Un nouvel outil pour l’identification des gènes d’intérêt chez la truite arc-en-ciel : une puce haute densité à 665 000 marqueurs génétiques
La connaissance des variations de la séquence d’ADN qui constitue le génome d’un individu est une information centrale dans les recherches en génétique. S’il est possible de séquencer le génome complet pour connaître toutes ces variations, cela reste très coûteux. Les puces de génotypage, beaucoup moins onéreuses, permettent de travailler avec une densité d’information intermédiaire (correspondant à une sélection de positions, ou « marqueurs », judicieusement répartis sur le génome). Cependant, leur efficacité est directement liée au nombre de marqueurs disponibles. Pour la truite arc-en-ciel, première espèce de poisson d’élevage en France, INRAE et ses partenaires viennent de développer une nouvelle puce de génotypage haute densité (665 000 marqueurs, soit environ 15 fois plus que les meilleurs outils disponibles jusqu’ici), qui augmente fortement la puissance d’analyse obtenue. En donnant accès à une information génomique beaucoup plus précise, cette puce permettra une identification plus facile des gènes à l’origine des différences entre individus et la mise au point de procédures de sélection plus efficaces pour adapter les animaux aux évolutions des conditions d’environnement.
Publié le 31 août 2022
Pour identifier les zones du génome impliquées dans les variations d’un caractère d’intérêt (par exemple la résistance à une maladie), il est possible de séquencer l’intégralité de l’ADN d’individus évalués sur ce caractère, puis de rechercher des associations statistiques entre les variations génétiques détectées et les variations du caractère observées entre individus. Mais cette approche est très coûteuse, d’autant plus que pour mettre en lumière de telles associations, il faut étudier plusieurs centaines à plusieurs milliers d’individus. Aussi, au lieu d’analyser l’information à chaque position du génome (le séquençage), on étudie l’information réduite à un nombre donné de positions ou « marqueurs génétiques ». Ces marqueurs, judicieusement répartis sur l’ensemble du génome et choisis pour maximiser les chances d’observer des différences entre les individus, « résument » de façon peu coûteuse l’information présente sur le génome complet. Cette technique s’appelle le génotypage pan-génomique, et l’ensemble des marqueurs génétiques choisis est analysé à l’aide d’une puce dite « puce de génotypage ».
En aquaculture, comme pour les autres espèces d’animaux d’élevage, l’accès à un petit nombre de séquences génomiques complètes et le développement d’outils de génotypage à faible (quelques milliers de marqueurs) ou moyenne densité (quelques dizaines de milliers de marqueurs génétiques) ont, à partir des années 2010, d’ores et déjà permis de mettre en œuvre la sélection génomique et d’améliorer des caractères importants en élevage, comme la qualité des filets ou la résistance aux maladies. Chez la truite, les premiers travaux de recherche ont utilisé des génotypages de faible à moyenne densité qui ont permis d’identifier les principales régions du génome liées à la résistance à deux maladies majeures, la flavobactériose (causée par une bactérie) et la nécrose pancréatique infectieuse (causée par un virus). Cependant, avec ce nombre de marqueurs, la localisation des régions d’intérêt reste trop imprécise pour permettre l’identification des gènes précisément associés à la résistance/sensibilité à l’agent infectieux.
Pour développer un outil de génotypage fiable, précis et polyvalent (c’est-à-dire adapté à des populations de truite d’origines génétiques diversifiées), il est indispensable d’identifier de manière unique dans le génome des marqueurs aussi représentatifs que possible de cette diversité. A cette fin, les chercheurs de l’unité GABI d’INRAE ont collaboré avec des chercheurs américains de l’Agricultural Research Service de l’USDA pour séquencer le génome complet de 159 truites d’origines aussi variées que possible. Le séquençage leur a permis d’identifier plus de 32 millions de marqueurs, parmi lesquels ils ont soigneusement sélectionné les 665 000 marqueurs les plus informatifs à la fois dans des populations de truites françaises et nord-américaines pour élaborer la première puce de génotypage « haute densité ». Ce nouvel outil a été développé avec l’aide de l’entreprise ThermoFisher Scientific et utilisé par la plateforme de génotypage INRAE Gentyane, en partenariat avec le syndicat des sélectionneurs avicoles et aquacoles français (SYSAAF), dans le cadre d’un projet de recherche* sur la résistance des truites à l’augmentation de la température et à l’hypoxie (déficit en oxygène). Avec cette puce haute densité, la localisation des régions génomiques d’intérêt pour ces deux caractères d’adaptation au changement climatique est 25 fois plus précise qu’avec les outils précédemment disponibles. Cette avancée majeure va considérablement faciliter l’identification des gènes d’intérêt chez la truite, et ainsi accélérer la compréhension fine du déterminisme des caractères et l’amélioration de l’efficacité de la sélection pour l’élevage en combinant plus efficacement progrès génétique et préservation de la diversité génétique des populations.
*Projet Hypotemp soutenu par le FEAMP (Fonds Européen pour les Affaires Maritimes et la Pêche), n° P FEA470019FA1000016
Maria Bernard, Audrey Dehaullon, Guangtu Gao, Katy Paul, Henri Lagarde, Mathieu Charles, Martin Prchal, Jeanne Danon, Lydia Jaffrelo, Charles Poncet, Pierre Patrice, Pierrick Haffray, Edwige Quillet, Mathilde Dupont-Nivet, Yniv Palti, Delphine Lallias, Florence Phocas (2022). Development of a high-density 665 K SNP array for rainbow trout genome-wide genotyping. Frontiers in Genetics 13 : 941340. https://doi.org/10.3389/fgene.2022.941340