Changement climatique et risques Temps de lecture 8 min
Les nanoCLICS sont-ils les véritables pilotes de la stabilisation du carbone dans le sol ?
Spécialiste de la dynamique du carbone dans les sols, la géochimiste Isabelle Basile-Doelsch propose une approche en rupture avec les modèles existants : selon elle, la durée de présence du carbone dans le sol dépend d’éléments minéraux nanométriques. Elle compte vérifier son hypothèse dans un projet intitulé NanoCLICS qui vient de recevoir du Conseil européen de la recherche une bourse ERC Advanced Grant.
Publié le 17 juin 2025

Les enjeux du changement climatique ont boosté la recherche sur les puits de carbone et révélé l’importance du sol qui est le plus gros réservoir terrestre. De nombreuses études ont montré l’intérêt des pratiques agroécologiques (couvert végétal permanent, agroforesterie, plantation de haies…) pour favoriser l’entrée du carbone organique dans ce réservoir. En revanche, peu de recherches permettent de comprendre comment le stabiliser afin qu’il ne réintègre pas l’atmosphère. Pour Isabelle Basile-Doelsch, directrice de recherche au Cerege (Centre de recherche et d’enseignement des géosciences de l’environnement), « notre incompréhension est liée à l’échelle inadaptée à laquelle on observe la stabilisation du carbone dans le sol ». Récemment récompensée par une bourse ERC, la porteuse du projet NanoCLICS estime que le modèle actuel expliquant cette stabilisation n’apporte qu’un éclairage partiel de la réalité.

Le programme du Conseil européen de la recherche finance la recherche exploratoire avec pour unique critère l'excellence scientifique. Il permet aux chercheurs d'identifier de nouveaux domaines de recherche, tout en reconnaissant le statut et la visibilité des esprits les plus brillants d'Europe. L'objectif ultime est de construire une recherche européenne prête à répondre aux besoins d'une société basée sur la connaissance et à fournir la recherche de pointe nécessaire pour relever les défis mondiaux.
La matière minérale, un bouclier anti-décomposition
Le sol est une véritable usine de transformation : les agents fournisseurs de matière organique sont principalement les racines des plantes. Cette matière est ensuite fragmentée par des organismes tels que les vers puis digérée et transformée par les enzymes des bactéries et champignons. Le carbone organique issu de cette transformation est pour partie rejeté sous la forme de CO2, du fait de la respiration des microorganismes, l’autre partie étant maintenue dans le sol sous la forme de molécules organiques. À terme, le carbone contenu dans ces composés réintègre lui aussi l’atmosphère mais selon des rythmes très variables : alors que certains prennent le large en moins de 24 h, d’autres demeurent sous terre plus de 3 000 ans avant de rejoindre les cieux.

Cette longévité s’explique aux échelles nanométriques. Elle est due à la protection rapprochée de la matière minérale qui empêche les microorganismes d’attaquer les molécules organiques. Ce bouclier protecteur stabilise les molécules organiques dans le sol, c’est une voie de la séquestration du carbone à long terme. La théorie classique voudrait que ce bouclier soit une surface minérale structurellement ordonnée sur laquelle les molécules organiques se déposent par adsorption en couches successives. Les couches les plus proches de la surface minérale seraient les plus durablement protégées. « Durant des années, j’ai cherché dans les sols volcaniques ces imogolites, de belles structures minérales en forme de tube revêtues d’un manteau de carbones organiques. Je ne les ai jamais vues, tout comme la théorie n’a jamais été validée par une observation directe dans des échantillons prélevés dans des sols », regrette la chercheuse.
NanoCLICS, à la recherche d’une version réaliste des associations organominérales du sol

En 2019, Isabelle Basile-Doelsch élabore un modèle plus réaliste car il tient compte de l’altération des minéraux en milieu naturel. Elle part du principe que le sol contient de la matière organique, des minéraux altérés et les produits de cette altération structurés en oligomères (assemblages de quelques atomes de fer, silicium, aluminium…). La structure 3D irrégulière de ces oligomères est beaucoup plus réactive aux molécules organiques que les minéraux cristallins bien ordonnés du modèle classique. La géochimiste baptise cette structure irrégulière nanoCLICS (nanosized coprecipitates of inorganics oligomers with organics). Elle considère que la stabilisation du carbone s’opère partiellement par adsorption mais que les nanoCLICS sont les véritables pilotes de sa dynamique dans le sol. En 2023, utilisant un outil d’observation issu des nanosciences, elle observe des nanoCLICS dans des échantillons de sols très riches en carbone, des andosols.
Doté de 2,5 millions d’euros, la bourse ERC lui servira à identifier la structure des nanoCLICS dans 10 sols européens avec systématiquement un sol cultivé et un autre tel qu’une forêt ou prairie. En laboratoire, une série de colonnes remplies d’un sol artificiel et de plantes permettra de suivre la formation, l’évolution et la destruction des nanoCLICS. Enfin, un travail de modélisation devrait permettre de les quantifier.

Dans 5 ans, les résultats pourraient alimenter des recherches prometteuses : connaissant la dynamique des nanoCLICS, peut-on augmenter la séquestration du carbone dans le sol ? Les ayant caractérisés sur sols cultivés, les nanoCLICS peuvent-ils aider la plante à mieux se nourrir ? Leur quantification incite-t-elle à réviser les modèles de prévisions du changement climatique ? Cet ERC apportera un nouvel éclairage sur la séquestration du carbone dans le sol, complémentaire de celui de l’initiative « 4 pour 1 000 », lancée en 2015 par la France lors de la COP21.