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Méthanisation : quelles recettes pour un digestat sur-mesure ?

Choix et pré-traitement des ingrédients, méthode de préparation, etc., la méthanisation obéit à un ensemble procédural qui pourrait s’apparenter à une recette de cuisine. Si le digestat qui en est issu dépend de la manière dont ces étapes sont suivies, il n'existe pourtant pas de recette universelle pour produire un unique produit qui satisferait l’ensemble des systèmes agricoles. Selon le contexte agroécologique de l’exploitation, son territoire et la période de l’année, chaque agriculteur devra trouver la recette adaptée à la situation.

Publié le 23 novembre 2021

illustration Méthanisation : quelles recettes pour un digestat sur-mesure ?
© INRAE, B. Nicolas

Grâce aux données récoltées sur site et aux bilans de matières, Concept-Dig peut prédire le type de digestat et son devenir après son stockage

La qualité du digestat dépend en grande partie de la recette suivie pour le concevoir. Et cela commence par les ingrédients choisis. Julie Jimenez, chargée de recherche INRAE au Laboratoire de biotechnologie de l’environnement (LBE) de Narbonne, a mis en évidence que le type d’intrants dans le méthaniseur avait un rôle important dans le type de digestat qui en était issu. Un fumier de bovins, très pailleux, donnera par exemple un digestat très fibreux et plus pauvre en azote que s’il était issu de fumier porcin qui lui, produira un digestat bien plus riche en azote ammoniacal. Si ce résultat était relativement attendu, c’est la première fois qu’une étude précise porte sur la relation entre alimentation du méthaniseur et digestat.

Ce travail a d’ailleurs donné naissance à un projet de recherche, de 2016 à 2019, pour lequel la chercheuse s’est rendue auprès de l'Association des agriculteurs méthaniseurs de France « sur un grand nombre de sites pour récupérer des données sur la qualité du digestat, sur l’alimentation des méthaniseurs et sur les pratiques agricoles ». D’après les informations récoltées, il a ainsi été montré que selon l’intrant majoritaire, des caractéristiques particulières étaient observées dans le digestat produit. Ces études ont d’ailleurs permis d’élaborer un outil disponible gratuitement en ligne, financé par l’Ademe et appelé Concept-dig, permettant d’anticiper précisément le type de digestat qui résulte de la méthanisation selon différents paramètres que l’on peut modifier librement. De ces travaux, huit classes de digestats ont été mises en évidence, notamment à travers leurs potentiels amendant et fertilisant. « On peut même aller plus loin », ajoute la chercheuse. « Grâce aux données récoltées sur site et aux bilans de matières, on peut prédire ce que devient le digestat brut  après son stockage, ou après la séparation des phases liquide et solide », permettant ainsi une gestion à long terme du digestat.


Pré- et post-traitements pour une méthanisation plus adaptée

Une fois les ingrédients sélectionnés, il est également possible de les traiter en amont de la méthanisation. Pascal Peu, ingénieur de recherche Inrae à l’unité Optimisation des procédés en agriculture, agroalimentaire et environnement (OPAALE) à Rennes, travaille sur « un procédé nouveau pour optimiser le procédé de digestion ». À travers le projet HydroBoost, en partenariat avec la société Évalor et le co-financement de l’Ademe, les équipes de recherche visent à dimensionner les cuves « en fonction des réactions biologiques qui s’y produisent pour fractionner la digestion dans un réacteur disjoint du méthaniseur et ainsi optimiser le procédé dans sa globalité ». Par exemple, ce procédé permet de limiter la présence de CO2 dans le biogaz produit lors de la méthanisation, alors plus concentré en méthane et par conséquent plus simple à purifier et à injecter dans le réseau de distribution.

Directrice de recherche au LBE, Hélène Carrère s’est quant à elle rapprochée de sites marocains dans le but d’étudier le mélange de boues d'épuration, riches en phosphore, avec d'autres substrats à digérer. « Ce qui n’est pas vraiment pratiqué en France », commente-t-elle. Les microorganismes potentiellement pathogènes qui peuvent se trouver dans les boues d’épuration ne peuvent en effet pas être épandus sur les parcelles agricoles, même si le procédé de méthanisation pourrait avoir des bénéfices hygiénisants. Les boues doivent donc être pré-traitées pour pouvoir être utilisées dans les méthaniseurs et ont un rendement plus efficace lorsqu'elles sont traitées par des produits au pH basique, comme la soude ou la potasse. Mais le sodium n’est pas conseillé pour les sols. C’est donc la potasse qui se dessine comme étant une alternative intéressante pour valoriser l’usage de ce type d’intrants, et donc éventuellement favoriser une conception adaptée du digestat.

