aliments (Mycsa) développe depuis 2005 des recherches dans un cadre multidisciplinaire et multi-échelle pour élucider les mécanismes conduisant à la contamination des aliments par les mycotoxines.

Publié le 25 juin 2021 (mis à jour : 28 avril 2022)

illustration Préserver la sécurité des aliments grâce à la connaissance des mécanismes de contamination par les mycotoxines
© L. Pinson-Gadais, UR MycSA, INRAE. Fusarium graminearum

L’unité Mycologie et Sécurité sanitaires des Aliments, UR1264 MycSA, créée en 2005, est localisée sur le campus vert INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux. Au sein de cette unité, près de vingt chercheurs, ingénieurs, techniciens et personnels administratifs des deux départements INRAE, Microbiologie de la Chaîne Alimentaire (MICA) et Santé des Plantes et Environnement (SPE), unissent leur expertise et leurs compétences pour atteindre une compréhension avancée des mécanismes et interactions conduisant à la contamination des aliments par les mycotoxines.

Le terme « mycotoxine » est construit à partir des racines grecques μύκης, mykes, (champignon) et τοξικόν, toxikón (poison). Il désigne des métabolites secondaires produits par des champignons filamenteux (ou moisissures) qui présentent un risque pour la santé de l’être humain et des animaux. Aux aflatoxines, ochratoxines, patuline et toxines de l’ergot, qui sont certainement les mycotoxines les plus connues, s’ajoutent, entre autres, les mycotoxines produites par les espèces de champignon du genre Fusarium dont la présence dans les aliments d’origine végétale est loin d’être sous contrôle. Ces mycotoxines sont au cœur du projet de l’unité MycSA.

L’histoire humaine est marquée par des épisodes d’intoxication liée à l’ingestion de mycotoxines

Dès le Xesiècle, des formes de gangrènes typiques de l’ergotisme, aussi désigné sous le nom de « feu de Saint Antoine » ou « mal des ardents », ont été décrites. En France, le dernier épisode d’ergotisme s’est produit en 1951 à Pont Saint-Esprit, dans le Gard. L’origine de cette maladie réside dans la consommation de farines de seigle contaminées par des alcaloïdes produits par le champignon Claviceps purpurea, plus connu sous le nom d’ergot du seigle. D’autres mycotoxines, les toxines T2 et HT2, responsables de la maladie appelée "Aleucie Toxique Alimentaire", ont également causé des ravages. Rapportée pour la première fois à la fin du XIXe en Sibérie orientale, cette maladie, liée à la consommation de céréales moisies, a entrainé le décès de 10 % de la population de l'oblast d’Orenbourg en URSS dans les années 1940. Dans l'histoire récente, les alertes ont essentiellement concerné les aflatoxines. En 2004, la consommation de maïs contaminé par ces toxines a conduit au décès de 125 personnes au Kenya (Wu et al., 2014). Aujourd'hui, Aspergillus flavus, qui est le principal producteur d’aflatoxines, est considéré comme l’un des 10 champignons les plus redoutés à l’échelle mondiale, comme l'illustre une étude à laquelle ont participé les chercheurs de MycSA (Hyde et al., 2018).

Mais ces épisodes historiques d’intoxication aigüe ne sont que ceux qui ont été rapportés ou ceux pour lesquels le lien avec une ingestion de mycotoxines a été clairement établi. Les conséquences sanitaires liées aux mycotoxines ont été certainement très sous-estimées. C’est ce que démontrent les travaux menés par MycSA en collaboration avec l’INRAP sur le stockage des céréales dans des silos souterrains, une technique traditionnelle ancestrale de conservation des grains.

photo de symptômes de Fusariose sur blé
Symptômes de Fusariose sur blé. © Christian Lannou INRAE

Aujourd’hui, en France et en Europe, on ne constate plus de décès dus à des intoxications aiguës par les mycotoxines. Les céréales et leurs produits dérivés sont les matrices végétales les plus sujettes à la contamination par les mycotoxines. La majeure partie des contaminations est due aux champignons du genre Fusarium, qui sont responsables de la fusariose, une maladie fongique des céréales qui induit des pertes de récolte significatives.

