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Le microbiote n’a pas fini de nous étonner

De découvertes en découvertes, le microbiote se dévoile... mais il reste encore tant de choses à découvrir, notamment les effets des métabolites sécrétés par les bactéries du microbiote sur l'intestin et les autres organes. C'est ce qu'explore Martin Beaumont, jeune chercheur à INRAE de Toulouse, grâce à un modèle expérimental novateur : les organoïdes.

Publié le 29 novembre 2023

illustration Le microbiote n’a pas fini de nous étonner
© INRAE, Bertrand NICOLAS

La révolution du microbiote a eu lieu dans les années 2000 lorsque les méthodes de métagénomique ont permis de séquencer les gènes des milliers de bactéries qui le forment et ainsi mieux appréhender sa composition et sa diversité. S’il a été mis en évidence des liens entre microbiote et santé, les mécanismes qui les sous-tendent ne sont pas encore tout à fait connus. Martin Beaumont, chercheur à l’unité GenPhyse à Toulouse, explore ces mécanismes chez les animaux d’élevage. Entretien.

Le microbiote communique avec les autres organes. Comment ?

Martin Beaumont : Les milliards de bactéries qui composent le microbiote intestinal sécrètent de petites molécules, appelées métabolites, qui, absorbées au niveau de l’intestin, passent dans la circulation sanguine et peuvent agir sur d’autres organes, tel que le foie par exemple. Dans le cadre de mon postdoctorat à Bruxelles, j’ai montré que l’indole, un métabolite produit par le microbiote à partir du tryptophane, un acide aminé, avait des effets anti-inflammatoires au niveau hépatique chez la souris. Aujourd’hui j’étudie les effets de métabolites produits par le microbiote chez les animaux d’élevage, le porc et le lapin. En particulier, je m’intéresse au développement de l’intestin au début de la vie, de la naissance au sevrage, quand les animaux passent du lait à une alimentation solide. Étant donné que les bactéries du microbiote « se nourrissent » de ce que mange l’animal, il y a une modification importante de la composition du microbiote au moment du sevrage, associée à une modification des métabolites produits. On se pose la question de l’effet de ces métabolites sur le développement de l’intestin, mais pour y répondre on a besoin de modèles expérimentaux, car chez l’animal il y a tellement de facteurs qui rentrent en jeu qu’il est difficile d’isoler le rôle des métabolites. On utilise donc des organoïdes.  

Qu’est-ce que les organoïdes ?

Ce qui est impressionnant avec les organoïdes, c’est qu’à partir d’une seule cellule souche on arrive à reconstituer un tissu avec différents types cellulaires capables de reproduire certaines fonctions de l’organe.

Martin Beaumont : Ce sont des cultures de cellules qui miment le fonctionnement des organes. Ces modèles ont été développés dans les années 2010 et c’est une véritable révolution pour l’expérimentation. Les organoïdes sont obtenus à partir de cellules souches mises dans un environnement physicochimique spécifique qui va permettre de donner naissance à des cellules diversifiées, auto-organisées, et en 3 dimensions. L’organoïde ainsi créé va avoir certaines fonctions de l’organe, nous pouvons ainsi expérimenter plein d’hypothèses. Les organoïdes ont beaucoup été développés pour les souris et l’être humain mais très peu pour les animaux d’élevage. Avec mon équipe nous avons été les premiers à cultiver des organoïdes d’intestin de lapin. Pour les porcs, cela existait déjà mais on a pu montrer à quel point ils gardaient les caractéristiques des tissus d’origine. Par exemple, on a montré qu’un organoïde d’intestin grêle était différent d’un organoïde de gros intestin, ce qui nous offre l’opportunité de mener des recherches très fines sur les effets des métabolites sur les différents segments d’intestin.

Est-ce que les organoïdes permettent de se passer de l’expérimentation animale ?

Les organoïdes limitent le recours à l’expérimentation animale mais ne la remplacent en aucun cas.

Martin Beaumont : Les organoïdes sont très proches de la physiologie des organes qu’ils miment et cela nous permet de répondre à de nombreuses questions biologiques sans faire d’expérimentation sur les animaux vivants. Dans le cadre de nos travaux, les organoïdes nous servent à tester beaucoup de métabolites, comprendre leurs effets et les mécanismes impliqués. Mais ils restent des modèles imparfaits, les organoïdes ne peuvent pas imiter la totalité et la complexité d’un être vivant. Alors, lorsque l’on identifie un métabolite d’intérêt, on doit valider nos premiers résultats sur des modèles animaux.

 

Qu’avez-vous découvert sur le développement de la barrière intestinale ?

Martin Beaumont : Nos travaux confirment ce qui a déjà été observé par ailleurs : il existe un métabolite, le butyrate, qui est produit principalement lors de la fermentation des glucides complexes. Lorsque l’on passe à une alimentation solide, les animaux mangent davantage de glucides complexes issus des plantes et les bactéries du microbiote produisent alors plus de butyrate. Nous avons montré que le butyrate renforce la barrière intestinale, c’est-à-dire qu’il renforce la « jointivité » des cellules de l’intestin, empêchant les bactéries pathogènes ou les molécules toxiques de passer dans la circulation sanguine. Aujourd’hui, on continue de tester plein d’autres métabolites pour comprendre l’effet qu’ils peuvent avoir, notamment sur le développement de l’intestin chez les jeunes animaux.

PORTRAIT DE MARTIN BEAUMONT

médaillon photo Martin Beaumont

Toujours avancer. Que ce soit pour ses travaux de recherche ou pour aller courir des trails, Martin Beaumont ne s’arrête jamais. Au labo, ce qui l’anime c’est l’envie de comprendre les mécanismes biologiques qui régissent le vivant. L'excellence de ses travaux lui a valu le Laurier INRAE Espoir scientifique 2023.
Découvrir son portrait

En quoi cela est-il utile à la société ?

Martin Beaumont : La finalité de ces travaux c’est de limiter le recours aux antibiotiques chez les jeunes animaux qui sont sujets à de nombreux troubles digestifs. Utiliser des antibiotiques en élevage contribue à l’émergence de bactéries qui y sont résistantes et qui vont menacer la santé humaine. On essaie donc de trouver d’autres moyens de préserver la santé de ces jeunes animaux sans utiliser d’antibiotiques. Les métabolites que l’on identifie pourraient être utilisés pour cela. 

Quelles sont les perspectives de vos travaux ?

C'est fascinant de voir toute la complexité du vivant et de pouvoir comprendre comment tout cela fonctionne !

Martin Beaumont : Maintenant, j’ai envie d’aller plus loin dans la compréhension des mécanismes d’action des métabolites produits par le microbiote sur l’intestin. Et pour cela on va utiliser de nouvelles technologies de biologie moléculaire qui permettent de regarder l’expression des gènes dans chaque type de cellule que l’on retrouve dans l’intestin (cellules épithéliales, cellules qui fabriquent le mucus, etc.). Cela change complètement nos perspectives, on va pouvoir savoir par exemple les effets d’une modification de l’alimentation sur l'expression des gènes dans chacune des cellules qui composent l’intestin. On travaille également à améliorer les organoïdes, avec de nouvelles techniques qui miment encore mieux le fonctionnement des organes. Et qui sait, un jour, développer des produits nutritionnels contenant des métabolites produits par le microbiote avec des effets protecteurs pour la santé intestinale !

 

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