Les agriculteurs peuvent utiliser ces produits selon les besoins de la parcelle

Enfin, en sortie de méthaniseur et pour obtenir des produits avec les caractéristiques recherchées, les exploitants peuvent également avoir recours à un post-traitement pour distinguer les composés chimiques des uns des autres. Une de ces étapes, la séparation de phase, permet notamment d’obtenir deux digestats distincts, dont l’un serait liquide, et l’autre solide. « La phase solide, plus organique, est plutôt fibreuse. La phase liquide en revanche, est davantage concentrée en nutriments, » explique Julie Jimenez. Avec ces deux produits aux fonctions différentes, « les agriculteurs peuvent donc utiliser ces produits selon les besoins de la parcelle , par exemple le digestat liquide comme substitut d'engrais minéral ou le digestat solide pour apporter de l'amendement de fond à d’autres périodes ». D’après Romain Cresson, directeur d'INRAE Transfert Environnement, « on peut même aller plus loin dans la séparation de phase. Certains procédés physico-chimiques permettent par exemple de concentrer uniquement le phosphore ou uniquement l'azote, permettant d'obtenir des composés relativement purs, avec une forte concentration des produits les plus intéressants pour la parcelle ».

Cahier des charges et contraintes réglementaires

 Si les recettes sont donc multiples pour produire du digestat de qualité, il n’en existe pas une miraculeuse qui s’adapterait à toutes les situations. Un digestat ne sera en effet de bonne qualité que s’il est approprié au type de sol et de culture sur lequel il sera épandu. Les agrosystèmes étant différents, leurs besoins le sont également. D’après Julie Jimenez, « en se basant sur les besoins des agrosystèmes, des cultures et du sol, il devient possible d’établir un cahier des charges à partir duquel on peut valider les intrants et le type de post-traitement qui sera appliqué au digestat ».

 Si l'idéal serait de pouvoir prévoir l’évolution des sols et s’adapter à l’avance sur la recette qu'il faudra mettre au point, « tout cela reste de la théorie », poursuit la chercheuse. Les intrants nécessaires à la production du digestat adapté ne sont en effet pas toujours tous disponibles sur site. D’où l’intérêt, en particulier dans certaines situations, de séparer les phases en post-traitement pour pouvoir utiliser le digestat de manière raisonnée, selon les besoins de la parcelle. Mais aussi d’ajuster les ingrédients de la digestion avec des intrants complémentaires.

 Attention en revanche à ne pas ajouter n’importe quoi en oubliant la réglementation. Les herbes fauchées aux abords des autoroutes, fortement exposées aux métaux lourds, ne peuvent par exemple pas être restituées sur les parcelles agricoles. « Dès l’élaboration de la recette de digestat, le plan d’épandage impose une contrainte sur la qualité du digestat », rappelle Pascal Peu. D’autant plus que le digestat est légalement considéré comme un déchet, même si, depuis 2017, certains digestats peuvent être dispensés du statut de déchets, permettant aux agriculteurs de les utiliser ou de les vendre sans passer par des plans d'épandage.

Des contraintes réglementaires elles-mêmes liées à des contraintes agroécologiques

Des contraintes réglementaires donc, « elles-mêmes liées à des contraintes agroécologiques », complète Romain Cresson. Selon la nature des sols ou la période d’épandage, « le projet de méthanisation sera différent et doit être élaboré à l’échelle du territoire, avec ses contraintes et ses ressources ». Or, si le type de gisement disponible limite l’élaboration des projets de méthanisation, les exploitants font, d’après le chercheur « de plus en plus appel à des cultures Intermédiaires Multi-Services Environnementaux (CIMSE), voire à des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) » pour compléter l’alimentation des méthaniseurs, réduisant ainsi la dépendance aux ressources locales. L’idée est cependant de veiller à ne pas mettre ces alternatives en compétition avec les cultures principales qui elles, sont alimentaires. Un enjeu supplémentaire à intégrer, pour tendre vers des pratiques de méthanisation de plus en plus adaptées aux territoires.

Notre dossier : Méthanisation

Pierre-Yves LerayerRédacteur

Contacts

Julie Jimenez, Hélène CarrèreLaboratoire des biotechnologies de l'environnement

Pascale PeuOptimisation des procédés en agriculture, agroalimentaire et environnement

Romain CressonINRAE Transfert Environnement

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