Les niveaux de contamination par les mycotoxines sont surveillés et des valeurs seuils sont fixées par une réglementation européenne (CE 1881/2006). Les lots de céréales dont le niveau de contamination dépasse ces valeurs ne peuvent être commercialisés pour l’alimentation humaine. Malgré tout, les effets des expositions aux mycotoxines à de faibles doses sur le long terme posent question. Même s’il est particulièrement difficile d'établir une relation de causalité entre exposition et symptômes, les mycotoxines sont suspectées de jouer un rôle dans le développement de certaines maladies chroniques dont des cancers. Ainsi, éviter les contaminations reste un enjeu majeur pour notre santé, et ce, d’autant plus que l’évolution des pratiques de production et de consommation interroge fortement sur l’apparition de nouveaux risques en alimentation humaine et animale.

Pourquoi, quand et comment un champignon produit des mycotoxines ?  C'est la question clef guidant l’ensemble des études de MycSA. La stratégie globale du projet de l’UR MycSA s’attache à ne pas considérer les agents fongiques toxinogènes comme des éléments isolés et figés mais comme des éléments pouvant évoluer, intégrés dans des systèmes complexes associant leur hôte et les communautés microbiennes environnantes, l’ensemble de ces systèmes étant sous la dépendance de facteurs agro-environnementaux. Ce réseau d'interactions est illustré par le schéma reporté ci-dessous.

Les études fondamentales menées dans l’unité MycSA vont du gène à la mycotoxine, ce qui conduit à combiner plusieurs approches "omiques" : génomique, transcriptomique et métabolomique. Cette stratégie, permise par la complémentarité des expertises regroupées au sein de l'unité, a conduit à des résultats très novateurs, comme la mise en évidence du rôle déterminant des mécanismes épigénétiques sur la biosynthèse de mycotoxines par les champignons. (Chen et al., 2020.)


 

 

Contamination des récoltes par les mycotoxines : le poids des facteurs climatiques est déterminant

Si la communauté scientifique s’accorde sur le fait que les changements climatiques vont conduire à des modifications des profils de contamination en mycotoxines, l’étendue et la nature de ces modifications restent à être précisées. Une nouvelle répartition géographique des champignons producteurs est attendue. Les espèces fongiques, qui sont actuellement majoritairement retrouvées dans des régions du Sud, vont migrer vers des zones de culture plus septentrionales. Les champignons ont une forte capacité à s’acclimater, à s’adapter et la production de mycotoxines est un des éléments de leur réponse adaptative. Aussi, face à des conditions environnementales plus hostiles, la production de mycotoxines par le champignon sera modifiée. Ces événements sont étudiés par les chercheurs, et font l'objet du projet de recherche EvolTox : Évolution du profil d'espèces de Fusarium contaminant les blés, et de leurs mycotoxines, dans un contexte de changement climatique : comprendre le présent pour anticiper le futur. Ce projet, financé pour 4 ans par l'ANR, a pour objectif majeur d’acquérir les connaissances qui permettront de prédire l’effet des changements climatiques sur la qualité sanitaire des récoltes de blé.

Limiter les niveaux de mycotoxines dans les récoltes nécessite aussi la mise en œuvre d’itinéraires agronomiques adaptés.

Les stratégies de maitrise du risque combinent le travail du sol, la rotation des cultures, le choix des cultivars, et l’utilisation de pesticides. Les nouvelles pratiques culturales, qui réduisent voire abolissent l’usage des pesticides de synthèse et limitent le travail du sol, interpellent car elles sont susceptibles de conduire à des risques de contamination augmentée. Il est essentiel d’évaluer les conséquences de ces nouvelles pratiques de production sur le risque mycotoxine.

Cette évaluation, d’importance cruciale pour le développement des circuits courts, avec transformation des céréales à la ferme, majoritairement dans un contexte d’agriculture biologique, est abordée par l’unité MycSA dans le projet CASDAR Myco3 : Identifier et limiter les risques mycotoxines dans les céréales produites, stockées et transformées en circuit court.


Il est aussi nécessaire de proposer des solutions pour accompagner ces transitions. C'est pourquoi, afin de réduire, voire remplacer, l’utilisation de pesticides de synthèse et limiter leurs impacts sur la santé et l’environnement, la recherche de biosolutions est une piste explorée par MycSA.

La recherche de biosolutions est une piste explorée par MycSA.

Les coproduits issus des filières bois et viticole s’avèrent être des sources très intéressantes de molécules actives contre les champignons toxinogènes et leur production de mycotoxines (Montibus et al., 2021). Ces résultats sont à l'origine du projet ANR StilDeTox intitulé : Les stilbénoïdes : composés prometteurs pour le développement de stratégie de biocontrôle visant à diminuer la contamination du blé et de la vigne par les champignons toxinogènes et leurs mycotoxines.

cep de vigne

Ce projet cible plus précisément les propriétés antifongiques et d’inhibition de la production de mycotoxines détenues par des composés de type stilbénoïdes. On retrouve ces composés notamment dans les coproduits viticoles que sont les sarments et les ceps de vigne.



