Bioénergies : quelle place pour la méthanisation ?

La méthanisation qui produit du biogaz se développe à grande vitesse en France. Cette expansion, opportunité pour l'agriculture, encouragée par les politiques publiques et attendue par les industriels, soulève aussi des questions quant à ses impacts. INRAE mène des recherches à 360° dans ce domaine, avec l'objectif de favoriser simultanément les transitions alimentaires, agroécologiques et énergétiques.

Faire converger les solutions pour faciliter à la fois les transitions agroécologique, énergétique et alimentaire.

La méthanisation de déchets, effluents ou produits de l’agriculture génère du biogaz. Son développement pourrait pourvoir à près de 10 % du mix gazier en 2030 et réduire notre dépendance au gaz fossile responsable aujourd’hui d’un cinquième de nos émissions de gaz à effet de serre. Elle est considérée comme un nouveau débouché pour l’agriculture, créateur d’emplois dans les territoires. Son développement soulève autant d’attentes que de questions dans la société. Les interrogations concernent le risque de favoriser les débouchés énergétiques au détriment de productions alimentaires, notamment au travers du changement d’usage des sols, l’impact sur l’environnement de ces filières, leur adaptation aux territoires, ou les risques d’exploitations associés tels que les explosions ou débordements de cuve… INRAE conduit des recherches en considérant l’ensemble de ces aspects dans l’objectif de faire converger les solutions pour faciliter à la fois les transitions agroécologique, énergétique et alimentaire.

La méthanisation produit du biogaz qui réduit notre dépendance aux énergies fossiles.

La méthanisation est utilisée depuis plus de 50 ans pour dépolluer les effluents d’élevage, les boues de station d’épuration urbaines ou encore la fraction organique des effluents d’industries alimentaires. Elle est étudiée à INRAE depuis les débuts et l’institut est aujourd’hui l’un des premiers organismes de recherche au monde pour sa production scientifique sur ce sujet. La méthanisation produit du biogaz (méthane majoritairement) et un résidu, le digestat, qui peut être restitué au sol pour le fertiliser et l’amender. Plus récemment, la perspective de production d’énergie est devenue le moteur de son expansion, ce qui a conduit à développer les techniques pour méthaniser d’autres sources de biomasse, notamment des résidus de culture ou des cultures à vocation énergétique. Pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat, le Pacte vert européen et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) prévoient de réduire nos consommations d’énergie et d’en diversifier les sources pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles. Le biogaz provenant de la méthanisation est l’une des voies encouragées par les politiques publiques. Le secteur industriel qui doit verdir sa production de gaz place également de fortes attentes sur la méthanisation d’origine agricole.
La production de biogaz en France est passée de 1 TéraWatt/heure (TWh) en 2007 à près de 7 TWh en 2019. Les scénarios Ademe et Solagro pour 2050 projettent de la porter à hauteur de 100, voire 125 ou 150 TWh (source : Rapport du Sénat 5 octobre 2021). Ainsi, le scénario énergie climat de l’Ademe (2017) envisage que la méthanisation puisse contribuer, en 2050, à 17 % du mix gazier (réseau de gaz naturel), 3 % du mix de production électrique et 3 % du mix de production de chaleur (Source Ademe, 2017).

Des engrais à partir de digestats de méthaniseurs

La France consomme plus de 2 millions de tonnes d'azote produits avec des énergies fossiles pour fertiliser ses champs.

Alors que la France est totalement dépendante pour sa production agricole et alimentaire des importations d'engrais, le laboratoire TBI (Toulouse Biotechnology Institute) d’INRAE et membre du Carnot 3BCAR, et la société NEREUS développent une technologie pour produire de l’engrais azoté à partir des digestats de méthaniseurs. En 4 ans, ce partenariat, a permis à partir d'une première installation de laboratoire, de développer un pilote de taille semi industrielle. Il s’appuie sur une technologie permettant de fractionner les digestats par des techniques de nanofiltration, d’en extraire de l'azote ammoniacal grâce à des membranes hydrophobes et de récupérer de l'eau réutilisable, le tout en utilisant le moins d’énergie possible. Un partenariat mené par Irène Gonzalez Salgado lors de sa thèse à TBI et récompensé en octobre 2023 par un prix Carnot dans la catégorie « partenariat mené par une jeune chercheuse ou un jeune chercheur ».

Qu’est-ce que la méthanisation ?

La méthanisation repose sur l’action de microorganismes qui fermentent et digèrent la matière organique dans un milieu dépourvu d’air. On parle ainsi de fermentation anaérobie ou digestion anaérobie. Le premier produit de ces transformations est le biogaz, dont le composant principal est le méthane (CH4). Source d’énergie, il peut être injecté directement dans le réseau de gaz naturel, permettre de cogénérer de l’électricité, ou encore assurer du chauffage local, voire servir de carburant. Le 2eproduit est le « digestat », résidu  de la fermentation, utilisable comme fertilisant ou amendement des sols.

On ne peut pas penser le développement de la méthanisation sans intégrer en même temps les flux qui l’alimentent (déchets organiques, effluents agricoles ou industriels, résidus de culture, cultures énergétiques…) et ses débouchés : essentiellement biogaz et digestats à l’heure actuelle. Elle est ainsi située au carrefour de 4 filières : énergie, gestion des déchets, gestion des éléments fertilisants les sols et agriculture. Dans l’optique d’un développement durable, utiliser une fraction de la biomasse pour la méthaniser doit s’inscrire dans une boucle bénéfiquemultiservices – sans créer d’impacts environnementaux défavorables. Ainsi, la valorisation énergétique ne doit pas notamment menacer les usages des sols dédiés à la production alimentaire ou mobiliser beaucoup de ressources en eau, la bonne gestion du retour des digestats au sol est essentielle pour permettre leur recyclage du carbone et de l’azote et bénéficier aux cultures suivantes.


QUELLES SOURCES DE BIOMASSE POUR LA MÉTHANISATION ?
La biomasse est définie par le Code de l’énergie comme la « fraction biodégradable des produits, déchets et résidus de l’agriculture, y compris les substances végétales et animales provenant de la terre et de la mer, de la sylviculture et des industries connexe, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers ».

  • Ressources d’origine agricole : fumier, lisier, pailles de céréales, cannes de maïs, autres résidus de culture, cultures intermédiaires à vocation énergétique.
  • Déchets industriels et commerciaux : fraction organique des coproduits de l’industrie de transformation, issues de silos, biodéchets des marchés, du petit commerce et de la distribution.
  • Déchets des collectivités : déchets verts urbains, biodéchets des ménages et de la restauration collective, déchets verts et herbes de bord de route, boues de station d’épuration.

Des spécificités françaises

5 000 méthaniseurs en 2030, soit 5 fois plus qu'aujourd'hui.

La France est le premier pays européen pour sa production de biomasse agricole. La méthanisation y a de fortes perspectives de croissance. Les 934 méthaniseurs actuels (2021) représentent la 1re phase d’un développement qui pourrait dépasser les 5 000 méthaniseurs en 2030 et avoisiner les 10 000 en 2050, si l’on se réfère aux scénarios Ademe, pour assurer la part d’énergie verte souhaitée par la Stratégie nationale bas carbone.
L’hexagone se caractérise aussi par une grande diversité des situations selon les territoires, les ressources utilisées, la taille des installations, les technologies, avec 3 filières : méthanisation agricole (à dominante élevage ou à dominante végétale), urbaine, industrielle.

La méthanisation d’origine agricole joue un rôle majeur, elle pourrait représenter 95 % du gisement mobilisé en 2050 (source Rapport de la CRE ), mais les déchets, résidus et effluents ne suffiront pas à constituer ce gisement. Il ne pourra être pourvu qu’en implantant des cultures intermédiaires entre deux cultures, assurant plusieurs services (couverture du sol, piège à nitrates, etc.) parmi lesquels la production d’énergie.

Dans son rapport paru en juillet 2021, France Stratégie pointe néanmoins un déficit de biomasse par rapport aux attentes projetées par les scénarios pour le futur « les écosystèmes agricoles sont une source importante de biomasse. Au vu des nombreux enjeux, actuels et futurs, les disponibilités en biomasse agricole ne permettraient pas de répondre aux objectifs de long terme fixés par la SNBC. […] Une attention particulière doit donc être portée à la surexploitation de la biomasse agricole et aux externalités négatives qui pourraient contredire l’objectif global de durabilité dans un système alimentaire en mutation. »

Reconception et innovation : la clé d’un nouvel équilibre

Ces questions sont prégnantes et alimentent les travaux de recherche d’INRAE. Il s’agit de :

  • Concevoir des systèmes de culture qui intègrent une valorisation énergétique sans concurrencer les objectifs alimentaires et services environnementaux (stockage de carbone, maintien de la biodiversité…).
  • Sécuriser, améliorer, optimiser les procédés de méthanisation pour diversifier la production de valeur et de services.
  • Organiser les filières par rapport aux besoins des territoires et de la société.

 

Et si les usines de méthanisation et de traitement des eaux usées devenaient des « bioraffineries environnementales », produisant des produits à haute valeur ajoutée tout en réduisant les impacts sur l’environnement, dans le respect des normes sanitaires ? C’est tout l’enjeu de nos recherches en bioéconomie. Elles conduisent à « changer de logiciel » : les déchets ne sont plus considérés comme un fardeau mais comme des ressources  dont les recherches visent à maximiser la valorisation par la production d’énergie mais aussi d’autres produits à forte valeur ajoutée  environnementale et économique (tels l’hydrogène, les acides organiques pour la chimie verte, l’industrie), en pensant l’organisation des filières, en intégrant les innovations. La valeur ajoutée s’évalue non sur le produit lui-même mais par rapport aux services rendus (par exemple les digestats peuvent rendre un service environnemental important). Cette démarche conduit à de nouvelles façons de concevoir, favorisant la modularité et la résilience, bénéficiant de l’apport des technologies numériques, adaptées aux territoires, en intégrant l’acceptation et l’implication du public dès le début des projets. [Article 4, à venir].

Illustration, avec le Blob

Sept laboratoires INRAE de recherche et innovation, un dispositif d’éclairage et d’appui aux politiques publiques

Toutes nos actualités sur la méthanisation

Quelques chiffres

Evolution du parc de méthaniseurs

  • 73 unités de méthanisation en 2010 (Ademe, 2017)
  • 532 unités de méthanisation en 2019 (Ademe, 2017)
  • 934 unités de méthanisation fin 2020 (rapport du Sénat)

Consommation actuelle de Gaz naturel en France : 499 TWh, majoritairement importé de Norvège (36 %), Russie (20 %), Pays-bas (8 %), Nigéria (8 %), Algérie (7 %), Qatar (4%) (rapport du Sénat)

Scénario 2030 Ademe : Biomasse méthanisable :  83 % d’origine agricole, 4 % d’origine industrielle, 13 % déchets des collectivités locales.

SNBC, dans l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 : X 2,5 la production d’énergie provenant de la biomasse.

Rédaction du dossier : Nicole Ladet, Pierre-Yves Lerayer, Catherine Foucaud, Elodie Régnier

Pilote scientifique : Monique Axelos, directrice scientifique Alimentation et Bioéconomie

Contacts scientifiques : Sabine Houot (Ecosys), Nicolas Bernet (LBE), Romain Cresson

Octobre-Novembre 2021