Une protéine de tique pour lutter contre la fusariose du blé et du maïs : un espoir pour le biocontrôle.

phto de tique et shcéma de la protéine utilisée dans la lutte dite biocontrole du fusarium

La tique, cet ennemi printanier connu de tous, pourrait être l’allié du blé et du maïs. Une protéine fabriquée par son système immunitaire pour se protéger des attaques de microbes est capable d’inhiber la croissance de Fusarium graminearum, le principal champignon responsable de la Fusariose, mais aussi de bloquer sa production de toxine. Ce sont les conclusions de travaux menés par des chercheurs de MycSA, en collaboration  avec l'UMR BIPAR. C’est en combinant deux domaines d’expertise, les tiques d’un côté et le pathogène fongique de l’autre, que les chercheurs ont découvert l’action de cette protéine, qui a donné lieu à un dépôt de brevet. Leurs travaux, parus dans la revue Scientific Report, proposent un outil de biocontrôle prometteur pour lutter contre ce pathogène mondial et protéger les deux premières productions céréalières mondiales.

Publication : (Leannec-Rialland et al., 2021.) Brevet : B3267FR00


Les mycotoxines ne sont cependant pas les seuls contaminants affectant la qualité sanitaire des produits végétaux. D’autres contaminants environnementaux tels que des dérivés de pesticides, polluants organiques persistants et métaux lourds sont aussi à surveiller. En ce qui concerne les céréales, certains métaux lourds et plus précisément le cadmium peuvent être problématiques.

Il est alors extrêmement important de s’assurer que les stratégies de lutte contre la contamination par les mycotoxines n’ont pas un effet qui augmenterait l'accumulation du cadmium dans les grains. Inversement, il faut s'assurer aussi que les techniques mises en œuvre pour limiter l'accumulation du cadmium n'augmentent pas les contaminations par les mycotoxines. Il est donc indispensable de développer une approche multi-contaminant, allant de la parcelle au produit transformé. C'est le cadre du projet de recherche CaDON : Cadmium et Deoxynivalenol dans les récoltes de blé dur : comprendre les évènements de contamination croisée et évaluer la toxicité du mélange, financé par l’ANR.

Une approche de recherche transversale et multi-échelle dans le concept OneHealth

La gestion de la contamination par les mycotoxines, qui affectent la santé des plantes, des animaux et des humains, est un très bel exemple illustrant la nécessité de construire la qualité des aliments dès l’étape de production au champ. Cette construction doit être appréhendée en intégrant la complexité des interactions au sein des écosystèmes. Les contaminations, fortement influencées par les facteurs environnementaux, le sont aussi par les pratiques mises en place par les différents acteurs du secteur agricole et de l’industrie agroalimentaire. Le niveau d'exposition aux contaminants du consommateur dépend de ses choix et de ses pratiques.

Le fondement du projet de recherche porté par l’unité MycSA repose sur une approche transversale et multi-échelle qui est en accord avec les principes du concept One Health.

 

REFERENCES

Projets

 

  • ANR Histovar : Rôle de H2A.Z chez les champignons phytopathogènes du genre Fusarium
  • ANR StilDeTOX : Les stilbénoïdes: produits naturels prometteurs, respectueux de l'environnement, destinés à réduire la contamination du blé et du raisin par les champignons toxinogènes et les mycotoxines associées
  • CASDAR Mcyo3C : Identifier et limiter les risques mycotoxines dans les céréales produites, stockées et transformées en circuit court
  • ANR Evoltox : Évolution du profile d'espèces de Fusarium et des mycotoxines associées des blés dans un contexte de changement climatique : comprendre le présent pour anticiper le futur
  • ANR Cadon : Cadmium et Deoxynivalenol dans les récoltes de blé dur : comprendre les événements de contamination croisée et évaluer la toxicité du mélange

 

Laurent Marché Responsable communication département MICA

Grégory Lambert Responsable communication Centre Nouvelle-Aquitaine Bordeaux

CONTACT SCIENTIFIQUE

Florence Forget Directrice de rechercheDirectrice de l'unité de recherche MYCSA

Le centre

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